vendredi 11 février 2022

Intervention du Père Bernard Ugeux à la journée philosophique du Philosophat Isidore Bakanja à Bukavu (29 janvier 2022).

 

Le consortium inter-congrégationnel Isidore Bakanja a organisé sa journée philosophique annuelle dans le hall des Pères Xavériens à Panzi le 29 janvier 2022 sur le thème : Le progrès techno -scientifique, chance ou menace pour les valeurs culturelles africaines.

Ce sujet d’actualité a passionné les près de 200 auditeurs provenant de différentes institutions d’enseignement de Bukavu, de 9 heures à 14 heures. Ceux-ci ont apporté de nombreuses réactions et questions

Le premier orateur était le professeur Gyavira Mushizi (de Kinshasa, originaire de Bukavu, universitaire travaillant pour le gouvernement congolais) qui a évoqué un changement de paradigme dans la culture africaine entre autres dans le domaine de l’écologie et abordé certains sujets politiques.

Le professeur Bernard Ugeux, de la Faculté de Médecine de l’Université Catholique de Bukavu (UCB), Missionnaires d’Afrique, a été invité à aborder le sujet selon un angle anthropologico-chrétien.

D’emblée, celui-ci a voulu positionner sa réflexion dans le cadre d’un basculement civilisationnel qui se caractérise par trois mutations historiques qui font système et qui ont été évoqués il y a déjà une vingtaine d’années par l’auteur Jean-Claude Guillebaud. Il s’agit de l’économie avec la mondialisation, l’informatique avec Internet et les réseaux sociaux, la génétique avec le clonage. Ces trois mutations simultanées font système s’ajoutent et se conjuguent. Les Etats se montrent actuellement incapables de contrôler les conséquences économiques et politiques de ce basculement civilisationnel.

Ensuite, le thème du « progrès » techno-scientifique en Afrique a été abordé par le Père Bernard Ugeux dans le contexte d’une Afrique en processus de mondialisation et de plus en plus impactée par ces évolutions culturelles. Car il s’agit bien d’une véritable transformation culturelle qui influence les valeurs traditionnelles africaines.

Deux angles d’attaque ont été utilisés pour approfondir cette question : la biotechnologie et les technologies de communication, entre autres dans les réseaux sociaux. La perspective a été celle de l’éthique, éclairée d’une part par l’enseignement social de l’Eglise catholique, et d’autre part, par les valeurs traditionnelles africaines, spécialement celles en rapport avec le respect de la vie.  Les défis sont nombreux et nous ne pouvons développer l’argumentation présentée lors de la conférence dans le cadre de ce bref article.


L’objectif de l’exposé était de montrer que l’on ne peut se limiter à la question de savoir si les technosciences sont une chance ou un risque pour l’Afrique, car elle peut se retourner ainsi : dans quelle mesure est-ce que les valeurs culturelles africaines ne représenteraient pas une chance pour l’évolution des technosciences, qui actuellement présentent actuellement un risque de déshumanisation en Occident. Du coup, c’est l’Afrique qui devient une chance pour les technosciences.

Pour répondre à ces questions, il a d’abord été fait référence aux recherches actuelles en bioéthique dans un contexte africain, entre autres à la lumière de la thèse de Mgr Muyengo, évêque d’Uvira, en RDC.  Il écrit : « C’est la conviction que la vie est un don ; on ne négocie pas un don. En Afrique, la vie, quand elle s’annonce, on l’attend ; lorsqu’elle arrive, on l’accueille ; quand elle s’incline, on la redresse et lorsqu’elle s’en va, on l’accompagne ». Dans cette perspective, il montre par exemple, que le débat concernant le statut humain de l’embryon en référence au bombre de semaines est choquant pour les tenants de la culture africaine de la vie.

Le deuxième domaine qui a été considéré, et celui des technologies des réseaux sociaux et de l’éthique qui les concerne. On a d’abord considéré l’enrichissement pour l’Afrique de pouvoir participer aux réseaux sociaux avec tout ce que ceux-ci apportent comme avantages sur un continent enclavé et qui manque gravement de ressources en infrastructures ou en institutions de formation, par exemple. On a ensuite relevé les menaces que représente l’imposition sournoise d’une nouvelle culture entièrement à la solde des grands réseaux marqués par le néolibéralisme, avec toutes les conséquences sociales, économiques et politiques qui en découlent. Elles représentent un risque pour les valeurs traditionnelles africaines. La réflexion a portée sur : dans quelle mesure est-ce que la conception de la communication et de la fraternité traditionnelles en Afrique pourrait empêcher de devenir esclaves d’u usage individualiste des réseaux sociaux, sans aucun discernement ni perspective éthique. A ce propos, il a été été fait référence à la richesse de la philosophie de l’Ubuntu, qui provient d’Afrique du Sud.  Elle a été particulièrement mise en pratique par Nelson Mandela et Mgr Desmond Tutu. Elle affirme : « Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes », une autre façon de dire : «  Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes ». Ce qui renvoie aux valeurs de fraternité, d’hospitalité, de générosité, de partage, etc. Elle contrebalance ou s’oppose à l’esprit de compétition agressive qui règne sur de nombreux domaines de la mondialisation.

Cette façon d’aborder la question à partir du point de vue de l’Afrique peut paraître utopique, mais pour le professeur Bernard Ugeux, l’utopie est féconde et c’est elle qui nous propose des horizons. Elle mérite d’être essayée dans la pratique, vérifiée par l’expérience et évaluée. C’est un réel défi car l’Afrique du Sud, jusqu’à présent, n’a pas profité vraiment des apports de l’Ubuntu dans leur vie sociale encore marquée par beaucoup de violence.

 

NOUVELLE LETTRE DE LA SAVANE N°57 d'avril 2024

Chères amies, chers amis, Je souhaite de tout cœur à ceux et celles d’entre vous pour qui cela a une importance une bonne fête de Pâque...