mardi 25 avril 2017

Lettre N°29, du 19 avril 2017

Chères amies, chers amis,
Comme nous sommes encore dans l’octave pascale, je commence par vous souhaiter de Joyeuses Pâques, quel que soit le sens que vous donnez à cette fête. Je vous enverrai cependant ce message dans quelques jours seulement, après le premier tour des présidentielles en France, dans l’espoir d’avoir plus de chances d’être lu, vu le branle le bas de combat un peu ahurissant auquel nous assistons de loin ici à Bukavu. Dans notre ville, les fêtes se sont passées avec un grand renfort de célébrations, de chorales, de chemins de croix dans les rues. Avec des contrastes comme la célébration à la cathédrale avec une centaine de baptêmes et de confirmations (qui s’est terminée à 2h30 du matin) et la vigile que j’ai concélébrée à la prison centrale de Bukavu où le désespoir palpable rendait encore plus nécessaire, mais aussi plus difficile à accueillir, la célébration de la lumière et de la libération (1530 prisonniers dans une prison pour 540 personnes, avec plus de la moitié des détenus sans dossier  d’inculpation). Pourquoi l’Espérance que rappelle cette fête de Pâques mobilise-t-elle encore tant de gens dans le monde entier ? L’assassinat du Christ a été un échec total sur le plan humain au point que trois jours après, certains disciples effondrés rentraient chez eux (cf. le récit d’Emmaüs). Histoire banale d’un idéaliste qui parcourait les villages en parlant d’amour, de dignité humaine, de respect de la femme, et entraîna à sa suite des pauvres sans espoir. Avec pour conséquence classique son assassinat par une collusion de forces religieuses et politiques « pour assurer l’ordre public ». Bref, rien à signaler... Mais alors que les partisans sont planqués après l’exécution, craignant pour leur peau, et sont prêts à tout arrêter, arrive la nouvelle : il est ressuscité. Légende ! répondront certains... peut-être, mais elle a entraîné ces pleutres à mourir en en témoignant et actuellement plus d’un milliard de personne y puisent leur raison de vivre et d’espérer. Et cela fait plus de deux mille ans que cela dure...Il doit y avoir un truc! Qui sait? Cela pourrait intéresser les politiciens... Ce qui provoque cette louange et cette espérance, c’est qu’à travers tout, nous croyons que le mal, la haine, le mépris et la violence n’auront pas le dernier mot. Et que cela dépend aussi de nous. Et cela même dans un pays où règnent corruption et impunité, où les institutions n’ont plus de légitimité et où la monnaie a perdu 30% de sa valeur. Et aussi malgré les Trump, Erdogan et autres fascistes qui veulent contrôler les libertés et effacer les différences. Sans doute est-ce une utopie, mais l’utopie est féconde. C’est pour cela que je suis encore ici en RDC.
Une rencontre qui nous a bousculés 
Parmi les raisons d’espérer, il y a l’engagement de celles et ceux qui consacrent toute leur énergie à accueillir, soigner et réintégrer les victimes des violences. Comme le dit saint Paul : « là où le péché a abondé la grâce a surabondé ». Si la guerre dérégule toutes les valeurs morales allant jusqu’à des crimes contre l’humanité, elle suscite aussi des mobilisations sans précédent et des dévouements improbables. Et de cela je suis quotidiennement témoin.
Je viens de vivre un grand moment de fraternité et d’encouragement du 2 au 9 avril à Goma, dans le Nord-Kivu. Tout a commencé il y a près d’un an, quand la ministre des droits humains britannique est venue rendre visite à la commission Justice et Paix de l’Union des Supérieures Générales des congrégations religieuses à Rome (UISG). Après un séjour dans le Nord-Kivu (RDC), la baronne Anley s’était rendu compte que le réseau le plus fiable et le plus performant pour lutter contre les violences sexuelles et les trafics humains en RDC, ce sont les congrégations religieuses catholiques qui sont présentes sur la totalité du territoire et jusque dans les villages les plus reculés. Elle nous donc demandé de l’aider à diffuser le Protocole britannique dans cette région. Venant du gouvernement britannique, cela a provoqué un effet de surprise !! Ce Protocole international relatif aux enquêtes sur les violences sexuelles dans les situations de conflit (qui date de 2014), le gouvernement britannique veut le diffuser en Afrique, comme sur les autres continents. Comme j’étais à cette réunion pour témoigner du travail que nous faisons à Bukavu, j’ai fini par être chargé de l’organisation d’un atelier spécialisé dans ce but. J’y ai ajouté quatre jours de travail sur nos pratiques pastorales et psycho-sociales. Quarante personnes (experts compris) ont pu participer à cette semaine de travail sur les rives du lac Kivu. Basé sur une méthodologie inductive et interactive, l’atelier a permis un partage d’expériences et d’expertises qui a créé une grande fraternité et une solidarité entre tous