samedi 24 juillet 2021

Le Père missionnaire d'Afrique Bernard Ugeux a livré une interview aux journalistes du journal La Croix Africa sur la situation des filles victimes d’abus qui sont accompagné par le centre Nyota en RD Congo


Le centre Nyota, dans le diocèse de Bukavu, dans l’est de la RD-Congo, contribue à la formation et à l’éducation intégrale des jeunes filles, notamment celles marginalisées, ou victimes de violences sociales ou sexuelles.

Le père Bernard Ugeux, prêtre de la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères blancs) explique à La Croix Africa l’importance de cette structure qu’il soutient depuis quelques années.

La Croix Africa : Pouvez-vous nous présenter brièvement le centre Nyota ?

Père Bernard Ugeux : Le centre a été créé en 1986 par les sœurs Dorothée de Cemmo en vue de contribuer à la formation et à l’éducation intégrale des jeunes filles, particulièrement celles qui sont abandonnées, marginalisées, ou victime de violences sociales ou sexuelles. Il accueille 250 jeunes filles et fillettes durant la journée, sur une durée de trois à cinq ans, afin de leur permettre de se reconstruire.

Ce centre a été pillé à l’occasion des guerres à répétition de l’est de la RDC, ce qui a poussé religieuses à partir. Ce sont des laïcs qui ont repris la mission de cette structure, en lien avec le diocèse. Le centre Nyota met en place une méthode d’accueil, de formation et de réintégration dans la société de ces victimes d’enlèvement, d’esclavage sexuel par des groupes armés, de prostitution de mineures, ou qui sont enfants en situation de rue, ou n’ayant reçu aucune scolarisation à cause de la pauvreté ou de l’insécurité.

Comment se font la prise en charge et l’accompagnement ?

B. U. : Ces jeunes filles sont amenées au centre par les paroisses, des personnes de bonne volonté, la police des mineurs, d’autres jeunes qui les ont rencontrées et sensibilisées. Elles ont en commun une très grande vulnérabilité et l’impossibilité économique et sociale d’être scolarisées. Elles sont prises en charge individuellement sur une durée de trois à cinq ans ou leur évolution est suivie de près par une équipe d’animation composée d’une quinzaine de personnes très dévouées. Durant les trois premières années, on les prépare au certificat d’école primaire. Parallèlement, une formation professionnelle est fournie (coupe et couture, petit commerce, cuisine, savonnerie). Certaines poursuivent pendant deux ans une professionnalisation en coupe et couture et présentent le jury national.

L’accompagnement est holistique : il est individualisé, il est communautaire grâce au climat de confiance et d’affection que fournit le centre. Il est psychologique par le suivi personnalisé mais aussi social par la réintégration progressive de la personne dans la société et les enfants sont dans leur famille ou des familles d’accueil. L’accompagnement est aussi économique par l’acquisition d’un savoir-faire qui permet une prise en charge économique. Il est également spirituel par la préparation aux sacrements pour celles qui sont catholiques, le centre étant ouvert à toutes les religions et confessions dans un respect des identités. Le centre vit essentiellement de dons, il est donc le produit d’une solidarité entre communautés chrétiennes.

Quelles leçons peut-on tirer de cette expérience ?

B. U. : Un grand nombre de ces jeunes filles ont été traumatisées et doivent passer par un processus de résilience qui consiste à retrouver une estime de soi, une autonomie affective et relationnelle, une confiance dans la société et une capacité de faire des projets. Celles qui ont vécu les violences les plus graves ont besoin de temps pour guérir de leurs blessures intérieures. D’où la durée de 3 à 5 ans de la prise en charge.

Apprendre un métier manuel les aide à se réconcilier avec leur corps qui a été profondément humilié et dévalorisé. Il n’est pas possible de fournir à toutes les victimes de traumatismes, dans nos régions ravagées par la violence, des thérapies individuelles par des professionnels, par manque de moyens et de compétences. Mais notre centre démontre que, grâce au dévouement du personnel et à l’approche holistique de la résilience, une réelle reconstruction est possible.

Les valeurs évangéliques sont vécues au quotidien dans la qualité des relations entre les jeunes et avec les formatrices. Comme beaucoup n’ont pas d’état civil, le centre finance les démarches juridiques nécessaires pour que toutes aient un acte de naissance qui leur permette de se prendre en main le jour où elles se lancent dans la vie avec leur projet personnel. Cela fait partie de l’approche holistique : transformer des victimes en citoyennes et en militantes de la paix et de la justice.

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