lundi 2 mai 2022

Nouvelle lettre de la Savane N°49 d'avril 2022

 

Chers amies, chers amis,

En ce temps pascal, je souhaite à tous ceux et celles pour qui cela a un sens une belle fête de la résurrection. Croire que la mort n’a pas le dernier mot dans notre vie est source d’une grande espérance alors qu’autour de nous il est si souvent question de violence et de massacres. Que cette espérance nous aide à regarder l’avenir avec confiance malgré tous les soubresauts de notre monde aujourd’hui.

Comme vous certainement, je suis très touché par l’horreur de ce qui se passe en Ukraine et qui mobilise les médias. Nous pensions que ce genre de guerre n’existerait plus en Europe, et voilà qu’un seul homme déséquilibre presque tous les repères de notre planète, alors que l’épidémie de Covid nous avait déjà renvoyé à nos fragilités.  Avec le risque d’oublier les autres lieux du monde, comme notre pays, où les déplacés se comptent par millions et où il n’est pas possible de dénombrer les morts et les victimes de violence.

Que ce soit ici ou là, ce qui pour moi reste une raison d’espérer, c’est l’extraordinaire mobilisation de compassion et de solidarité que provoque chaque drame dans notre monde.

                                      

Partout et toujours, il y a des personnes qui donnent le meilleur d’elle-même quand elles en voient d’autres souffrir autour d’elles. Je me dis souvent : « tu as reçu gratuitement donne gratuitement ». Et vous en faites partie, vous qui continuez à nous soutenir, alors que vous êtes tellement sollicités, conscient(e)s que sans votre soutien, ces centaines de victimes que nous accueillons chaque année n’auraient pas d’avenir. Vous savez à quel point nous vous en sommes reconnaissants. Vous trouverez ci-dessous le lien vers une vidéo que nous avons produite -avec les moyens du bord – pour partager le témoignage de personnes accueillies et d’animateurs du centre Nyota.

Cette année encore, j’ai eu l’occasion de célébrer la Semaine sainte avec des jeunes universitaires dans le cadre d’une retraite de trois jours. J’ai été frappé une fois de plus par le sérieux de leur engagement. Dès l’arrivée, chacun remet son smartphone aux animateurs qui leur restituent à la fin de la vigile pascale. C’est alors l’immersion dans un grand silence où alternent chaque jour deux conférences et la célébration du jour, avec des temps de prière personnelle et quelques carrefours. Les célébrations bien préparées par la chorale et l’équipe liturgique sont des temps forts où je m’inspire d’apports nouveaux pour eux comme la vénération de la croix dans la tradition de Taizé ou l’annonce de la résurrection par trois jeunes femmes, comme dans les évangiles, inspirée par la Conférence des Catholiques de France.



Sur les quarante-six participants, garçons et filles, j’en ai reçu trente qui souhaitaient avoir un contact personnel avec moi. Ce fut l’occasion pour moi de les rejoindre dans un quotidien très difficile. Beaucoup ont de sérieux problèmes familiaux. Certains n’arrivent qu’à grand-peine à assurer les frais académiques, sans parler du coût des vêtements, de la nourriture, des déplacements et les fournitures diverses.

Je suis impressionné par leur courage et leur détermination, alors qu’ils ne se font pas d’illusions quant à la possibilité de trouver du travail quand ils seront diplômés, étant donné qu’il n’existe pratiquement pas de création d’emplois dans cet immense pays au potentiel illimité, dont les richesses sont accaparées par quelques-uns ou exportées.

Au centre Nyota de Bukavu ainsi qu’à l’école de menuiserie de Kamituga, les activités de formation et de réinsertion se poursuivent normalement malgré une forte augmentation du coût de la vie, particulièrement en ce qui concerne les transports. Soulignons quatre activités récentes : l’apport de repas protéinés à une cinquantaine de filles accueillies qui souffrent de grave malnutrition, le développement de la formation à l’éducation à la paix proposée aux jeunes volontaires afin que, de retour dans leur milieu, elles qui ont tellement souffert de la violence, deviennent des médiatrices de paix. La poursuite des démarches administratives pour obtenir une attestation de naissance pour une cinquantaine de filles cette année, qui n’ont aucune pièce d’identité.

