vendredi 25 juin 2021

Est-il possible d’être à la fois pleinement africain et chrétien? (25 juin 2021)

 


En  Afrique sub-saharienne, ou parmi les migrants africains dans les pays occidentaux, on constate la réalité massive d’une forme de « double appartenance ».

 

 En effet, de nombreux  chrétiens africains expérimentent, dans leur pratique quotidienne et dans la profondeur de leur cœur, la tension entre leur foi chrétienne et les croyances traditionnelles. Cela n’a rien d’étonnant. Il était difficile pour la majorité des premiers évangélisateurs de comprendre que la culture et la religion africaine[1] étaient les deux faces inséparables d’une même réalité (comme pour l’Inde avec l’indianité et l’hindouisme, per exemple). Par la suite, nombre de théologiens et de philosophes africains ont reproché à l’évangélisation de les avoir occidentalisés comme condition pour être évangélisés. D’où le succès des mouvements pour la négritude et pour le « recours » à l’authenticité, à l’époque. Aujourd’hui, après plus d’un siècle d’évangélisation, il semble évident qu’on a sous-estimé la cohérence et la résistance des cultures traditionnelles. Or le retour d’un certain « paganisme » en Occident comble aussi de confusion certains pasteurs. En effet, les cultures traditionnelle  occidentales s’avèrent plus résistantes aux autres influences culturelles qu’on le pensait, même si certaines ont disparu ou sont menacées par la mondialisation.

 

Il ne faudrait pas condamner cette double appartenance dans la mesure celle-ci se vit comme une complémentarité entre une culture et la foi chrétienne dans ce qu’elles ont de compatibles.  C’est l’objectif de l’inculturation (l’appropriation par une culture du message chrétien selon son génie propre).. Mais il ne faudrait pas  être obsédé par les inévitables risques de syncrétisme. Autant il est souhaitable qu’un chrétien africain choisisse le Christ comme son seul sauveur et qu’il relativise les autres croyances, autant il est normal que dans les grandes transitions culturelles, les tentatives de synthèse harmonieuses prennent du temps. Cela implique la reconnaissance d’un droit à l’erreur… et la nécessité d’un discernement réaliste. Combien de temps a-t-il fallu pour que la pensée sémitique soit assumée par la culture grecque qui, aujourd’hui, domine l’expression de la foi chrétienne en Occident?  C’est cette version du christianisme qui a été exportée – et parfois imposée – en Afrique.

 

Cependant, tout n’a pas la même importance dans une culture ni donc la même capacité de résistance. Par exemple, dans un grand nombre de cultures africaines, il existe la croyance en deux mondes, l’un visible, l’autre invisible, en perpétuelle interconnexion. La croyance dans les ancêtres et dans les esprits est une réalité massive. Notons que saint Paul évoque aussi un monde des esprits (Col 1,16). Malgré la lutte menée contre ces croyances et la destruction d’innombrables statuettes d’ancêtres, on continue toujours à croire que « les morts ne sont pas morts » comme le disait Birago Diop. Et pour toute réalité importante – surtout les rites de passage – les aînés transmetteurs de la vie sont convoqués lorsque celle-ci est célébrée. Or, le 10 avril 1994, lors de l’inauguration du premier synode africain, le Pape Jean-Paul II disait dans son homélie : « Les fils et les filles de l’Afrique aiment le vie. C’est précisément cet amour de la vie qui les pousse à donner une si grande importance à la vénération de leurs ancêtres. Ils croient instinctivement que les défunts continuent à vivre et ils restent en communion avec eux. Ne serait-ce pas d’une certaine façon une préparation à la foi dans la communion des saints ? »

Une autre croyance est particulièrement résistante, elle concerne les causes de la maladie et de la mort. La plupart du temps elles sont personnalisées et ont une dimension communautaire. D’où le rôle encore prépondérant aujourd’hui des devins et autres tradipraticiens. Il y a déjà longtemps qu’on chantait à Kinshasa : « le matin à la messe, le soir chez le devin », et un évêque africain disait lors du Synode de 1994 : « Beaucoup de croyants africains sont comme les batraciens : quand le danger est dans l’eau, ils sautent sur la terre, et quand il est sur la terre ils plongent dans l’eau ».

Plutôt que de critiquer cette réalité qui résiste aux efforts d’évangélisation, il serait peut-être opportun de se demander comment il se fait que ces croyances sont si résistantes et si notre inculturation a été assez respectueuse du génie des traditions africaines. Or, certains confrères ont fait un travail remarquable dans ce domaine. Mais on constate encore aujourd’hui le succès grandissant des Eglises afro-chrétiennes – souvent qualifiées de sectes par les catholiques – qui semblent mieux tenir compte du monde de l’invisible et de l’approche traditionnelle de la santé. Certes, on y rencontre beaucoup de confusion et d’abus de pouvoir, mais ce n’est pas une raison suffisante pour ne pas s’interroger sur leur succès. Le rapporteur général du synode de 1994, le cardinal H. Thiandoum, archevêque de Dakar, avait insisté sur la nécessité de dialogue avec ces Eglises: “Leur progression nous invite à revoir nos méthodes d’évangélisation et d’attention pastorale. Ne devons-nous pas reconnaître le secret de leur réussite : zèle et conviction profonde, attention aux besoins individuels du corps et de l’âme, organisation efficace en petits groupes, le caractère festif, chaleureux et joyeux de leurs célébrations ?”

Bref, on peut espérer que la persistance de cette double appartenance rende l’Eglise catholique toujours plus inventive dans  l’élaboration d’un christianisme vraiment africain.

 

Photo : Chemin de croix africain.

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[1] Je n’entre pas ici dans le débat à propos du pluriel ou du singulier pour définir la RTA. Je m’excuse aussi auprès de mes lecteurs africains pour cette généralisation des « Africains ». Je suis bien conscient qu’il faudrait ajouter des nuances importantes selon la diversité des cultures et selon la singularité de chaque croyant africain. Le sujet de l’article m’oblige à n’aborder qu’un très large point en vue. Si je cite surtout le Synode de 1994, c’st parce que celui de 2009 ne s’est presque pas intéressé à ces questions.

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