vendredi 25 mars 2016

Lettre de la savane n°25 du 25 mars 2016





Cher(e)s, ami(e)s,

Vendredi Saint

Je vous écris un Vendredi Saint, une fois n’est pas coutume. Pour les chrétiens, ce jour rappelle non seulement que le Christ a été victime d’un faux procès, torturé et assassiné (« Le premier qui dit la vérité doit être exécuté » chantait Guy Béart), mais aussi qu’il y a encore aujourd’hui des millions de personnes qui sont victimes d’injustice, de violence, d’exclusion sociale, etc. Bruxelles, ma ville natale, vient d’être touchée à son tour par la violence aveugle. Je passe régulièrement par cet aéroport que je connais bien et cela m’a fait mal pour les victimes et pour leurs proches, pour ma ville et mon pays. Tout le monde est en état de choc. C’est quand on est touché dans sa propre chair qu’on prend conscience de ce que c’est d’être exposé à la violence alors qu’on croit vivre dans la sécurité. L’Occident découvre cette terrible réalité : dorénavant il n’est plus un petit paradis de bien être et de sécurité (pour beaucoup) dans un océan d’injustice et de pauvreté. Lui aussi est exposé à ce mal, comme on l’a vu aussi à Paris et ailleurs dans les capitales d’Afrique,…et tout le monde se demande à qui le tour

Ici en RDC, nous n’avons pas été épargnés non plus ces jours-ci, à une plus petite échelle, et dans un contexte où c’est facilement banalisé. Il y a quelques jours l’aumônerie de l’hôpital de la Fomulac, qui a longtemps travaillé avec l’Université de Louvain, a été attaquée par des hommes armés. Il n’y a pas eu de victime parmi les prêtres mais il s’en fallu de peu. Quelques jours après, un prêtre du diocèse de Goma, de l’autre côté du lac Kivu, a été criblé de balles alors qu’il allait célébrer la messe dans un village. C’est la seconde fois que cela leur arrive dans cette paroisse. Et l’attaque la plus récente est celle d’un prêtre assompsionniste, du diocèse de Beni, un peu plus au nord, qui a été assassiné car il tenait un site web qui dénonçait des exécutions et des massacres qui se poursuivent et qu’il attribuait aux autorités elles-mêmes. On reste d’ailleurs toujours sans nouvelle de ses trois confrères, enlevés il y a trois ans, on ne sait par qui. Ici, je me limite au clergé, pour une fois, mais pour le reste massacres, déplacements de population et parfois mutilations se poursuivent dans l’Est de la RDC (voir la Radio Okapi soutenue entre autres pas l’ONU: www.radiookapi.net/)

Mais il y a l’Espérance

Ce qui est beau, c’est d’une part, tous ces gestes de solidarité, d’entraide, de soutien mutuel qui éclosent quand le mal se déchaîne. On l’a vu à Paris, maintenant à Bruxelles, et ailleurs. En outre, je suis frappé par la façon dont des sociétés dites laïques ressentent le besoin de ritualiser leur chagrin et leur deuil, que ce soit sur les réseaux sociaux ou en se retrouvant sur une grand place symbolique pour y déposer bougies, fleurs, messages et inscrire leur émotions et leurs espoirs sur le sol et les murs. Le cœur de la ville se mue pour un temps en sanctuaire et la fraternité et la détermination de continuer à vivre s’affichent clairement. Enfin, ce qui se passe aujourd’hui comme violence sur le plan mondial encourage certains à s’interroger sur leurs causes profondes et ils commencent à découvrir les injustices structurelles dont nous sommes complices sans en être toujours conscients. C’est un grand progrès au niveau de la prise de conscience globale. Malheureusement, il y en aura toujours qui instrumentaliseront les fanatismes pour recommencer des guerres de religion.

