Une association aide
des femmes de la campagne, éteintes par les épreuves, à se reconstruire en
s’entraidant à puiser dans leur force vitale.
Les regards sont
brillants dans les visages concentrés et attentifs des femmes assises en cercle
dans le hangar couvert de toiles de
survie bleutées. Elles échangent avec gravité tandis qu’un éclat de rire
illumine leurs yeux quand l’une d’entre elles raconte un exemple concret qui
fait mouche à propos de leurs difficultés quotidiennes. Elles se réunissent
régulièrement pour parler de leur vie et échanger sur d’éventuels projets
d’avenir. Elles ont été sélectionnées en fonction des épreuves qu’elles ont
traversées récemment sur ce large plateau d’altitude entouré de montagnes
grandioses. Elles ont perdu leur mari ou leurs enfants, leur habitation a été détruite et leurs biens volés ou elles ont été victimes
de violences sexuelles. Elles sont habillées pauvrement, mais avec dignité. Certaines allaitent, d’autres sont
enceintes, toutes sortent d’un cauchemar qui ne les a pas laissées indemnes.
Les deux animateurs (appelés facilitateurs) – un homme et une femme formés à cet effet –les
accompagnent sur un chemin de reconstruction. Contrairement à tant d’ONG qui se
contentent de distribuer de la nourriture ou des outils sans autre forme d’accompagnement,
l’association Action d’espoir a pour
premier objectif de les encourager à espérer à nouveau dans la vie. Elle s’appuie sur la conviction qu’au fond
de la personne la plus blessée, il reste encore un peu de force vitale sur
laquelle s’appuyer afin de se réconcilier avec soi-même et avec la vie. A
ces femmes qui ont erré si longtemps sans aucun espoir et qui ont parfois perdu
toute estime de soi et toute motivation pour prendre une quelconque initiative,
elle révèle qu’elles peuvent s’appuyer sur ce mince filet de vie grâce auquel
elles sont là, aujourd’hui, en quête d’un avenir meilleur.
C’est tout au long d’un patient travail d’écoute que les
facilitateurs amènent ces femmes à découvrir en elles des raisons de continuer
à vivre et des ressources vitales pour s’engager dans un nouveau projet de vie.
C’est souvent sur les valeurs de relation, de solidarité et sur l’amour de
leurs enfants qu’elles s’appuient. Sans référence religieuse explicite – mais
elles sont toutes croyantes – Action
d’espoir participe à un travail de résurrection. Le nombre de personnes
rejointes est limité et le travail demande plusieurs mois d’investissement,
mais chaque femme remise debout, c’est
une famille qui recommence à exister et à participer à la vie du pays.
L’intérêt de les réunir en groupe repose sur la nécessité de
reconstruire les solidarités et de favoriser une interaction positive entre elles
dont la confiance a été détruite par les horreurs dont elles ont été témoins ou
victimes. Car, dans ce cas, le réflexe est le repli sur soi et la perte de
confiance en tout être humain. Les croyances les plus enracinées ont été ébranlées.
Le traumatisme psychique et physique
entraîne une peur et une méfiance par rapport à tout risque d’être à nouveau
agressée ou déçue par les autres.
Cette méfiance se
perçoit dans l’échange qui porte en ce moment sur l’utilisation du microcrédit
proposé par l’association. Il peut les sortir de la dépendance et leur
rendre progressivement une autonomie économique au lieu de les maintenir dans
l’inertie ou l’assistance. Mais l’échange est grave et vif, car prendre un
crédit, c’est risquer d’échouer. Accepter de faire partie d’un groupe de bénéficiaires
du crédit – jamais donné individuellement – c’est risquer d’être trompée par
les autres, surtout si on est la responsable du groupe et qu’on doit veiller au
remboursement à échéance. Et qui s’occupera du crédit quand elle sera à la
maternité ? Parce qu’elles savent bien que certaines d’entre elles ne sont
pas assez motivées, ou fiables. Qu’il y en a qui disparaissent et qui parfois
changent de nom pour s’adresser une autre association moins exigeante sur le
plan de la responsabilité personnelle.
C’est ici que les
facilitateurs leur expliquent que l’association ne les lâchera pas, qu’on
peut retarder l’échéance pour celles qui n’y arrivent pas, que le but est de
les accompagner petit à petit sans les forcer. Qu’elles ont le droit à l’erreur
pourvu qu’elles fassent ce qu’elles peuvent. Ce crédit peut être utilisé pour
commencer un petit commerce, ou un élevage ou du maraichage… Il oscille au départ entre 10 et 50 $ (soit entre
8 et 40 €). Il peut augmenter par la suite, mais les risques sont limités au
début et certaines arrivent à doubler la mise en trois semaines. Elles sont
souvent courageuses et débrouillardes. Pour les aider aller plus loin, des
sessions d’alphabétisation sont proposées et j’ai été impressionné par leur
sérieux et leur joie, lorsqu’elles réussissent à écrire toutes seules leur
nom ! Un animateur disait avec humour : c’est pour quand il y aura
une banque dans la montagne.
Une autre source de
résistance est l’attitude du mari pour celles qui ne sont pas veuves ou qui se
sont remises en ménage. Les unes disent qu’il ne faut surtout pas qu’ils
sachent car plusieurs d’entre elles se sont fait voler le prêt par leur mari
qui a tout dépensé en boissons. D’autres disent que ce n’est pas bien de
prendre un prêt sans en parler au conjoint. Une autre explique que son mari est
d’accord et la soutient. Il ne s’agit
donc pas seulement d’entrouvrir un nouvel avenir pour chaque femme concernée,
mais on touche ici à la vie du couple, à
la soumission et à la domination traditionnelles des femmes par des maris qui
souvent les exploitent. C’est pourquoi il est parfois nécessaire que les
facilitateurs les visitent à la maison et expliquent au mari l’objectif du prêt
et le bénéfice que toute la famille en retirera à la longue.
C’est ainsi qu’à
partir des drames que traversent ces régions toujours menacées par de nouveaux
conflits, un espoir est un train de naître. Des femmes et des familles se
reconstruisent, certaines se libèrent de dépendances pernicieuses et une
population entre dans un processus de réhabilitation. Cela laisse espérer que
demain se prépare déjà, qu’un renouveau est possible, car une poignée de
personnes convaincues et bien formées, encouragées par d’autres qui les
soutiennent efficacement d’au-delà des mers, croient que du mal, malgré tout, peut
naître un bien…
Tout cela évoque Noël qui approche…. et les chorales qui
sont en effervescence dans les villages nous le rappellent, même s’il n’y aura
pas de réveillon... mais l’espérance sera célébrée.