mercredi 16 juin 2021

Jubilé de Bernard Ugeux M. Afr. 75 ans d’âge, 50 ans de première arrivée au Congo, 45 ans d’ordination (et 40 ans des débuts du séminaire de la Ruzizi). Bukavu le 15 juin 2021

 

Introduction

Je me réjouis de célébrer aujourd’hui avec vous ce triple ou quadruple jubilé qui est l’occasion pour moi d’une profonde action de grâces. Votre présence ici, chers confrères, chers jeunes en formation, chères Sœurs et vous mes amis et collaborateurs et collaboratrices dans mes engagements à Bukavu, me donne une grande joie.

Si je fais le total de ces quatre événements, j’arrive à 210 ans !

Plus simplement, je voudrais rendre grâce au Seigneur pour sa fidélité depuis ma naissance et pour son appel missionnaire. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis », entendrons-nous aujourd’hui dans l’Évangile. Vous êtes mes amis. C’est en m’appuyant sur son choix que j’ai continué ma route et c’est pour son appel que je rends grâce avec vous aujourd’hui.


Homélie

Il était une fois un petit garçon de 10 ans, un scout, qui vivait dans une grande ville. On découvrit qu’il avait un problème de santé au niveau des bronches et le médecin conseilla à ses parents de l’envoyer à la campagne car l’air de la ville n’était pas bon pour lui. Ils décidèrent de le mettre dans un internat des Jésuites loin de la maison. Pour cet enfant, pour qui c’était la première fois qu’il quittait sa famille, l’épreuve était difficile à vivre. Il pleurait souvent, il téléphonait et écrivait à ses parents en leur demandant de le ramener à la maison. Or un jour tous les internes furent convoqués pour accueillir un grand visiteur : le premier évêque du Congo belge, Mgr Kimbondo. Celui-ci s’adressa aux enfants de façon très concrète, en expliquant les difficultés des écoliers dans son pays, les longs trajets à parcourir sous le soleil et sous la pluie, les nombreux enfants qui ne pouvaient aller à l’école faute d’établissement scolaire, les difficultés de trouver les soins médicaux en cas de nécessité. Le petit scout fut très impressionné, et le lendemain il écrivait à ses parents pour leur dire : « je ne vais plus me plaindre, je ne vais plus pleurer, car je dois me préparer à vous quitter, car je vais partir un jour en Afrique ». Pour lui, ce qu’il venait d’apprendre, était trop injuste. Cela fait 65 ans cette année qu’il s’est mis en route.

Je pense que vous avez deviné de qui je parle.  Je crois que cet appel que j’ai entendu à cet âge-là est le fruit d’une prière que mes parents ont fait le jour de leur mariage, lorsqu’ils ont demandé au seigneur que s’ils devaient avoir des enfants l’un d’entre eux lui soit consacré. C’est pourquoi aujourd’hui j’évoque particulièrement mes parents qui étaient profondément croyants, au point que mon père est devenu diacre avant moi.

À l’occasion de ces commémorations, j’ai demandé à un jésuite de m’accompagner dans ma relecture de ces 75 ans, ce qui me donne l’occasion de redécouvrir bien des merveilles du Seigneur et de rendre grâce. Je vais juste évoquer quelques événements, car sinon j’y passerai toute la soirée.

Je dirais d’abord que notre Dieu est le Dieu des surprises. Quand j’ai terminé mes études d’humanité, j’hésitais entre devenir médecin ou prêtre, missionnaire, de toute façon en Afrique. J’ai opté pour le sacerdoce, considérant que je pourrais mieux aider en apportant une espérance aux gens qu’en les soignant physiquement. Cela impliquait pour moi de renoncer à des études universitaires à cette époque, ce qui a été un vrai sacrifice car je suis d’une famille d’universitaires. Et la surprise du Seigneur, c’est qu’avec les changements du système de formation à la suite de Vatican II, et d’autres événements, je me suis retrouvé à faire 10 ans d’études universitaires et être professeur d’université pendant 17 ans. Par ailleurs, dans mon ministère sacerdotal, il y a toute une dimension de soins qui rejoint l’autre aspect de ma vocation (formation permanente, accueil de victimes, faculté de médecine de Bukavu). Oui, il est le Dieu des surprises. Dites-vous qu’il peut arriver un jour que vous soyez devant un renoncement difficile, mais que le Seigneur vous le rendra autrement si vous lui faites confiance.

Le jour de mon ordination, en 1976, plutôt que d’écouter l’homélie d’un évêque, j’ai eu l’occasion de témoigner de ma vocation devant les personnes qui venaient célébrer avec moi. Je me souviens que durant mon homélie j’ai dit ceci : « je crois que Dieu est assez grand pour combler la vie d’un homme ». J’ose dire aujourd’hui devant vous : « je sais que Dieu est assez grand pour combler la vie d’un homme ». Car je peux témoigner que ma vie à la suite du Seigneur est comblée, et que ma joie est profonde grâce à l’intimité que je vis avec lui et que j’entretiens quotidiennement. Je tiens à le dire ici devant vous mes jeunes frères. Il nous comble malgré tous nos sacrifices.