ces acteurs de terrain. En effet, ils avaient tous été sélectionné(e)s par leur Supérieur(e) général(e) ou par leur évêque (pour les prêtres diocésains). Ils provenaient de l’ensemble du Congo, du Rwanda et du Burundi. Certains travaillent dans des zones de combat, d’autres dans des territoires sans route, dans un grand isolement. C’était donc important pour les unes et les autres de se retrouver avec les mêmes questions brûlantes et des cas difficiles à gérer. L’apport des experts locaux et étrangers a permis l’acquisition d’outils pour une meilleure gestion des conséquences des violences en zone de conflit. L’apport des experts du Protocole a permis de mieux s’approprier les enjeux juridiques des enquêtes et des poursuites dans le cadre de ces violences. Tant du côté de l’UISG que des Britanniques, cet atelier était considéré comme une expérience pilote. Nous sommes en train d’élaborer un document de référence qui devrait permettre à d’autres acteurs de s’approprier cette expérience pluridisciplinaire et d’en faire profiter d’autres, qui travaillent aussi avec des survivants de violences basées sur le genre, sur d’autres continents. Quelques jours après la clôture de l’atelier, le réseau a déjà commencé à se mettre en place et trois groupes relais ont déjà été créés à travers la RDC pour assurer un suivi, un partage d’expériences et d’outils et, le cas échéant, des supervision. Si la dureté de certains partages durant l’atelier a bouleversé et comme introduit au Vendredi Saint, la joie de la fraternité créée spontanément anticipait celle de la Résurrection (je deviens lyrique ! mais osons). 
Une extraordinaire déperdition d’énergie.
En RDC, les femmes jouent un rôle déterminant pour assurer une économie informelle qui permet une survie (très fragile) de familles pléthoriques. Le pourcentage d’hommes qui disparaissent sans laisser de traces après avoir conçu au moins une bonne demi-douzaine d’enfants est très élevé. Les familles monoparentales gérées par des femmes sont légion. Sans oublier les veuves de guerre et les femmes abandonnées par leur conjoint après la « souillure » du viol.
Quand on parcourt les rues d’une ville moyenne de l’Est, on est frappé par le nombre de femmes et de jeunes filles alignées le long des rues face à quelques paires de chaussure, des mesures de farine ou d’huile, et d’autres biens de consommations irremplaçables. Bukavu finit par compter un million d’habitants dont une bonne partie sont des déplacés de l’intérieur qui ne désirent rien d’autre que de rentrer dans leurs collines et de cultiver leur terre. Or il est devenu trop dangereux d’aller cultiver ou puiser de l’eau dans certains territoires, occupés par une grande diversité de groupes armés (on en compte une quarantaine dans le Nord-Kivu). Un bon nombre sont financés par des hommes politiques locaux ou nationaux ou des entreprises étrangères. En passant huit heures par jour assises au soleil, ces mamans n’ont aucune garantie de ramasser assez d’argent pour nourrir la famille décemment le soir. Quel gaspillage. Une autre perte scandaleuse d’énergie est celle de tous ces diplômés d’université ou de grandes écoles, promus chaque année grâce aux énormes sacrifices de leur famille. Comme il n’y a pas de création d’emploi par l’Etat, dans ce pays aux ressources illimitées, ces titulaires de maîtrise et de licence de toutes disciplines traînent désespérément dans les rues à chercher un travail de gardien de magasin ou de tondeur de gazon chez les riches. Certains montent des ONG bidons dont le but principal est d’en tirer un salaire. Notre évêque faisait remarquer que c’est pour cela qu’ils sont si nombreux à finir dans les groupes armés... C’est sans doute ce qui m’indigne le plus. Cet immense potentiel de jeunesse et de compétence laissé à l’abandon, devenant pour finir une bombe à retardement pour tout déferlement éventuel. Les paroisses et les aumôneries essaient de les encadrer, mais elles ne peuvent répondre à leur principale aspiration : devenir utiles à la société et fonder un foyer...
D’où l’importance du travail que réalisent les centres d’accueil d’Ek’abana et de Nyota soutenus par Germes d’Espérance que certains parmi vous promeuvent activement. Cette année, les bénéficiaires sont au nombre de 279 au centre Nyota. Les jeunes filles en sortent avec un métier et parfois un kit de réinsertion... et retrouvent le sourire et la confiance dans l’avenir. C’est aussi une histoire de résurrection où le dévouement de l’encadrement est impressionnant avec des salaires insuffisants, mais qui proviennent du sens de la justice des lointains amis. Alors, merci encore une fois et gardons l’Espérance ! 
Bernard

NOUVELLE LETTRE DE LA SAVANE N°57 d'avril 2024

Chères amies, chers amis, Je souhaite de tout cœur à ceux et celles d’entre vous pour qui cela a une importance une bonne fête de Pâque...