samedi 31 juillet 2021

Forum du 06 au 07 mai sur : (le sort des enfants en situation de rue : Enjeux et perspectives’’) (le 31 juillet 2021)

 

Les salésiens de Don Bosco, arrivés à Bukavu il y a 6 ans, dès le début se sont intéressés aux enfants et jeunes en situation de rue. Leur premier projet avait comme objectif la diminution des enfants et jeunes en situation de rue, grâce à l’ouverture d’une école des métiers disponible à les accueillir gratuitement. Malgré les efforts fournis et les résultats obtenus, nous sommes obligés de constater que le nombre des enfants et jeunes en situation de rue ne cesse d’augmenter. Ce qui nous choque, c’est le fait de constater qu’aujourd’hui à Bukavu, à Goma, à Lubumbashi, à Kinshasa et dans d’autres villes en RD Congo il y a même des enfants tout petits, de moins de 15 ans et parfois de moins de 10 ans, garçons et filles, qui se retrouvent dans la rue, le jour comme la nuit. Il y a eu des recherches et des publications (entre autres du Travailleur Social du Centre Don Bosco-Bukavu, Bienvenu Karume), mais des actions concrètes pour éradiquer ce phénomène tardent encore à venir.

Nous pouvons constater un manque d’encadrement sur tous les plans. Nous sommes surtout frappés par la présence dans la rue de beaucoup de jeunes filles mineures, victimes de viol et exploitées dans la prostitution, condamnées à porter des grossesses indésirables. Leurs enfants sont destinés à augmenter indéfiniment le nombre des enfants de la rue et seront privés de tous les droits que notre société reconnait à tous les enfants. 

Malheureusement, la communauté semble s’être habituée et certains propos semblent considérer que c’est une situation normale partout dans les pays du monde, surtout dans les pays africains, sans imaginer les conséquences sur la vie de ces enfants et celle de la société dans l’avenir.

Les enfants n’ont aucune crainte de descendre dans la rue, rien ne leur interdit de gâcher leur vie n’importe comment, il n’y a pas d’actions concrètes pour les décourager ou les ramener à la maison.  On dirait que notre société facilite l’existence et la persistance du phénomène des enfants en situation de rue.

Avec ce contexte, un Forum a été organisé auquel ont pris part différents invités acteurs concernés par l’éducation des enfants en situation de rue. Le souhait a été celui d’arriver à former une plateforme de réflexion et d’action capable d’adresser un appel au gouvernement, garant de la nation, pour qu’il prenne en main ses responsabilités.

Le forum a été une occasion pour approfondir la problématique des enfants en situation de rue et pour inviter les acteurs et faiseurs d’opinions à s’impliquer davantage dans la recherche de solutions réalistes, étant donné que l’éducation est une affaire qui doit interpeler chaque citoyen.

Séance tenante du Forum

Pour approfondir l’idée de pouvoir éradiquer le phénomène Enfants en Situation de Rue et inviter les acteurs et les faiseurs d’opinion à apporter leur pierre à l’édifice, les Salésiens de Don Bosco de Bukavu sous l’initiative du travailleur social Bienvenu Karume, ont envisagé la tenue d’un forum regroupant les acteurs concernés par l’éducation de cette couche sociale abandonnée à son triste sort.

Les assises du forum se sont tenues du jeudi 06 et vendredi 07 mai 2021 dans la salle Concordia de l’Archevêché de Bukavu. Ce Forum a abouti à un plaidoyer en plateforme d’actions par des résolutions à soumettre au niveau provincial et national pour que ces enfants de la rue marginalisés retrouvent leur place dans un milieu digne et non dans la rue. Cela a été aussi un moment de charger les consciences des autres acteurs en vue de se laisser toucher par la situation qui frappe les enfants en situation de rue sous les yeux du gouvernement et de toutes la communauté.

Après le forum, il a été décidé que les résolutions entreprises doivent être soumises à qui de droit au niveau provincial, national et poursuivre le suivi.

Le Forum a été conduit sous l’organisation du Père Piero Gavioli Directeur du Centre Don Bosco Bukavu, avec la modération du Père Bernard UGEUX, pères blancs/missionnaires d’Afrique, par les deux Intervenants le Professeur Arnold Nyalume (Juriste) et le Professeur Philippe Kaganda (Sociologue).

Fait à Bukavu, le 31 05/2021

Bienvenu Karume

Coordo-BDE/Travailleur Social

Don Bosco-Bukavu


jeudi 29 juillet 2021

Talitha Kum : Lève-toi ! Les femmes consacrées sont engagées contre le trafic humain dans le monde (le 29 juillet 2021). cet article est aussi disponible sur le site (www.lavie.fr )


Le trafic humain est le troisième réseau mondial le plus important après le trafic des armes et celui de la drogue, explique Bernard Ugeux, père blanc. 

Par Bernard Ugeux

En 2009, il a été proposé de créer Talitha Kum comme Réseau international de la vie consacrée contre la traite humaine avec une représentante issue de l'UISG (L’Union internationale des Supérieures Générales).

À une tragédie globale, il fallait une réponse globale. L’UISG regroupe toutes les religieuses catholiques du monde, soit des dizaines de milliers de consacrées. Mais dans les pays francophones, qui a entendu parler du réseau mondial de Talitha Kum ?