Je voudrais rendre grâce au Seigneur pour la Société des Missionnaires d’Afrique. Elle est pour moi véritablement ma famille.  Je la remercie pour la formation qu’elle m’a donnée, pour la relation de confiance que j’ai vécue tout au long de ma vie missionnaire avec mes supérieurs, avec qui j’ai toujours été ouvert. Je suis très reconnaissant pour les vraies amitiés que j’ai pu vivre avec certains confrères. Oui, des confrères peuvent être de vrais amis, et j’ose en évoquer deux ici, qui sont déjà décédés, et qui ont quelque chose à voir avec cette chapelle que nous avons construite ensemble. Il s’agit du Père Herman Bastiins et du Père Jan Renis, avec qui nous étions lors de la fondation de cette maison. Il y en a d’autres qui sont encore vivants. Oui, il est possible d’avoir de vraies amitiés dans notre Société, en plus, certes des amitiés que nous pouvons vivre à l’extérieur et qui sont précieuses.  Mais elles ne doivent pas remplacer notre vie communautaire.

Je rends grâce aussi au Seigneur pour mon ministère de prêtre. Je suis émerveillé quand j’évoque tous ces lieux où j’ai eu l’occasion d’essayer d’offrir le visage de tendresse du Père aux gens qui m’ont été confiés. J’insisterai d’abord sur le ministère paroissial que j’ai vécu durant sept ans au Congo et en Tanzanie. C’est un ministère qui nous met en contact avec toutes les catégories de la population. En plus, j’étais dans des paroisses rurales très isolées ce qui m’a permis, à travers les visites des communautés, souvent à pied, une très grande proximité avec les gens. Tant de baptêmes, de confirmations, de mariages, de collaboration avec les catéchistes, d’engagements avec les mouvements de jeunesse, etc. J’ai là comme tout un livre d’images qui occupent mon cœur. Il y a aussi la dimension de compassion qui fait vraiment partie de ma personne depuis mon enfance, ce qui explique mes engagements dans ce domaine depuis très longtemps, ainsi que mes publications. Il y a parmi nous aujourd’hui ici dans cette chapelle des personnes avec qui je suis engagé très concrètement dans ce ministère, au centre Nyota et à Ek’Abana, entre autres. L’élection du pape François a été pour moi une réelle confirmation dans mon choix d’aller vers les périphéries, au point de démissionner de l’université, pour m’immerger le plus possible auprès des personnes les plus rejetées. Et c’est le Provincial de l’époque, lors de mon retour à Bukavu, il y a 11 ans, qui m’y a aussitôt encouragé, connaissant mon parcours. Enfin, le ministère auprès des jeunes fait aussi partie de mon action de grâces : 14 ans à la formation initiale, sans parler des années d’université, 11 ans à la formation permanente, avec les sessions de second terme de mission pour les jeunes confrères, j’y ai perçu leur confiance et leur ouverture. J’évoque mes anciens avec une grande joie, dont certains sont parmi nous aujourd’hui, et nous avons souvent beaucoup de joie de nous retrouver lors de rencontres souvent fortuites, comme je viens encore de le vivre à Nairobi. Je le vis aussi avec les universitaires qui sont représentés parmi nous aujourd’hui par un jeune couple, du mouvement marial. Bien sûr, il y a aussi tous ces jeunes que nous accueillons au centre Nyota et à Kamituga. Grâce à leur dynamisme, « ma jeunesse comme l’aigle se renouvelle » comme dit le psalmiste.

L’Afrique et les Africains font partie de mon cœur profond, depuis l’élan généreux du petit scout, jusqu’à la décision de démissionner de l’université pour revenir sur le continent. Ce fut sans doute une des meilleures décisions de ma vie, étant donné le bonheur que je vis ici, au milieu de mes frères et sœurs congolais, solidaire de leurs combats, de leur courage, de leurs peines et de leurs joies.

Je voudrais évoquer ici un symbole qui est fort pour moi. Vous voyez que je porte à la main un anneau, il y a une croix qui est gravée dedans. Il a été offert le jour de mon ordination par un couple qui m’a dit : « il faut que tu portes un signe de ton alliance avec le Christ ». Or, un an après mon arrivée à Kabalo, lors de ma première nomination en paroisse, le territoire a été inondé par les crues du fleuve provoquées par le Tanganyika, comme on le vit aujourd’hui. Je visitais mes succursales en pirogue et un jour ma pirogue à couler, et j’ai dû rejoindre la rive à la nage. En montant sur la berge, j’ai découvert que j’avais perdu mon alliance. Lors de mon premier congé, mes amis m’ont dit : « nous te la renouvelons ». Cela signifie que j’ai cette alliance à mon doigt ici aujourd’hui, et que l’autre est là-bas au fond du fleuve Congo. Deux anneaux pour l’alliance de ma vie. Voilà le symbole de mon alliance avec l’Afrique.

Je termine en évoquant cet Évangile de mon ordination. On y lit : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». C’est ce que j’avais écrit sur mon image d’ordination. Jésus déclare que nous sommes ses amis, et cette amitié est le cœur de ma vie. Il dit aussi : c’est moi qui vous ai choisis, et c’est sur cette parole que je m’appuie dans les périodes difficiles. Il m’a institué dans mon sacerdoce et mon appel missionnaire pour que j’aille – quitte ma famille, ma culture, mes amis,-  que je produise du fruit et un fruit qui demeure. 46 ans après mon serment missionnaire, j’ai le sentiment d’une réelle fécondité. J’ai aussi la conviction qu’elle ne vient pas de moi, mais du Seigneur, avec le soutien de tous ceux et celles qui depuis les débuts m’accompagnent dans ma mission et que je désire remercier ici pour terminer. Oui, le Seigneur a fait pour moi des merveilles, saint est son nom !

N.B. Présenter les participants.

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