vendredi 20 août 2021

L’Occident en panne d’utopie ( 20 aout 2021)

 

Vu des pays du sud, l’Occident donne l’impression d’être en panne de projet et de sens. Sa principale préoccupation actuelle semble être de maintenir à tout prix son niveau de vie et sa place traditionnelle économique et militaire dans le reste du monde.  

Voici comment il est perçu par beaucoup de peuples du Sud.

Maintenir le pouvoir d’achat, le niveau de la sécu, les réserves pour les retraites, sont certes des préoccupations légitimes. Chercher des marchés extérieurs pour exporter des produits finis ou des brevets, au risque d’augmenter d’autant le chômage national peut se comprendre.  Mais se protéger des migrants qui pourraient abuser de certains avantages, contrôler les lieux de la planète où il y a encore des réserves d’hydrocarbures dont la pénurie est régulièrement annoncée au détriment des nations peu développées pose déjà beaucoup plus de questions. Car derrière cette préoccupation de maintenir les « privilèges acquis », on semble continuer de considérer comme normal que 20% de la population mondiale jouissent de 80% des ressources de la planète. Avec un certain cynisme, on présente au reste du monde la « réussite du modèle de développement à l’occidental » comme ce que la modernité a produit de mieux tout en étant bien décidé à ce que le reste du monde n’accède pas au même niveau de consommation et de pollution.  Car cela signerait l’extinction de la planète. Imaginons les 7 milliards d’habitants jouissant du niveau de vie des classes moyennes et supérieures de l’Europe et des Amériques ! C’est inenvisageable… mais ce modèle est diffusé dans le monde entier via la télé satellitaire et l’internet. Si les ressources se restreignent il semble clair que ce sont toujours les mêmes qui en profiteront.  Quel parti politique en Occident peut mener sa campagne sur le thème : « cela a assez duré, maintenant on partage ! ». Pourtant tôt ou tard, de gré ou de force, on y sera obligé. Ce qui pose problème ici, c’est que l’avenir de l’Occident semble être derrière lui : on ne construit pas un avenir en se crispant à reproduire un passé déjà révolu.

En effet, alors qu’elle en pleine crise de son modèle financier et économique, en perte d’identité et de sens également, l’Europe est confrontée à une croissance économique quasi nulle pour les prochaines années alors que l’indice de croissance des pays émergents explose (Chine, Inde, Brésil, émirats…). .  Un certain nombre de pays sur les dictatures desquelles l’Occident appuyait sa croissance - sans état d’âme - s’engagent dans un avenir incertain.  Le printemps des uns risques d’être l’automne des autres.  Du coup, les occidentaux promettent aux pays arabes de les soutenir dans leur marche vers la démocratie à l’occidentale (la meilleure…) et dans la promotion des droits humains. Surtout pas l’islam au pouvoir. Certes, l’Occident ne veut pas perdre les marchés ni les ressources naturelles dont il a besoin pour maintenir son niveau de gaspillage.

Or, d’où j’écris, de l’Afrique profonde, on s’interroge : quel modèle l’Occident a-t-il à offrir à ces pays ?  La conception de la famille, des relations, de la transcendance qui domine dans les pays, les cultures et les religions des pays en développement ou émergents est pour eux une référence infiniment plus précieuse que le modèle occidental, même si celui-ci continue à fasciner par son niveau de confort et ses technologies. En effet, s’il n’a rien d’autre à proposer comme horizon de sens que la consommation la plus matérialise et la plus individualiste, l’absence de transcendance et le marasme du modèle familial, ainsi que la pauvreté des relations interpersonnelles, qu’a-t-il à offrir aux pays arabes et aux autres pays du Sud ? Les droits de l’homme ? Mais ceux dont il se revendique paraissent infiniment suspects vu du Sud ou de l’Orient. Des droits humains où les Etats-Unis refusent que la Palestine fasse partie de l’UNESCO (et lui retranche 75 millions de USD) mais soutiennent Israël qui méprise totalement depuis des décennies toutes les résolutions de l’ONU le concernant (et qu’ils arrosent de milliards chaque année) ? Où est la logique ? Vu d’Afrique, des pays arabes et de l’Orient, l’Occident est en train de perdre toute crédibilité. Quels droits humains quand il y totale liberté de circulation des marchandises, des flux financiers et des experts mais interdiction d’immigrer pour les travailleurs non qualifiés ou des étudiants du Sud qui n’ont aucun espoir dans leurs pays d’origine où presque personne n’investit sérieusement à part les pays émergents ? Cela ne signifie pas que je suis pour l’immigration sauvage, mais tôt ou tard, l’Occident sera obligé de les faire venir sauf à ne plus pouvoir entretenir ses infrastructures, sanitaires, routières ou ferroviaires, par exemple.  