« Aujourd'hui, nous déclarons que la compassion est la plus puissante force de changement, et nous nous unissons aux survivants pour prendre soins contre la traite des êtres humains ». Voici ce que déclare les religieuses de Talitha Kum à l’occasion de la Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains du 30 juillet, Elles font écho à l’affirmation du pape François : « La traite des êtres humains est une plaie dans le corps de l’humanité contemporaine » (Discours aux participants à la conférence internationale sur la traite des personnes).

Elles poursuivent : « Nous ne resterons pas silencieux alors que des personnes dans tous les coins du monde souffrent à cause de la traite des êtres humains. »

Démanteler les systèmes qui permettent l'oppression

Qui est Talitha Kum ? C’est un réseau mondial de plus de trois mille sœurs catholiques et amis, unis dans leur engagement pour l’élimination de la traite des êtres humains. Alimentées par la puissance de leur engagement spirituel, elles ont aidé des dizaines de milliers de personnes à échapper aux chaînes de la traite et à trouver un chemin pour reconstruire des vies de liberté et de dignité.

Elles ajoutent : « Nous allons encore plus loin dans notre démarche d'assistance : nous visons à créer un changement durable et à long terme pour démanteler les systèmes qui permettent l'oppression et l'exploitation. Afin de relever ce défi mondial et de trouver des solutions systémiques, nous reconnaissons que nous devons travailler avec des organisations du secteur privé, des gouvernements, des ONG et de la société civile. »

À l'occasion de la Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains, elles demandent à leurs réseaux et à leurs partenaires de s'unir et d'amplifier leurs efforts pour transformer l'économie de la traite en une économie des soins qui donne à chacun, et en particulier aux femmes, les moyens de vivre dans des communautés sûres et prospères.

Prévention et sensibilisation

Il faut s'attaquer aux causes systémiques de la traite des êtres humains. Les gouvernements doivent s'engager à apporter un soutien à long terme aux survivants y compris une éducation de qualité, des permis de travail, l'accès à la justice et aux compensations, ainsi qu'une assistance médicale et psychosociale.

Talitha Kum est donc né du désir partagé de coordonner et renforcer les activités contre la traite promue par les femmes consacrées à travers les cinq continents. Ce projet lancé par des religieuses de l'Union Internationale des Supérieures Générales (UISG) collabore maintenant avec la branche masculine des congrégations et instituts de vie consacrée, l’ Union des Supérieurs Généraux (USG).

À part l’action de cette année à l’occasion de la Journée mondiale de la lutte contre la traite d’êtres humains, Talith Kam a comme objectifs : promouvoir le travail en réseau entre personnes consacrées et autres organisations sociales, religieuses et politiques au niveau national et international; renforcer les actions et les initiatives existantes, en optimisant les ressources de la vie consacrée pour promouvoir des actions de prévention, sensibilisation, protection, assistance et dénonciation de la traite; développer des programmes éducatifs de conscientisation sur ce phénomène; réaliser des actions prophétiques, en dénonçant les causes de l'exploitation de la vie pour des finalités économiques et la traite des personnes et en promouvant des campagnes pour le changement de mentalité et des habitudes.

Cela ne concerne donc pas seulement la dénonciation du trafic transfrontalier et transcontinental de personnes vulnérables, mais aussi tous les trafics internes tels que l’exploitation de mineures pour la prostitution, l’enlèvement d’esclaves sexuels par des groupes armés (comme en RD Congo) etc.

Soyons attentifs aux migrants que nous rencontrons autour de nous dont certains sont victimes de ce trafic mais n’osent pas appeler à l’aide par peur des représailles…

samedi 24 juillet 2021

Le Père missionnaire d'Afrique Bernard Ugeux a livré une interview aux journalistes du journal La Croix Africa sur la situation des filles victimes d’abus qui sont accompagné par le centre Nyota en RD Congo


Le centre Nyota, dans le diocèse de Bukavu, dans l’est de la RD-Congo, contribue à la formation et à l’éducation intégrale des jeunes filles, notamment celles marginalisées, ou victimes de violences sociales ou sexuelles.

Le père Bernard Ugeux, prêtre de la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères blancs) explique à La Croix Africa l’importance de cette structure qu’il soutient depuis quelques années.

La Croix Africa : Pouvez-vous nous présenter brièvement le centre Nyota ?

Père Bernard Ugeux : Le centre a été créé en 1986 par les sœurs Dorothée de Cemmo en vue de contribuer à la formation et à l’éducation intégrale des jeunes filles, particulièrement celles qui sont abandonnées, marginalisées, ou victime de violences sociales ou sexuelles. Il accueille 250 jeunes filles et fillettes durant la journée, sur une durée de trois à cinq ans, afin de leur permettre de se reconstruire.

Ce centre a été pillé à l’occasion des guerres à répétition de l’est de la RDC, ce qui a poussé religieuses à partir. Ce sont des laïcs qui ont repris la mission de cette structure, en lien avec le diocèse. Le centre Nyota met en place une méthode d’accueil, de formation et de réintégration dans la société de ces victimes d’enlèvement, d’esclavage sexuel par des groupes armés, de prostitution de mineures, ou qui sont enfants en situation de rue, ou n’ayant reçu aucune scolarisation à cause de la pauvreté ou de l’insécurité.

Comment se font la prise en charge et l’accompagnement ?

