lundi 8 avril 2024

NOUVELLE LETTRE DE LA SAVANE N°57 d'avril 2024

Chères amies, chers amis,

Je souhaite de tout cœur à ceux et celles d’entre vous pour qui cela a une importance une bonne fête de Pâques. Pour les chrétiens, la résurrection du Christ offre une espérance dont beaucoup ont besoin aujourd’hui dans cette atmosphère mortifère qui baigne autant la géopolitique que la morosité économique qui domine nos espaces médiatiques. Croire que la mort n’aura pas le dernier mot apporte une lumière aux membres des Eglises chrétiennes.

Fleurs de Pâques dans notre chapelle

A Bukavu, cela a d’autant plus d’importance qu’à une centaine de kilomètres les combats se poursuivent pour contrôler une partie des richesses de notre région, et que les déplacés de l’intérieur atteignent le chiffre de presque 7 millions1. Les médias occidentaux n’en parlent pas. Croire que le mal et la mort n’auront pas le dernier mot, et que les acteurs de paix et de justice finiront par l’emporter, est un soutien déterminant pour les personnes qui en grande majorité sont en situation de survie. Beaucoup de familles ne mangent pas tous les jours, et à cela s’ajoute les réfugiés qui proviennent des zones de violence.

Carême et temps pascal

Chemin de croix

La ferveur populaire domine la période du carême et de Pâques. Quelques chiffres. Chaque vendredi, sur notre propriété, environ 400 personnes ont participé au chemin de la croix. Personnellement, j’ai donné une retraite de trois jours dans la paroisse des jésuites proche de chez nous à laquelle plus de 1000 paroissiens ont participé. A la vigile pascale, 310 jeunes et adultes ont été baptisés dans la paroisse de nos confrères de Buholo. Le jour de Pâques, dans notre chapelle et tout autour plus de 500 personnes provenant des quartiers aisés de la ville ont participé à la vigile et à la célébration dominicale. Moi-même j’étais en dehors de Bukavu avec 45 jeunes universitaires pour une retraite de Pâques de quatre jours. Un signe de leur implication : en arrivant, tous ont déposé leur Smartphone dans un panier, qu’ils n’ont récupéré que le jour de Pâques. Ce qui donnait une atmosphère de recueillement et de           silence impressionnante. En outre plus de 35 de ces jeunes ont demandé à me rencontrer pour un accompagnement personnalisé.

Faut-il dire qu’une telle implication, ainsi que la joie qui a éclaté la nuit pascale, représentent un grand soutien pour moi-même et mes confrères dans notre engagement au service de ces populations.

Les garçons à la retraite….


…et les filles

Les élections en RDC

Le président a été réélu avec 73 % des voix dans des élections que l’Eglise catholique a qualifiées de chaotiques. 90% des parlementaires appartiennent à la mouvance de son parti l’UDPS. Une nouveauté : pour la première fois depuis l’indépendance, une première ministre Judith  Suminwa  Tukuka  a été  choisie  pour gouverner le pays. Les défis sont importants : inflation galopante, dévalorisation de la monnaie nationale, combats dans l’Est, économie extractive dépendante des multinationales étrangères, réseau routier impraticable dans les zones rurales, contraste entre le salaire des représentants du peuple de 33.000 $ par mois et les 300 $ mensuels d’un enseignant ou d’un militaire, etc. La population attend que le nouveau Président applique les promesses de la campagne électorale, entre autres en termes de création d’emplois et de réfection du réseau routier, etc.

Une grand-route parmi d’autres.

Nouvelles de         l’école     de    menuiserie      de Kamituga

La construction de l’atelier de 16 m sur 10 qui recevra 4 machines à bois électriques se poursuit lentement car la route qui mène à Kamituga est bloquée depuis plusieurs semaines à cause des pluies. Dès que le ciment sera arrivé, les travaux se termineront (12190 $3). 4 machines à bois d’occasion  d’Europe  sont  prévues  pour  un montant de 12770 $, rendues sur place. Trois sont déjà à Bukavu. Cet équipement permettra de mieux former les élèves de l’école de menuiserie et de faire fonctionner celle-ci comme unité de production en dehors des cours. Il faut y ajouter une soufflerie et la formation des enseignants actuels dans l’usage pratique de ces machines. Nous sommes confiants que nous y arriverons pour le mois de juin qui sera dans la saison sèche et je compte aller sur place pour l’inauguration.

L’atelier en construction


Type de machine utilisée en RDC

Nouvelles de Centre Nyota


Comme chaque année la journée internationale des droits de la femme a été célébrée avec ferveur. A cette occasion, notre enseignante, Liliane a prononcé une conférence remarquée sur la façon dont les jeunes filles du Centre Nyota peuvent se lancer dans des petits projets d’auto-prise en, charge sans grands moyens. Elle est une des animatrices de l’Ecole de la Paix qui propose, comme activité extra-scolaire une formation aux droits de la femme et à la médiation lors de conflits. C’est important pour ces jeunes filles qui ont été victimes de violence. Elles deviennent actrices de paix dans leur milieu.