Et enfin, la création d’une unité de production artisanale de savon nous permet de former des jeunes à cet artisanat en complément aux autres formations professionnelles qu’elles reçoivent durant les trois à cinq ans qu’elles passent dans notre maison. Je rappelle que chaque année elles sont au nombre de 250 minimum, en externat. Inutile de préciser que sans votre soutien aucune de ces activités ne serait possible en plus des frais de salaires et de fonctionnement.


Peut-être avez-vous entendu parler des coups d’état successifs dans plusieurs pays du Sahel (Guinée, Mali, Burkina Faso). Ceux-ci ont entraîné l’expulsion du Mali des troupes françaises de l’opération Barkhane. Les populations de ces pays ont développé un rejet des troupes européennes à qui elle reproche d’être inefficaces depuis de nombreuses années et de rechercher leurs propres intérêts économiques. Cela est évidemment très mal perçu par les pays européens, qui oublient souvent qu’ils sont d’anciens Etats colonisateurs. Le pillage des matières premières par les multinationales occidentales qui se poursuit sans vergogne avec souvent le soutien de leurs Etats entraîne un rejet de l’Occident et parfois du Blanc, qu’on ne comprend pas vu de loin. Les Occidentaux disent : « nous venons les aider et ils nous rejettent ». On ne peut nier que leur présence peut s’expliquer par des demandes de certains gouvernements africains et qu’elle a pu, à certains moments, éviter un renversement violent de régime. Mais le fait que cette présence s’est installée alors que les gouvernements changent sur place entraîne des soupçons. Au point de préférer faire appel aujourd’hui à des troupes (ou des mercenaires) russes, au Mali ou au Cameroun par exemple, dont la réputation de brutalité n’est pas à prouver. Les Occidentaux le vivent d’autant moins bien qu’on découvre comment ces troupes se conduisent actuellement en Ukraine. Mais ce rejet devrait nous encourager à un certain examen de conscience concernant une forme de paternalisme militaire – du moins c’est comme cela que c’est perçu – qui provoque des méfiances dont nous-mêmes qui vivons sur le terrain depuis très longtemps faisons parfois les frais. Sur le plan économique, l’exportation quasi systématique de matières premières à l’état brut (minerais ou forêt) sans aucune transformation locale est perçue comme une forme de prolongation du colonialisme. Créer des entreprises de transformation de ces produits permettrait la création de milliers d’emplois locaux. Il y a suffisamment de diplômés compétents en Afrique et de jeunes prêts à être formés.


Certains gouvernements africains comme des multinationales occidentales et asiatiques sont complices de ce pillage dont ils sont les principaux bénéficiaires. On l’a déjà dit : si l’on payait à leur juste valeur les « terres rares » dont sont composés nos smartphones, nous devrions payer 20% de plus que les prix écrasés actuels. Vous avez peut-être eu l’occasion de voir le documentaire belge « Du sang dans nos portables » qui décrit dans quelles conditions ces minerais sont extraits par des enfants exploités en RDC.

Quant à moi, je m’adapte bien dans la communauté de formation dont je fais partie depuis le 2 février. J’apprécie beaucoup l’esprit de la maison et le dynamisme des vingt-quatre jeunes en formation. Ils passent trois ans ici, pour s’initier à la vie spirituelle, communautaire, apostolique et missionnaire, et recevoir une formation universitaire en philosophie et en sciences humaines. Ils ont aussi divers engagements apostoliques dans des lieux de « périphérie » auprès des plus démunis.


Je devrais enseigner ici l’an prochain. Je suis encore engagé dans quelques formations permanentes et poursuis mon engagement dans mes projets humanitaires et caritatifs que vous supportez vaillamment.

Enfin, notre pays se prépare à accuellir le Pape François au mois de juillet. C’est une source de joie et d’espérance dans ce pays si largement catholique (40 %) et si meurtri par les affrontements armés et les éruptions volcaniques.

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce sera un grand temps de célébration fraternelle où l’Eglise locale attend une confirmation de ses engagements au service du peuple congolais.

Nous espérons que tout se passera dans le calme, étant donné qu’il viendra aussi près de chez nous (à Goma, de l’autre côté du lac Kivu) dans une province en état de siège.

Je vous quitte en vous envoyant les amitiés reconnaissantes de mes divers collaborateurs ainsi que de tous ceux et celles qui retrouvent le sourire grâce à votre solidarité priante et financière.

Bernard Ugeux M.Afr.

Lien pour visionner notre nouvelle vidéo avec des témoignages des jeunes filles du Centre Nyota. https://youtu.be/m-2Ztz7Q06g



 




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