B. U. : Ces jeunes filles sont amenées au centre par les paroisses, des personnes de bonne volonté, la police des mineurs, d’autres jeunes qui les ont rencontrées et sensibilisées. Elles ont en commun une très grande vulnérabilité et l’impossibilité économique et sociale d’être scolarisées. Elles sont prises en charge individuellement sur une durée de trois à cinq ans ou leur évolution est suivie de près par une équipe d’animation composée d’une quinzaine de personnes très dévouées. Durant les trois premières années, on les prépare au certificat d’école primaire. Parallèlement, une formation professionnelle est fournie (coupe et couture, petit commerce, cuisine, savonnerie). Certaines poursuivent pendant deux ans une professionnalisation en coupe et couture et présentent le jury national.

L’accompagnement est holistique : il est individualisé, il est communautaire grâce au climat de confiance et d’affection que fournit le centre. Il est psychologique par le suivi personnalisé mais aussi social par la réintégration progressive de la personne dans la société et les enfants sont dans leur famille ou des familles d’accueil. L’accompagnement est aussi économique par l’acquisition d’un savoir-faire qui permet une prise en charge économique. Il est également spirituel par la préparation aux sacrements pour celles qui sont catholiques, le centre étant ouvert à toutes les religions et confessions dans un respect des identités. Le centre vit essentiellement de dons, il est donc le produit d’une solidarité entre communautés chrétiennes.

Quelles leçons peut-on tirer de cette expérience ?

B. U. : Un grand nombre de ces jeunes filles ont été traumatisées et doivent passer par un processus de résilience qui consiste à retrouver une estime de soi, une autonomie affective et relationnelle, une confiance dans la société et une capacité de faire des projets. Celles qui ont vécu les violences les plus graves ont besoin de temps pour guérir de leurs blessures intérieures. D’où la durée de 3 à 5 ans de la prise en charge.

Apprendre un métier manuel les aide à se réconcilier avec leur corps qui a été profondément humilié et dévalorisé. Il n’est pas possible de fournir à toutes les victimes de traumatismes, dans nos régions ravagées par la violence, des thérapies individuelles par des professionnels, par manque de moyens et de compétences. Mais notre centre démontre que, grâce au dévouement du personnel et à l’approche holistique de la résilience, une réelle reconstruction est possible.

Les valeurs évangéliques sont vécues au quotidien dans la qualité des relations entre les jeunes et avec les formatrices. Comme beaucoup n’ont pas d’état civil, le centre finance les démarches juridiques nécessaires pour que toutes aient un acte de naissance qui leur permette de se prendre en main le jour où elles se lancent dans la vie avec leur projet personnel. Cela fait partie de l’approche holistique : transformer des victimes en citoyennes et en militantes de la paix et de la justice.

samedi 17 juillet 2021

Nouvelle Lettre de la Savane N°46 du juillet 2021

 


Chers amies, chers amis,

Je vous rejoins aujourd’hui en ce début d’été alors que vous commencez à jouir des allégements des restrictions concernant la covid 19. J’espère de tout cœur que vous avez ainsi l’occasion de renouer avec des personnes et des lieux qui vous sont chers ou qui vous ont manqué pendant les confinements. Je remercie chaleureusement, au nom de tous les bénéficiaires, celles et ceux qui ont profité de l’accumulation d’épargne qu’a permis la pandémie pour continuer à nous soutenir financièrement. Grâce à vous, malgré une situation économique très difficile, nos projets se poursuivent et de nombreuses jeunes filles sont prises en charge sur la durée et retrouvent le sourire et l’autonomie, avec un nouvel espoir pour l’avenir.

À propos de cette pandémie, les autorités sanitaires de la RDC mettent en garde contre une troisième vague du variant Delta, qui selon elles serait présent un peu partout dans le pays et provoquerait des engorgements d’hôpitaux. Nous ne constatons rien de cela dans notre ville de Bukavu et nous savons que c’est  également le cas dans beaucoup d’autres villes. Ici les populations sont convaincues que ces discours alarmistes ont pour but de faire entrer un supplément d’aide internationale que se partageront les responsables. Ici la vie se poursuit normalement comme s’il n’y avait pas de pandémie. Seules les personnes qui doivent prendre l’avion se font tester. Un épidémiologiste local considère qu’il existe déjà une immunité collective. J’ai cependant reçu les deux injections d’AstraZeneca.

Par contre, nous avons beaucoup d’autres préoccupations à la suite d’une série d’événements dont les conséquences se font sentir pour les populations. Le plus médiatisé est l’éruption du volcan Nyiragongo du 22 mai à Goma, sans signes avant-coureurs, à 100km au nord de Bukavu de l’autre côté du lac Kivu.

 

Heureusement l’éruption a été beaucoup moins grave que celle de 2002 et la lave s’est arrêtée à l’orée de la ville, alors que le magma se glissait sous la cité dans des failles qui l’ont amenée jusqu’au lac Kivu (qui est rempli de gaz méthane et risquait l’explosion). Dix-sept villages ont été touchés par cette coulée de lave détruisant sur son passage des habitations et des infrastructures. Trois structures de santé, une école primaire, un abattoir et des canalisations d’eau ont été affectés. Actuellement il existe encore des milliers de déplacés qui ne sont pas relogés, alors que la population a rejoint la ville une quinzaine de jours après l’éruption. Beaucoup se demandent où sont passées les aides internationales. Une partie des confrères de la ville avaient été évacués sur Bukavu ou au Rwanda. Il y a eu des dégâts limités dans notre paroisse. Le plus douloureux fut la panique provoquée par la décision du gouverneur d’évacuer la ville, en l’absence d’un plan alors qu’on s’attendait à ce que l’éruption se reproduise tôt ou tard. Les centaines de secousses sismiques par jour ont beaucoup traumatisé la population.

