Voici les
fêtes ! « Acheter est non seulement un acte économique mais toujours
aussi un acte moral ».
Qu’en
est-il de la moralité des entreprises dont nous achetons les biens de
consommation ces jours-ci.
Le
4 novembre 2014, l’émission de France 2 Cash investigation a traité de la question des entreprises qui
fabriquent des téléphones portables. Elle a pris la plupart de ces entreprises
(Samsung, Nokia, Microsoft, Huawei, etc.) en flagrant délit d’immoralité et de cynisme du côté de leurs
dirigeants. Dans un post précédent j’ai évoqué la mauvaise foi de nombre
d’entreprises intercontinentales qui chargent leurs filiales de toutes les
dépravations pour s’innocenter de leurs dysfonctionnements, promettant
régulièrement de mettre de l’ordre dans leurs abus. Heureusement que le
journalisme d’investigation, les ONG des droits humains ainsi que les personnes qui constatent les
pratiques sur le terrain continuent à
dénoncer l’inacceptable.
Au
niveau européen, en mars 2014, une
circulaire a été émise concernant les importations de minerais dans l'Union
européenne. Elle ressemble à celle que le sénateur Obama avait proposée avant
qu’il soit devenu président des Etats-Unis[1], mais avec une grande
différence : l’Europe fait seulement appel à la bonne volonté des
importateurs, sans effet coercitif. Dans le film en question, le commissaire De
Gucht parle d’une législation européenne visant à mettre sur pied un système d’autocertification. Les importateurs
de minerais s’engageraient à contrôler leur ligne d’approvisionnement mais sans aucune obligation vis-à-vis de la
communauté européenne. Le commissaire considère que si c’était obligatoire, les
entreprises n’iraient plus s’approvisionner dans certaines régions ce qui poserait
un problème d’emploi. Pour qui vit sur le terrain, on se demande de quel emploi
il s’agit ? Des gamins de quatorze qui travaille 14 heures par jour dans
les boyaux de minerais pour 2 € par jour ? Les intermédiaires corrompus et
impunis qui exportent ces minerais de façon la plupart du temps illégale à travers
des filières qui jouissent de complicité à tous les échelons du système ?
En outre, quand la journaliste demande le nombre d’entreprises concernées, le
commissaire ne peut donner de réponse. Par contre, il explique que ces entreprises
répondent en chœur qu’elles ne voient aucun impact positif dans cette nouvelle législation
et que cela demanderait des efforts supplémentaires. Quel culot ! Positif pour qui ? Pour les enfants dans
les mines de la RDC ou dans les filiales chinoises de Microsoft ? Quels
efforts supplémentaires… pour maintenir le niveau du profit ? ou la
moralité des affaires ?
De nombreuses ONG ont
dénoncé l’inefficacité de cette circulaire quant à une vraie traçabilité de l’origine des produits
et de la destination de l’argent, qui parfois ravitaille en armes les groupes
armés, dont certains sont responsables de viols sur une grande échelle.
Déjà,
le 14 octobre 2014, 70 évêques du
monde entier, réunis à Bruxelles, avaient adressé un appel au sens des responsabilités de la part
de l’Union européenne. Ils demandaient le renforcement de la circulaire européenne
sur, entre autres, ces deux points :
« – Une responsabilité commune des entreprises d’un
bout à l’autre de la chaîne d’approvisionnement, des sociétés d’extraction
aux importateurs, fournisseurs et utilisateurs finaux qui commercialisent des
produits contenant des ressources naturelles issues des zones de conflit. Le
fait d’étendre la portée du règlement aux sociétés utilisatrices finales
permettra de répondre aux exigences des citoyens européens en matière de
moralité des chaînes d’approvisionnement. Les témoignages de solidarité et
d’empathie avec les victimes d’une violence désespérante ne seront plus trahis.
– Un système de diligence obligatoire et
ambitieux, mettant en œuvre les recommandations et bonnes pratiques du guide de
l’OCDE en matière d’exercice et de divulgation publique des efforts
déployés en vue d’un approvisionnement responsable. Pour avoir noué le dialogue
avec toutes les parties concernées et avoir été témoins au plus près de la
puissance des dynamiques qui s’affrontent dans les zones de conflit, nous
affirmons que c’est la seule façon de changer les paramètres de prise de
décision des entreprises et d’autres acteurs. »
En novembre 2014, le CCFD-Terre Solidaire a aussi lancé une action dans ce sens autour
de cette question cruciale pour les pays du Sud exportateurs de minerais. Le
slogan est : Des multinationales Hors-Jeu. Le marché à ses règles, les populations ont
leur droit.
On peut aisément établir un lien entre ces deux
démarches et la lettre du Pape François à
l’occasion de la Journée mondiale pour la paix du 1er Janvier 2015. Il y dénonce le nouvel esclavagisme : « Non plus esclaves, mais
frères. » Envisageant les différentes niveaux de responsabilité, il
évoque entre autres les Etats qui
doivent veiller
« à ce que leurs propres législations nationales sur les migrations, sur
le travail, sur les adoptions, sur la délocalisation des entreprises et sur la
commercialisation des produits fabriqués grâce à l’exploitation du travail
soient réellement respectueuses de la dignité de la personne (…) ainsi que des
mécanismes efficaces de contrôle de l’application correcte de ces normes, qui
ne laissent pas de place à la corruption et à l’impunité. »
A propos des entreprises, elles
« ont le devoir de garantir à leurs employés des conditions de travail
dignes et des salaires convenables, mais aussi de veiller à ce que des formes
d’asservissement ou de trafic de personnes humaines n’aient pas lieu dans les
chaînes de distribution ».
Enfin, il parle de nous, les consommateurs, évoquant notre responsabilité sociale. « En effet, chaque personne devrait avoir conscience qu’« acheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral » (Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, nn. 24).
Il me semble qu’au moment de la ruée vers les cadeaux de fin d’année, le souvenir de cette responsabilité peut être bénéfique.
[1] Cf. la section 1502 de
la loi américaine Dodd-Frank adoptée en 2010.