Liliane Mugula Mugoli en pleine action

L’avocate Marie Alliance Chishugi a aussi rappelé certains articles du Code civil qui protègent les droits des femmes. Cette célébration a ensuite été émaillée de poèmes, de chants, de danses et des saynètes. Celles-ci portent chaque année sur des événements dramatiques de violences que beaucoup des accueillies ont vécus. Ils sont mis en scène par les élèves. Toute la culture locale est marquée par les violences subies. Un jeune journaliste me disait : je suis né dans la violence, j’ai grandi dans la violence, vais-je encore continuer à vivre dans cette violence ? Jusqu’à présent l’Etat est incapable de la contrôler quand il n’est pas lui-même une des causes.
Une bonne nouvelle. Nous venons d’installer l’énergie solaire au Centre Nyota (2430 $). C’était devenu nécessaire depuis que nous avons commencé un petit projet de formation en informatique. Le réseau local n’est pas fiable avec tous les délestages imprévisibles.


Les membres d’un groupe armé incontrôlé assassinent des femmes qui ont essayé de leur résister (joué par les filles). 


Le        projet       d’association        de      Germes d’Espérance  
Vous vous souvenez que l’été dernier a été organisé une soirée avec les amis de Germes d’Espérance à la paroisse des Minimes à Toulouse pour envisager l’avenir de ses activités, particulièrement en vue du jour où Bernard Ugeux devrait quitter le pays pour une raison ou l’autre. Mon père nous répétait : « prévoir, c’est gouverner ». Un noyau de personnes de bonne volonté de France et Suisse a commencé à se réunir pour réfléchir à la pérennisation des engagements de Germes d’Espérance en RDC.
Jusqu'à présent Germes d’Espérance n'a pas d'existence juridique, c'est juste un réseau de personnes ou d'associations qui soutiennent financièrement les œuvres dont je vous parle régulièrement. Dans l'idée d'assurer une continuité, ce noyau prépare actuellement un projet de création d’association selon le droit français, peut-être une association suisse verra-t- elle le jour plus tard. Par ailleurs, les participants du noyau se sont bien impliqués dans l’accompagnement de la création de l’atelier de menuiserie de Kamituga dont il a été question plus haut.
Par ailleurs, ils comptent se pencher sur de nouveaux moyens de faire connaitre le réseau Germes d’Espérance et ses activités humanitaires et caritatives, entre autres dans le but de trouver de nouveaux donateurs En effet, une bonne partie de mes amis qui nous soutiennent prennent de l’âge. J’ai aussi proposé d’utiliser les réseaux sociaux pour faire connaître la situation dramatique de l’Est de la RDC dont les médias ne parlent pas et l’héroïsme et la résilience des Congolais. Notez que si notre site est régulièrement visité, il y a peu d’abonnés (gratuits). Pensez-y. Mais je sais que beaucoup sont submergés d’infos et les nôtres ne sont pas toujours exaltantes…
De quoi Germes d’Espérance vit-il ?
Ceux et celles qui les demandés ont reçu les comptes de l’an dernier : notre budget était de 73458 €. Comme nous ne recevons rien de l’Etat congolais (qui nous reconnaît) ni de l’Eglise locale (à part les locaux que nous entretenons), la quasi-totalité des dons sont individuels et ponctuels, à part une quinzaine de dons mensualisés et le soutien ponctuel de deux petites associations (Toulouse et Milan). Nous vivons ainsi au jour le jour et nous nous émerveillons de ce réseau fragile mais vivant de personnes qui, malgré l’éloignement et la conjoncture si difficile en Europe également, continuent à se montrer solidaires de notre lutte pour redonner l’espoir à ces jeunes filles et jeunes femmes. Nos deux équipes de formation vous en remercient vivement ainsi que les bénéficiaires…
« Et toi dans tout cela ? »
Quand je suis en congé en Europe, de temps en temps des amis ou des parents me posent la question : quand as-tu l’intention de rentrer d’Afrique, vu ton âge ? J’ai l’habitude de répondre : « Tant que j’ai la santé et que mes supérieurs pensent que je peux être utile je suis prêt à rester aussi longtemps que possible ». Est-ce une forme d’acharnement ou de peur d’un changement de vie en Europe ? Je perçois plutôt ma présence ici comme une fidélité à une alliance. Je suis arrivé pour la première fois au Congo il y a 53 ans, mais je n’y ai pas toujours vécu. L’année prochaine, le 17 mai 2025, je célèbre les 50 ans de mon serment missionnaire, ce qui chez nous signifie l’engagement religieux définitif. Je compte bien célébrer avec vous, chers amis et amies, mon action de grâce.
Ces photos sont tirées de la messe de Pâques avec les jeunes universitaires du mouvement marial.