 

Une autre préoccupation majeure, c’est l’état de violence endémique dans laquelle baigne l’Est de notre pays, en proie à près de 120 groupes armés qui sèment dévastation et terreur sur leur passage, dans cette région frontalière avec l’Ouganda et le Rwanda. Le Président de la République a décidé l’état de siège pour deux provinces depuis le 6 mai. Deux mois après, malgré la reddition de quelques groupes armés, la situation est loin d’être stabilisée et l’état de siège vient d’être une fois de plus reconduit pour plusieurs semaines. Un événement nouveau qui nous inquiète est la pratique d’attentats à la bombe, qui ne s’étaient jamais présentés dans notre pays. L’un d’eux a eu lieu dans une église catholique le dimanche matin à Butembo alors que de nombreux fidèles étaient attendus pour l’eucharistie. Heureusement que la bombe s’est déclenchée accidentellement avant l’arrivée des paroissiens, ne blessant que deux dames chargées de l’entretien de l’église. Rétablir la paix dans une région qui depuis des décennies est livrée à des hordes de groupes mafieux entretenus et financés par de nombreux acteurs politiques et économiques, nationaux et internationaux, qui cherchent leur intérêt économique avant tout (terres, minéraux, hydrocarbures), est un défi que l’armée nationale, aidée des casques bleus, a beaucoup de mal à relever. Le Président a reconnu lui-même qu’il y avait des infiltrations d’éléments malveillants au sein de l’armée-même et tente de limiter les dégâts. Trop de gens ont intérêt à ce que l’Est du pays reste une zone de non-droit. Les violences contre les populations représentent pour nous un sujet d’inquiétude car ce sont elles qui nous amènent les victimes que nous accueillons dans notre centre.

 

Un autre souci de préoccupation est la banalisation des violences dans les quartiers de la ville de Bukavu qui sont mis à sac par des bandes armées. Celles-ci passent de maison en maison pour y ramasser tout ce qui existe comme valeurs ou comme argent, n’hésitant pas à s’attaquer à des gens très pauvres qui perdent ainsi le peu qu’ils ont pour survivre au quotidien. Le peu de réactions des forces de l’ordre donne à penser aux populations qu’il y a des complicités, et même des locations d’armes de guerre par ces bandes armées. J’ai reçu un certain nombre de personnes qui se sont retrouvées ainsi pratiquement à la rue, auxquelles je ne pouvais apporter qu’une aide limitée. Le fait que la jeunesse, qui représente la majorité de la population, n’ait aucun avenir professionnel, étant donné la quasi-absence de création d’emplois, pousse un certain nombre de jeunes désespérés à utiliser la violence pour se procurer des moyens pour vivre. Cela génère de l’insécurité dans les quartiers pendant la nuit.

Je ne veux cependant pas me limiter à une présentation purement négative de notre situation. En effet, tous les jours je suis témoin de très beaux gestes de solidarité, de partage, d’entraide provenant souvent des plus pauvres. Cela ne nous empêche donc pas de vivre notre vie quotidienne avec ses engagements, ses rencontres, ses événements joyeux ou tristes. Parmi les événements joyeux, je voudrais évoquer les trois célébrations de mon triple jubilé. Une première célébration a réuni tous les confrères de la ville pour rendre grâce pour les bontés du Seigneur et sa patience avec moi, dans mon engagement missionnaire et sacerdotal. Le 20 juin, je célébrais mes 45 ans d’ordination presbytérale. 

 

Mon cœur est rempli d’une profonde gratitude pour la fécondité de mon ministère, dont je suis bien conscient qu’elle ne vient pas de moi, et dont il m’est difficile d’évaluer la portée. Mais à l’occasion de ces célébrations, des témoignages m’ont profondément touché et encouragé à poursuivre sur le chemin du don de ma vie. J’avais pris comme devise pour mon ordination : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». La seconde célébration a été vécue au centre Nyota, soutenu depuis 10 ans par Germes d’espérance, et où je travaille en collaboration étroite avec l’équipe des animateurs qui sont d’un dévouement admirable. Cela été l’occasion pour les 250 enfants et jeunes filles vulnérables accueillis chaque jour pendant trois à cinq ans, de m’exprimer leur reconnaissance – qui va à vous toutes et tous, nos bienfaiteurs ! – et leur joie d’avoir retrouvé l’espérance.  Ici aussi, les témoignages ont été très émouvants. 

 

Enfin il y a eu une belle célébration festive au noviciat du Carmel où nous célébrons l’eucharistie tous les jours et avec qui j’ai créé des relations très profondes et fraternelle depuis 11 ans. Un tel triple jubilé (75 ans d’âge, 45 ans d’ordination, 50 ans de première arrivée au Congo) est une occasion pour moi de faire une relecture de ma vie sous le regard de Dieu et à la lumière des témoignages de personnes avec qui je vis ou j’ai vécu. C’est une source vive de lumière et d’encouragement à persévérer malgré le contexte si douloureux que nous vivons au quotidien. Je peux vraiment dire que le Seigneur fit pour moi des merveilles, je me sens profondément privilégié, et heureux de voir cette moisson. J’ai répondu à une question qui m’a été posée : « oui, si c’était à refaire, je suis prêt à recommencer, dans la confiance »

Bien amicalement à toutes et à tous, 

Nous prions chaque jour pour nos bienfaiteurs. Bernard

RAPPEL D’UNE INVITATION

Comme je viens de le rappeler, pour moi l’année 2021 est particulière. 