Les Occidentaux sont-ils conscients qu’il existe une animosité croissante de la jeunesse des pays du Sud contre eux ? Ici, Kadhafi décédé est glorifié comme un héro de la résistance à l’impérialisme occidental et les journaux écrivent que les avions de l’OTAN ont tué plus de civils que le colonel… (Et je ne suis pas dans un pays musulman !). Ce fut le cas aussi lorsque Saddam Hussein ou Oussama Ben Laden ont été assassinés. Et tout le monde ici renvoie à l’échec des guerres occidentales en Iran et en Afghanistan, considérées comme uniquement destinées à contrôler les ressources naturelles …. 

Une lycéenne allemande de 17 ans a répondu récemment à une question sur le futur de l’Europe : « l’Europe n’a plus d’avenir, elle vit dans la frénésie mais en réalité rien ne se passe de nouveau…, on est dans la répétition frénétique. »

Le rêve moderne du progrès économique  illimité n’est plus crédible…

En effet, l’Occident ne semble plus croire en lui-même pas plus dans son modèle que dans son avenir.  Qu’a-t-il de dynamisant à offrir à la jeunesse du reste du monde ? Il doit renoncer au rêve d’un niveau de vie que ne peut plus assurer le néo-libéralisme. On sait que le souci lancinant de Mr Trichet, directeur sortant de la BME, était de maintenir le pouvoir d’achat de l’euro.  Aujourd’hui, quels sont les parents et les grands parents en Europe qui oseraient dire à leurs enfants ou leurs petits-enfants que leurs conditions de vie futures seront meilleures ou tout au moins égales aux leurs ? Le mythe du progrès purement matériel est condamné à mort.  C’est la fin du bonheur par le quantitatif et l’avoir. Quelle chance !  

L’Occident est en train de s’étioler par manque de sens, de réponse crédible aux questions auxquelles les mythes traditionnels répondaient à leur façon : d’où venons-nous ? qui sommes-nous ? où allons-nous ? Plus personne ne peut prédire l’avenir comme le montre la façon dont les Etats européens bricolent aujourd’hui la survie de l’Europe (malgré les mises en garde de J. Delors à l’origine). Ils en sont réduits à une politique purement réactive pour limiter les dégâts de crises structurelles à répétition: il n’y a plus de vision, seulement du replâtrage. On l’a vu lors du dernier G20 : l’horizon actuel des pays les plus riches du monde est d’essayer malgré tout  de maintenir un modèle qui n’est plus crédible en promettant des miettes aux pays pauvres. Je ne suis pas en contact direct avec les « indignés » mais je crois que c’est cela le cri de « ras l’bol » qui résonne aujourd’hui.

Un projet de société qui veut offrir un horizon de sens et un espoir de progrès dans l’humanisation des personnes et de  la planète peut-il se limiter au maintien égoïste d’un acquis, à une crispation sur ses avantages ? Peut-on se contenter d’un projet de vie où on se protège de tout (et surtout du partage) en lorgnant vers le nationalisme, le protectionnisme et le populisme ? L’Europe est tentée par le syndrome de la forteresse. Tant qu’on en restera au quantitatif, tant que l’horizon pour l’avenir sera la sécurisation des acquis du passés, il n’y a plus  ni avenir ni horizon. Il y a ici un réel risque de déshumanisation. Car l’être humain n’existe pas d’abord pour avoir, mais pour être et être avec et pour les autres. Bergson parlait de supplément d’âme…  C’est pourquoi, il est très important aujourd’hui d’être à l’écoute de certains groupes alternatifs qui sont moqués par les majorités comme  de pures utopistes.

Mais l’utopie est plus féconde que la peur ! Ils disent : puisque les grands  systèmes n’ont aucune alternative à proposer à la suite des échecs du communisme et du néo-libéralisme, créons du complètement neuf… avec les valeurs les plus anciennes : l’intériorité, la relation, la solidarité, le respect de toute personne dans son unicité, ainsi que de la planète… Non pas revenir en arrière, mais retourner au centre : l’homme est un être d’intériorité qui est fait pour la relation, la transcendance et la création. Il s’agit de sortir du quantitatif et du matérialisme pour revenir au qualitatif et aux valeurs spirituelles (prises dans un sens large, ou religieux).  Les chrétiens seront-ils au rendez-vous ?

Excusez ce cri qui vous vient du Sud, mais je crois qu’il reflète honnêtement le défi perçu aujourd’hui dans nos pays par beaucoup de personnes désillusionnées par des décennies de vaines promesses de partage.

En tout cas, en R.D. Congo, le choix est fait : quasi tous les projets officiels de développement sont confiés aux Chinois, pour une valeur de 60 milliards de USD. Mais, est-ce de leurs marchands et de leurs entreprises que nous pouvons attendre le supplément d’âme ? Faut-il passer du matérialisme occidental au matérialisme chinois ? Voici un défi pour les jeunes de nos pays...  et donc pour nous, leurs formateurs et parents.

Je sais qu’on ne peut parler de l’Europe comme d’un ensemble homogène, qu’il y a des grandes différences entre les pays, qu’il y a encore plein d’associations et de gens engagés et généreux qui croient dans l’homme et dans un  avenir plus humain, mais je me situe ici du point de vue de l’image que les médias et les expatriés  donnent généralement de l’Occident dans les pays du sud ou je travaille et voyage beaucoup.

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