Je reste profondément heureux d’être prêtre et missionnaire. J’ai énormément reçu de l’Afrique et des Africains et je me sens vraiment chez moi en RDC, même s’il existe cet adage répandu sur ce continent : « Un tronc d’arbre qui trempe longtemps dans l’eau ne devient pas un crocodile ». Donc je reste par certains aspects un étranger, même si les Congolais me disent, quand ils apprennent que je suis arrivé ici la première fois en 1971 : « toi tu es Congolais ». Il est vrai que ce long séjour au Congo et en Tanzanie me permet de comprendre assez bien la culture et les réactions des peuples africains avec lesquels j’ai vécu. Et en même temps je reconnais que j’ai une sensibilité différente et, sur un certain nombre de sujets, une vision qui s’enracine dans mes origines et ma culture familiale et nationale.

Par ailleurs, par mon origine, mon histoire, ma formation et mon parcours tant sacerdotal que professionnel, je me sens profondément privilégié. J’ai reçu gratuitement, il est normal que je donne gratuitement. Témoin de la situation dramatique dans laquelle un grand nombre de personnes que je côtoie quotidiennement vivent, je me sens profondément habité et solidaire des défis que je rencontre autour de moi, admiratif de l’extraordinaire courage de ces populations qui se battent pour survivre et garder leur dignité. Ma présence apporte de l’espérance à un grand nombre de personnes à cause précisément de tout ce que je représente auprès d’elle grâce à ma congrégation et au réseau de Germes d’espérance. C’est cela que j’appelle l’alliance et j’aime cette définition de l’amour : « aimer, c’est être habité ».


Actuellement, j’ai des engagements qui me demandent une très grande disponibilité, de la souplesse, de l’ouverture et de l’espérance. Mon service à la formation permanente pour l’ensemble de notre congrégation où j’avais une autonomie presque totale et une grande mobilité a duré une dizaine d’années. Je suis revenu maintenant à la formation initiale, au cycle de philosophie qui concerne de jeunes Africains en formation. Cela me demande une grande adaptation à un cadre beaucoup plus contraignant que celui dans lequel j’ai évolué ces dernières années. Il y a des astreintes de présence et de disponibilité, une adaptation à des horaires et à une alimentation, qui ne sont pas toujours évidentes. Pourtant, être au milieu de ces jeunes, et de jeunes confrères formateurs, comme un ancien qui jouit de quelques décennies d’expérience de formation, m’apporte beaucoup de joie et me rajeunit. D’autant plus que cela ne m’empêche pas de continuer des engagements à la formation continue où j’aborde les défis actuels ni de poursuivre mon investissement pour Germes d’espérance. En outre, avec l’âge, je ressens le besoin de plus en plus profond de consacrer du temps au silence et à la prière. Le fait de vivre sur cette presqu’île, ou en 1981, j’ai participé à la fondation de cette maison où je vis aujourd’hui, me donne un cadre porteur pour de longs moments de recueillement au début de la journée.

Le 18 mars dernier, je me retrouvais avec mes confrères formateurs pour un temps de recueillement, à l’écart. À partir du thème traité, je me suis noté ce qui suit que je vous partage en toute simplicité.

« Là où est ton trésor, là est ton cœur » (Matthieu, 6,21). Où est mon trésor, quel est mon désir profond ? Quelle est ma source, ce qui donne sens à ma vie ? J’ai profondément conscience de mon âge, de mon vieillissement, même si actuellement ma santé est bonne. Mais j’ai déjà vécu plusieurs opérations. Le Seigneur me donne un bonus… de combien d’années encore en bonne santé… ? En vue de quoi ? Quand j’étais plus jeune, je sentais le besoin de prouver des choses, de me valoriser. Maintenant, mon désir profond est de vivre toujours plus totalement de la tendresse de Dieu, et que tout ce que je vis et fais aide les gens que je rencontre à se découvrir aimés par le Seigneur, sans limite. Séminaristes, étudiants, consacrés, paroissiens, confrères, victimes traumatisées… que je sois pour eux et elles le visage de la tendresse de Dieu, de sa compassion. Tout le reste est secondaire, …bientôt il ne me restera plus rien que mon Dieu. »

Merci de continuer à cheminer avec nous.

Amicalement, Bernard Ugeux

J’enseigne à l’Université Catholique de Bukavu, à la Faculté de Médecine, en Master en santé publique et communautaire. Cette année il y avait 80 médecins. Les voici en travail de groupe.





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