Le 19 mai, j’ai eu 75 ans,

 le 20 juin, j’ai célébré mes 45 ans d’ordination presbytérale  et début septembre, cela fera 50 ans depuis mes premiers pas en Afrique centrale. 

C’est l’occasion de rendre grâce et de célébrer la vie.  

Si la pandémie le permet, 

le samedi 11 septembre 2021, il y aura une fête chez mes amis 

Michèle et Philippe Nouvellon, à Parisot (Tarn) 

Voici leur numéro, si vous voulez des précisions ou aider à préparer : +33

6 20 60 03 82. 



jeudi 15 juillet 2021

L’attitude chrétienne dans le service de la communauté, quelle écologie intégrale ? par le P. B. Ugeux M.Afr. (15 juillet 2021)


Il est question aujourd’hui de la responsabilité des chrétiens dans le domaine de l’écologie, du respect de leur milieu de vie. Cela a pris un sens nouveau depuis l’encyclique Laudato Si du Pape François.
Le Pape parle d’une écologie intégrale, c’est-à-dire que nous vivons dans ce qu’il appelle une maison commune. Il s’agit de notre planète Terre, qui est comme la maison commune de tous les êtres humains. Il n’y a pas une autre planète où nous pouvons nous réfugier si nous détruisons la planète sur laquelle nous vivons.
Donc si nous ne prenons pas soin de notre maison commune, de la planète, nous périrons tous. Or, le Pape nous parle de la terre comme d’une sœur ou d’une mère, à la suite de St François d’Assise. C’est-à-dire que la vie nous vient de la terre, de la nature, de l’eau, de l’air, des plantes et des animaux. Nous les êtres humains nous sommes complètement dépendant de la terre, notre mère. Si nous ne prenons pas soin de l’endroit où nous vivons nous disparaîtrons.
La nature qui nous entoure fait partie de nous-mêmes, en exploitant exagérément et en détruisant la nature dans laquelle nous vivons, nous nous détruisons nous-mêmes.
L’être humain est profondément lié à la nature et son avenir dépend de la nature. C’est pourquoi nous constatons la destruction de la nature par l’être humain lui-même. Comment ?  en ne prenant pas soin de la terre sur laquelle il vit, ou en l’exploitant et en la gaspillant exagérément comme le font les sociétés occidentales et les entreprises multinationales comme on le voit ici en RDC. Là où la nature est détruite par les entreprises, les êtres humains doivent fuir.
Or, nous ne pouvons pas oublier que Dieu lui-même en créant l’homme et la femme à son image et à sa ressemblance leur a confié la terre, comme un jardin à cultiver et à bien exploiter. Nous avons tous été créés par amour, nous avons tous la même dignité. Parce que la personne humaine a été créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, elle est capable de réfléchir, de prier, d’aimer, elle a une conscience et elle est capable de faire des choix. Elle a reçu toutes les qualités dont elle a besoin pour bien prendre soin du grand jardin du monde. L’être humain est capable de rentrer en communion avec d’autres personnes et c’est ensemble que nous pouvons travailler à l’amélioration de la terre.
Chacun de nous a sa place sur cette terre il a le droit d’être respecté. Ail a le droit d’avoir un lieu pour vivre, habiter, trouver du travail.
L’existence humaine repose sur trois relations fondamentales : la relation avec Dieu, avec le prochain et avec la terre. § 66. Mais ces trois relations vitales ont été rompues et vis-à-vis de l’extérieur et en nous-mêmes aussi, à cause du péché. Dès le début de l’humanité l’homme a voulu prendre la place de Dieu pour dominer la terre et l’exploiter exagérément.
L’homme a rompu sa relation vitale avec la terre pour la dominer. Nous ne sommes pas Dieu, la terre ne nous appartient pas, c’est un grand jardin qui nous a été confié et dont nous ne pouvons pas faire n’importe quoi. Car le but de ce jardin de la terre, c’est de nous fournir un espace où nous pouvons trouver tout ce dont nous avons besoin pour bien vivre dans la dignité comme être humain. Dans la Genèse chapitre2, verset 15,  il est dit que nous devons cultiver et garder le jardin du monde. Cela veut dire que tout être humain a une relation spéciale à la nature. Chaque communauté peut prendre de la bonté de la terre ce qui lui est nécessaire pour vivre (la chasse, la pêche, la cueillette, l’agriculture etc.) mais elle a aussi le devoir de la sauvegarder et de garantir la continuité pour les générations futures. Comme on dit : « nous avons hérité de la terre et nous l’empruntons à nos descendants ». Nous les humains sur cette terre nous sommes des gens de passage.
Cette responsabilité vis-à-vis d’une terre qui est à Dieu implique que l’être humain, doué d’intelligence, respecte les lois de la nature et les délicats équilibres entre les êtres de ce monde, selon une loi qui vient de Dieu et qui ne passera pas (psaume 148).
Ce respect de la terre s’exprime aussi par la loi qui dit que l’homme doit se reposer le septième jour. Et ainsi laisser reposer la terre et les animaux domestiques, ne pas épuiser la nature par notre voracité.
Les animaux aussi ont le droit d’être respectés ainsi que tout ce qui est mis à notre disposition : la terre, l’eau, les plantes etc. Ne pas respecter la nature c’est se détruire nous-mêmes. Les autres réalités de la nature sont aussi des créatures voulues par Dieu avec un rôle particulier à jouer, comme plante comme animal, chaque créature a une place particulière dans la création.
La responsabilité des communautés chrétiennes.
Qu’est-ce que cela veut dire respecter la terre, notre maison commune, pour des chrétiens et pour des communautés chrétiennes ? Dans la tradition africaine, les cultivateurs, les pêcheurs, les chasseurs, connaissaient bien les lois de la nature. Ils connaissaient les saisons, ils savaient comment cultiver sans détruire la terre, respecter les sources d’eau, ne pas abattre tous les arbres, mais laissez toujours ce qu’il faut pour les générations futures. C’est comme cela que depuis des siècles les sociétés africaines ont continué à vivre en bonne santé. Il y avait aussi dans les communautés des gens qui connaissaient bien les plantes et qui était capable de soigner. Aujourd’hui on appelle cela du développement durable !
Est-ce que c’est cela que nous constatons autour de nous aujourd’hui dans nos quartiers ? Est-ce que les habitants du quartier ont le souci de la santé de leur famille et de leurs enfants ? Est-ce qu’ils font attention à ne pas laisser des déchets pourrir et apporter des microbes ? Est-ce qu’ils veillent à ce qu’il n’y ait pas d’objets dangereux pour les enfants quand ils jouent ? Est-ce qu’ils construisent les maisons de façon à ce que, quand il y a de grosses pluies, ils peuvent canaliser l’eau de façon à ce que celle-ci ne détruise pas les autres maisons ? Est-ce qu’on laisse une distance pour éviter les incendies ? Est-ce que avant de construire la maison, ils vérifient si le sol est assez solide pour résister aux érosions ? Est-ce que les responsables des quartiers ont le souci que le quartier vive dans l’ordre, la propreté, le respect de tous les habitants, dans des conditions de sécurité ou est-ce qu’ils cherchent à recevoir de l’argent, même si c’est en permettant à des personnes de construire sur des endroits dangereux ?
Comment est-ce que nous respectons la terre qui nous est confiée, l’eau, les arbres qui peuvent retenir la terre autour de notre maison, l’espace de nos voisins ?
