L’orage tropical se
déchaîne sur la ville au moment où, dans l’obscurité, les neuf fillettes se
faufilent dans la maisonnette qui vient de s’ouvrir à elles. En haillons,
sales, certaines dévorées par la galle, elles vont enfin pouvoir dormir
ailleurs que sous un arbre ou dans une carcasse de voiture. Cela fait combien
de temps qu’elles ont étés chassées de la maison familiale, accusées de
sorcellerie ? parfois des mois… Les unes, parce que la nouvelle épouse de
leur papa ne veut plus d’elle. Une d’entre elles est accusée d’avoir provoqué
les fausses couches de la seconde épouse. Une autre de l’anémie de sa tante…
Mais, en réalité, c’est bien souvent parce que la misère est telle à la maison
qu’on ne peut ou ne veut plus les nourrir et les loger, surtout si elles
viennent d’un autre lit. Enfin ! Aujourd’hui, elles passeront la nuit au
sec, même si le confort est relatif avec de simples couvertures qui recouvrent
le ciment.
Par quel hasard
échouent-elles ce soir là dans ce gîte providentiel ? C’est d’abord
grâce à des animatrices d’un centre pour enfants de la rue qui faisaient une
enquête sur les garçons abandonnés. Elles ont alors découvert qu’il y avait
aussi des fillettes qui avaient été chassées de leur foyer, accusées de sorcellerie.
Certaines étaient passées par des « chambres de prière » où un
pasteur les obligeait à rester enfermées seules dans une chambrette, durant de
nombreux jours, sans manger ni boire, les amenant régulièrement pour de
bruyants rituels de guérison ou de dépossession dont ils ont le secret, très
lucratifs. Terrorisées, quelques unes ont réussi à s’enfuir et se sont
retrouvées dans les terrains vagues et les détritus de la cité. Touchées par ces témoignages, les jeunes
enquêtrices apportèrent leur rapport au responsable, décidées à venir en aide à
ces petites abandonnées. Mais il n’en était pas question.
« Pas de
sorcières dans notre centre ! », déclare celui-ci, qui tient à sa réputation.
Les animatrices sont atterrées. Elles apprennent alors qu’une personne s’occupe
de handicapés et est particulièrement accueillante. C’est ainsi qu’elles
viennent plaider la cause des petites auprès de N., une assistante sociale
appartenant à un institut séculier, qui est bien embarrassée. Comment les accueillir ?
Celle-ci réalise soudain que la maisonnette qu’elle vient de recevoir pour commencer
un secrétariat public pour des handicapés pourrait les accueillir au moins pour
quelques jours. Elle se dit : « puisque j’ai cette clé en poche au
moment où les enfants me sont amenées, je ne puis refuser ». Mais elle
exige que deux animateurs les accompagnent car elle ne peut assurer la
permanence. Elle est surtout préoccupée des réactions du voisinage si on sait
que des « sorcières » sont hébergées dans le quartier. Est-ce un
signe du ciel ? Au même moment arrivent dans la ville un grand nombre
d’enfants non-accompagnés qui proviennent de l’autre côté du lac, où la ville
vient d’être en partie ravagée par un volcan en irruption. Les petites seront
donc assimilées à ces enfants non accompagnés. Pourtant, à ce moment, N. se
demande si c’est vraiment à elle d’assumer ses enfants, car elle a d’autres engagements
dans un centre social et vis-à-vis des handicapés.
Elle cherche un signe
car elle n’a pas actuellement les moyens de les prendre en charge. Or voici
que quelques jours après, elle reçoit un gros colis d’Italie remplis de
vêtements, de pyjamas et de chaussures pour fillettes… Elle considère alors
qu’elle a reçu sa réponse et décide de s’investir à plein temps dans l’aventure.
Quelques handicapés sont aussi engagés pour certains services au foyer naissant.
Ils deviennent vite nécessaires car, en peu de temps, les 6 copines de celles
qui étaient arrivées chez N. ont retrouvé leurs traces et demandent aussi
l’asile. Après deux mois, elles sont plus de vingt, pas toutes accusées de
sorcellerie. Certaines ont été battues et chassées de la maison sans motif
sérieux, d’autres ont été violées et ont besoin d’être reconstruites… On sait qu’un
enfant battu par un adulte pense que c’est de sa faute. Aujourd’hui, 8 ans
après, le foyer accueille 37 enfants pour une durée parfois de plusieurs années,
le temps pour elles de retrouver un nouvel équilibre et, pour les familles,
d’accepter une médiation progressive afin de les réinsérer dans leur milieu. 70
filles sont retournées en famille, certaines sont encore aidées pour leur
scolarisation. Mais il y a aussi 600 autres fillettes en difficulté qui ont été
repérées par les animateurs et qui ont besoin d’aller à l’école.
Grâce aux comités de
vigilance créés dans les paroisses, elles ont été enregistrées et en partie
prises en charge afin d’être scolarisées (l’enseignement primaire est
payant dans ce pays !). Cette action s’est accompagnée de campagnes de
sensibilisation des parents à propos des violences enfantines. On leur rappelle
que le fait d'accuser une personne de sorcellerie est punissable par la loi.
Quant aux aînées qui ont terminé leur scolarisation, un cours de coupe couture
et la fourniture, à la fin de l’année, d’une machine à coudre aux plus
investies d’entre elles, leur évitent de retourner à la rue (et parfois à la
prostitution ; un tiers sont des mamans célibataires). Enfin, puisque la
cause de ces drames est la pauvreté, les familles de ses enfants qui sont sans
revenus reçoivent des instruments aratoires pour cultiver un lopin de terre, améliorer
leur subsistance et acquérir une nouvelle autonomie…
Faut-il dire que tout cela ne se fait pas sans une détermination et une espérance dont N. ne se départit pas ? Avec très peu de moyens, et uniquement l’aide d’amis africains et européens, elle s’active à faire fonctionner ce foyer au jour le jour avec une équipe de jeunes animateurs… La plus belle récompense ? Le retour à la maison quand c’est possible… En attendant, ce sont les rires et la joie des enfants quand on s’approche du foyer, même si certaines restent encore fragiles… Mais elles s’essaient tout doucement à commencer un chemin de pardon… Nous les prenons par la main. J’écris ton nom « Espérance ».
B. Ugeux
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