Merci pour votre proximité

Pâques est tout proche, et c’est un grand moment d’espérance et de célébration, de communion dans la prière au-delà des lacs et des océans. Ici, c’est la grande mobilisation liturgique ! Je voudrais vous redire à quel point votre soutien affectif, moral et financier me, nous font du bien. Même si vous ne réagissez pas tous par écrit à mes circulaires, je reçois souvent des signes que vous les lisez, entre autres quand je suis en vacances, et pour certains à travers un partage matériel. Je crois beaucoup aussi au soutien de la prière quand on est en première ligne face au mal et au mépris permanent des droits humains, surtout ceux des femmes et des enfants. Parmi ceux qui, nombreux parmi vous, nous soutiennent par la prière, je voudrais évoquer pour la première fois le soutien de la prière monastique. Ma famille a été marquée par des moines et des moniales que j’ai côtoyés depuis mon enfance et qui n’ont pas été sans influence sur ma vocation. Moi-même, je prends chaque mois un temps de désert dans un monastère. Cela crée des liens très forts. Alors j’aimerais dire publiquement merci à ces monastères que je cite ici : dans la tradition bénédictine : Venière et En Calcat en France, pour la tradition carmélitaine : les carmels de Plappeville (Metz), Marienthal et Bukavu, pour la trappe : les trappistines de Murhesa (Bukavu), les trappistes de St Marie du Désert (Toulouse) et de Tamié (Haute-Savoie). J’en oublie sans doute. Ils nous aident à vivre autant que possible une tension féconde entre mission et contemplation.

Aimer et éduquer

Je suis frappé ces derniers temps, par l’importance d’une forme d’éducation permanente des personnes que j’aide et soutiens ici à Bukavu. J’y fais allusion dans mon petit livre sur la compassion. A côté du soutien à des institutions qui ont un cadre précis (comme les centres Nyota et Ek’abana qui accueillent les victimes des violences), je m’occupe d’un certain nombre de familles monoparentales victimes du massacre des parents ou de la misère qui les a jetées dans la rue. Certaines de ces familles sont dirigées par ce que j’appelle les « grandes sœurs », dont un certain nombre se sont échappées d’un long séjour comme esclaves sexuelles parmi les milices de tout bord. Ce sont donc des personnes très vulnérables sur les plans affectif, social et économique. Certaines jeunes femmes sont engagées dans un lent processus de résilience qui demande proximité et patience. Elles sont cependant contraintes par la nécessité à assumer les tâches et décisions d’une responsable de famille. Or, il y a des moments où les problèmes de santé, les conflits locaux, les dérapages économiques les confrontent à de nouvelles fragilisations. C’est là qu’elles attendent de moi une grande disponibilité, tant sur le plan affectif et spirituel que matériel. Il me faut alors, d’un côté, les sécuriser (c’est ce qui doit être maintenu à tout prix pour que la résilience se poursuive) et d’un autre, les responsabiliser afin qu’elles acquièrent progressivement leur autonomie. Il y a aussi à les éduquer dans des domaines comme la gestion de leur microcrédit, la prévention (eau, moustiquaire et surtout intervenir à temps quand un enfant tombe malade), les problèmes rencontrés à l’école ou avec des gens qui sont jaloux de l’aide qu’elles reçoivent, etc. Il y a là tout un jeu de transfert et de contre-transfert dont je suis bien conscient. Dans ces familles, il n’y a pas d’homme adulte, souvent elles sont coupées de leur famille et orphelines de guerre. Certaines ont vu leur père assassiné sous leurs yeux. Alors, je deviens le père, et elles me le répètent, comme un appel : « parce que tu es mon père tu ne peux me laisser tomber ». De mon côté, il me faut les rassurer que je ne les laisserai pas tomber, mais que je suis aussi le « père » de beaucoup d’autres personnes, et que je ne resterai pas éternellement à cet endroit. Tout cela doit être fait avec délicatesse afin d’assurer cette juste distance qui favorise sécurité et autonomie. C’est pourquoi je travaille avec une équipe. Ce qui me touche le plus c’est leur grande confiance, même si je découvre parfois que certaines ne me disent pas toute la vérité. Mais c’est une relation constructive qui me nourrit aussi, et me dépouille, car cela demande une disponibilité presque totale en même temps qu’une grand liberté intérieure. Toit cela, pour moi, illustre ce que j’appelle la compassion. Ce n’est pas seulement de l’empathie ou de l’assistance, c’est de la compassion où la dimension religieuse est très présente (car leur vrai Père, c’est Dieu) ainsi qu’un amour aussi gratuit que possible. 


Belle fête de Pâques, Bernard.


ASSEMBLEE EPISCOPALE PROVINCIALE DE KISANGANI SUR LA SITUATION DE LA RD CONGO.

« Que devons-nous faire ?...Repentez-vous » (Ac 2,37-38) Montrez par des actes que vous avez changé de mentalité. Message des Evêques membre...