Est-ce que nous respectons les forêts, est-ce que nous cherchons à cuire la nourriture avec des réchauds qui utilisent le moins possible de makala ? Nous constatons qu’il faut aller de plus en plus loin pour trouver des arbres pour fabriquer le makala ! On va continuer comme cela jusqu’à transformer toutes les forêts du Kivu en désert ?
Durant la colonisation, on a appris aux gens à planter des herbes pour empêcher l’érosion et faire des cultures en terrasse. Tout cela a été arraché et détruit. Maintenant, toute la bonne terre est partie dans le lac.
Le président Mobutu avait décidé que toutes les communautés pratiqueraient le Salongo. Un des buts était de prendre soin de l’environnement, de nettoyer les caniveaux, de maintenir les routes, de prendre soin du lieu où on habitait, et cela ensemble, collectivement. Nous constatons que tout cela a été saboté puis abandonné.
Quand nous montons la route qui va à Kadutu ou celle qui traverse le quartier industriel, que voyons-nous ? Tout le goudron a été arraché et les trous sont de plus en plus profonds. Est-c’est parce qu’il n’y a pas de caniveaux ? Non. Il y a des caniveaux et ils sont profonds, mais ils sont bouchés par les habitants qui jettent leurs déchets n’importe où et dès qu’il y a une pluie tout cela vient bloquer les caniveaux qui débordent et détruisent la route. Personne ne s’occupe des caniveaux ni de la route. Les gens disent : c’est le travail de l’État, mais on voit que l’État ne se soucie pas du bien commun. Alors on préfère regarder sans rien faire les caniveaux se remplir et les routes se détruire.  C’est ainsi que le peuple congolais détruit la terre qui lui a été confiée par le Seigneur comme un jardin à entretenir. Comment est-ce que les gens qui vivent au bord de la route ne peuvent pas se mettre d’accord pour travailler une heure ou deux pour dégager les caniveaux après une grosse pluie ? Tout le monde s’en moque, c’est la paresse, l’indifférence, l’irresponsabilité qui dominent.
Comment se fait-il que les gens vivent dans des conditions aussi insalubres dans les quartiers alors que la majorité des gens sont des chrétiens et qu’ils savent que Dieu leur a confié son jardin, la terre, la maison commune, ? Il y a un manque total d’éducation du peuple de Dieu. Les gens pensent qu’être chrétien, c’est aller à la messe, recevoir les sacrements, pour les convaincus, aller à la réunion de shirika. Mais les membres des communautés chrétiennes ont-elles le souci du milieu dans laquelle ils vivent ? Qu’il n’y ait pas de maladie à cause des détritus, qu’il n’y ait pas de maisons détruites par des inondations parce qu’on ne fait pas des écoulements d’eau corrects, qu’il n’y ait pas d’enfant qui puisse se blesser avec des objets qui traînent, que les enfants qui vont à l’école ne doivent pas passer par des chemins dangereux et glissants entre les maisons, parce que personne ne veut déposer une pierre ou planter un arbre dont les racines fixeraient la terre ?
Les gens n’ont pas compris qu’être chrétien, c’est se soucier de vivre dans des conditions humaines qui respectent la dignité de chacun et chacune. Je ne suis pas un bon chrétien si je jette des saletés sur la route où passent les gens ou dans les caniveaux que je vais boucher. Pourquoi ?  Parce qu’un bon chrétien est celui qui aime tout le monde et qui respecte tout le monde. Aimer c’est vouloir la vie pour toi : que tu sois en bonne santé, que tu ne cours pas de risque dans ton environnement, que tu aies un bon logement, de l’eau propre, un milieu où il n’y a pas d’agression et on se respecte mutuellement. Les chrétiens devraient être les bons bergers du quartier. Les premiers à déboucher un caniveau, à planter les arbres, à ramasser les déchets.
Est-ce que nous savons qu’il faut des dizaines d’années avant qu’une bouteille de plastique disparaisse ? La bouteille que je jette par terre et qui va être entraînée dans le lac lors des grosses pluies, va flotter ou s’enfoncer dans le lac et va le polluer et ce sont les enfants de mes arrière-petits-enfants qui vont encore subir mais déchets. Je détruis la propreté du lac pour 50 ans chaque fois que je jette une bouteille. Alors que nous savons qu’il y a moyen de ramasser les bouteilles et de les réutiliser. Il y a des projets qui s’occupent de cela. On rencontre de nouveaux le manque d’éducation, la paresse, le mépris de l’autre, l’indifférence. Tout cela va contre l’Évangile où il nous est dit : « tu dois traiter ton frère et ta sœur comme toi-même ».
Laisser traîner la saleté, ne pas prendre soin de l’environnement, c’est ignorer ce qu’on appelle le bien commun. Le Pape nous montre que chaque fois que nous détruisons la nature nous faisons du mal à notre frère ou notre sœur. TOUT EST LIE, dit-il ! Comment sera la ville de Bukavu dans 20 ans si nous continuons à en faire une immense poubelle remplie de microbes ?
Le bien commun, c’est tout ce qui est nécessaire à une société pour bien vivre ensemble. Nous avons besoin d’une terre, d’eau, de routes, d’écoles, de dispensaires, etc. ce sont des biens qui servent à tout le monde, c’est pourquoi on appelle cela le bien commun, un bien qui est au service de tous, mais aussi donc tous doivent se soucier et pas seulement l’Etat. On exige toujours que l’Etat, ou Dieu lui-même, résolve nos problèmes, pour justifier qu’on ne prend aucune initiative !
Nous constatons que dans les grandes villes d’Afrique les bonnes habitudes que l’on avait au village concernant la propreté, l’entretien des maisons et de l’environnement, sont perdues. Nous avons acquis de très mauvaises habitudes et nous ne comprenons pas encore que tout ce que nous abîmons porte atteinte aux autres. Un arbre que je que je coupe sans permission, une façon de creuser dangereusement la terre pour construire une maison, des déchets que je jette pour boucher les caniveaux, c’est un mépris pour notre sœur la terre, notre mère la terre. Et pour mes frères et sœurs qui me sont confiés par Dieu. Et le Pape dit « la terre gémit sous les coups des êtres humains qui ne la respectent pas, ne l’exploitent pas de façon fructueuse, la détruisent ».
Nous critiquons les multinationales qui détruisent nos campagnes mais nous-mêmes nous détruisons la terre dans nos quartiers. C’est une question d’hygiène, de santé publique, de qualité de vie, donc de respect du prochain.
Je ne peux pas dire que je fais la volonté de Dieu si je me contente de dire mon chapelet et d’aller à la messe et je méprise et détruis le milieu dans lequel je vis et où mes frères et mes sœurs ont besoin de sécurité.
Donc le défi qui est là devant nous chrétiens est un défi personnel et un défi communautaire. Est-ce que je vais continuer à traiter mon quartier comme une poubelle, à boucher les caniveaux et à détruire l’environnement, est-ce que nos communautés de quartier vont se contenter de parler et de discuter des belles idées ou de dire de chapelet tout en détruisant la création de Dieu, notre maison commune, le jardin qui nous a été confié ?
Il est vrai que l’État ne fait pas son travail, il est vrai que la corruption favorise des constructions anarchiques et la destruction des collines. Mais ce n’est pas parce que l’État méprise le peuple que nous devons nous mépriser les uns les autres en laissant notre environnement se détruire.

Alors est-ce que je suis prêt à me former, à évoluer dans ma mentalité – parce que tout commence par le changement de mentalité – et à changer mes habitudes ? Ou bien est-ce que je vais continuer à me plaindre comme si je n’avais aucun pouvoir, comme si j’étais paralytique, comme si les gens de la communauté et particulièrement les jeunes ne pouvaient pas s’organiser entre pour rendre le quartier plus humain plus fraternel et donc plus chrétien. « Ce que tu as fait au plus petit d’entre les miens c’est à moi que tu l’as fais ». « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » et cela en favorisant des conditions d’existence humaine.

P. Bernard Ugeux,

Ek’abana,

4/7/21

jeudi 1 juillet 2021

Europe et traçabilité (01 juillet 2021)

 


Voici les fêtes ! « Acheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral ».

Qu’en est-il de la moralité des entreprises dont nous achetons les biens de consommation ces jours-ci.

Le 4 novembre 2014,  l’émission de France 2 Cash investigation a traité de la question des entreprises qui fabriquent des téléphones portables. Elle a pris la plupart de ces entreprises (Samsung, Nokia, Microsoft, Huawei, etc.) en flagrant délit d’immoralité et de cynisme du côté de leurs dirigeants. Dans un post précédent j’ai évoqué la mauvaise foi de nombre d’entreprises intercontinentales qui chargent leurs filiales de toutes les dépravations pour s’innocenter de leurs dysfonctionnements, promettant régulièrement de mettre de l’ordre dans leurs abus. Heureusement que le journalisme d’investigation, les ONG des droits humains  ainsi que les personnes qui constatent les pratiques sur le terrain continuent à dénoncer l’inacceptable.

Au niveau européen, en mars 2014, une circulaire a été émise concernant les importations de minerais dans l'Union européenne. Elle ressemble à celle que le sénateur Obama avait proposée avant qu’il soit devenu président des Etats-Unis[1], mais avec une grande différence : l’Europe fait seulement appel à la bonne volonté des importateurs, sans effet coercitif. Dans le film en question, le commissaire De Gucht parle d’une législation européenne visant à mettre sur pied un système d’autocertification. Les importateurs de minerais s’engageraient à contrôler leur ligne d’approvisionnement mais sans aucune obligation vis-à-vis de la communauté européenne. Le commissaire considère que si c’était obligatoire, les entreprises n’iraient plus s’approvisionner dans certaines régions ce qui poserait un problème d’emploi. Pour qui vit sur le terrain, on se demande de quel emploi il s’agit ? Des gamins de quatorze qui travaille 14 heures par jour dans les boyaux de minerais pour 2 € par jour ? Les intermédiaires corrompus et impunis qui exportent ces minerais de façon la plupart du temps illégale à travers des filières qui jouissent de complicité à tous les échelons du système ? En outre, quand la journaliste demande le nombre d’entreprises concernées, le commissaire ne peut donner de réponse. Par contre, il explique que ces entreprises répondent en chœur qu’elles ne voient aucun impact positif dans cette nouvelle législation et que cela demanderait des efforts supplémentaires. Quel culot !  Positif pour qui ? Pour les enfants dans les mines de la RDC ou dans les filiales chinoises de Microsoft ? Quels efforts supplémentaires… pour maintenir le niveau du profit ? ou la moralité des affaires ?

De nombreuses ONG ont dénoncé l’inefficacité de cette circulaire quant à une vraie traçabilité de l’origine des produits et de la destination de l’argent, qui parfois ravitaille en armes les groupes armés, dont certains sont responsables de viols sur une grande échelle.

Déjà, le 14 octobre 2014, 70 évêques du monde entier, réunis à Bruxelles, avaient adressé un  appel au sens des responsabilités de la part de l’Union européenne. Ils demandaient le renforcement de la circulaire européenne sur, entre autres, ces deux points :

« – Une responsabilité commune des entreprises d’un bout à l’autre de la chaîne d’approvisionnement, des sociétés d’extraction aux importateurs, fournisseurs et utilisateurs finaux qui commercialisent des produits contenant des ressources naturelles issues des zones de conflit. Le fait d’étendre la portée du règlement aux sociétés utilisatrices finales permettra de répondre aux exigences des citoyens européens en matière de moralité des chaînes d’approvisionnement. Les témoignages de solidarité et d’empathie avec les victimes d’une violence désespérante ne seront plus trahis.

– Un système de diligence obligatoire et ambitieux, mettant en œuvre les recommandations et bonnes pratiques du guide de l’OCDE en matière d’exercice et de divulgation publique des efforts déployés en vue d’un approvisionnement responsable. Pour avoir noué le dialogue avec toutes les parties concernées et avoir été témoins au plus près de la puissance des dynamiques qui s’affrontent dans les zones de conflit, nous affirmons que c’est la seule façon de changer les paramètres de prise de décision des entreprises et d’autres acteurs. »

En novembre 2014, le CCFD-Terre Solidaire a aussi lancé une action dans ce sens autour de cette question cruciale pour les pays du Sud exportateurs de minerais. Le slogan est : Des multinationales Hors-Jeu. Le marché à ses règles, les populations ont leur droit.

On peut aisément établir un lien entre ces deux démarches et la lettre du Pape François à l’occasion de la Journée mondiale pour la paix du 1er Janvier 2015. Il y dénonce le nouvel esclavagisme : « Non plus esclaves, mais frères. » Envisageant les différentes niveaux de responsabilité, il évoque entre autres les Etats qui doivent veiller « à ce que leurs propres législations nationales sur les migrations, sur le travail, sur les adoptions, sur la délocalisation des entreprises et sur la commercialisation des produits fabriqués grâce à l’exploitation du travail soient réellement respectueuses de la dignité de la personne (…) ainsi que des mécanismes efficaces de contrôle de l’application correcte de ces normes, qui ne laissent pas de place à la corruption et à l’impunité. »

A propos des entreprises,  elles « ont le devoir de garantir à leurs employés des conditions de travail dignes et des salaires convenables, mais aussi de veiller à ce que des formes d’asservissement ou de trafic de personnes humaines n’aient pas lieu dans les chaînes de distribution ».

Enfin, il parle de nous, les consommateurs, évoquant notre responsabilité sociale. « En effet, chaque personne devrait avoir conscience qu’« acheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral » (Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, nn. 24).

Il me semble qu’au moment de la ruée vers les cadeaux de fin d’année, le souvenir de cette responsabilité peut être bénéfique.

Photo B. Ugeux : la ville de Busan, la « réussite » sud-coréenne, patrie de Samsung.

[1] Cf. la section 1502 de la loi américaine Dodd-Frank adoptée en 2010.

Kinshasa-Kigali, un accord entre Etats mais loin d’être endossé par les groupes rebelles.

  Pour une paix durable à l’Est du pays, faudra-t-il un arrangement entre Etats ? Ou alors une harmonisation avec les groupes rebelles ? S’i...