vendredi 21 mai 2021

L’Eglise d’Afrique est obligée de prendre des positions politiques (le 21 mai 2021)

 

L’Eglise d’Afrique est obligée de prendre des positions politiques

Dans plusieurs pays d’Afrique, les conférences épiscopales sont contraintes par les évènements à se positionner.

En Afrique, de plus en plus, les Eglises sont la dernière ressource pour la liberté d’expression. Les évêques se sentent responsables de s’exprimer au nom du peuple ou de se situer par rapport à des processus politiques où on essaie parfois de les embarquer. C’est le cas récemment de la RCA où l’archevêque de Bangui dément avoir signé un accord préparé par Sant Egidio et divers représentants officiels du pays.

Au Cameroun, on dénonce la mort « mystérieuse » il y a quelques jours de Mgr Bala, qui n’est pas premier prélat décédé de mort violente dans ce pays.

Tout récemment aussi, en Zambie, le 23 avril 2017, Mgr Mpundu Archevêque de Lusaka, au nom de la Conférence épiscopale et en lien avec d’autres Eglises, a mis en demeure le gouvernement de cesser ses intimidations et ses violences pour maintenir la majorité au pouvoir. Sa lettre s’intitule « Si tu veux la paix, travaille pour la justice » (Paul VI).

La lettre dénonce l’usage massif, disproportionnée et complètement non nécessaire de la force dans l’arrestation récente d’un opposant. Cela n’a que renforcé les tensions entre le parti au pouvoir et l’opposition. Ces pratiques affectent la vie de nombreux citoyens qui vivent dans la peur et l’absence de liberté d’expression. Elle dénonce la brutalité de la police, les arrestations arbitraires, la torture des suspects et les déclarations irresponsables des autorités politiques.

La démocratie n’est plus respectée, disent-ils. Depuis la crise des dernières élections (août 2016), le mal n’a pas été attaqué à la racine. L’Etat doit cesser d’utiliser les forces de l’ordre pour intimider l’opposition. Ce dont le pays a besoin, c’est d’une démarche de réconciliation nationale, dans la dialogue. Or le pouvoir judiciaire ne fait rien dans ce sens dans sa façon d’appliquer la justice.

Tout cela vient de l’opinion répandue depuis longtemps dans le pays que la concurrence politique consiste à annihiler et réduire au silence les opposants une fois qu’un parti est au pouvoir. C’est la racine de l’intolérance et de la violence.

Les évêques demandent que le gouvernement actuel inverse cette tendance inquiétante et dangereuse. Le pays est dominé par la corruption et le mauvais usage des fonds publics, mais il est interdit de les dénoncer. L’usage est que le parti au pouvoir utilise le « Public Order Act » pour se maintenir à tout prix.

Une culture du silence empêche le dialogue et toute réconciliation. Les Eglises se sont engagées pour la réconciliation et restent disposées à renouer le dialogue pour contrer l’intimidation qui domine dans le pays. Elles se mettent à la disposition du gouvernement.

Beaucoup de rapprochements sont possibles entre les positions de l’épiscopat zambien et celles des évêques de la RD Congo. Ceux-ci aussi se préoccupent d’une confiscation du pouvoir du peuple par une minorité, au nom de la majorité.

Février 2017 : un Message de l’Assemblée Plénière Extraordinaire des Evêques Membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) demandant l’application des décisions prises à la Saint Sylvestre 2016. Le blocage que les évêques constatent et les foyers de violence dans le pays qui se multiplient les inquiètent quant à la paix et l’unité du pays et la possibilité d’organiser des élections fin 2017 comme cela avait été conclu entre majorité et opposition dans un compromis fin 2016.

Cette lettre n’a eu aucun effet, au contraire, le gouvernement a pris le contrepied des engagements de décembre, ce qui a entrainé les évêques à écrire un autre message à la nation.

Juin 2017 : Il y a quelques jours, dans un rapport intitulé « le pays va très mal » issu de leur assemblée plénière ordinaire, les évêques ont exprimé leur profond inquiétude et ont affirmé :  «La sortie pacifique de la crise actuelle exige la tenue des élections présidentielles, législatives et provinciales avant décembre 2017 tel que prévoit l’accord politique du 31 décembre 2016».

Ils déplorent « les restrictions du droit à la liberté d’expression et l’interdiction des manifestations pacifiques toujours croissantes (…) ainsi que la répression des mouvements de contestation pacifique qui va parfois jusqu’à l’usage excessif de la force ».

 « La situation misérable dans laquelle nous vivons aujourd’hui est une conséquence de la persistante crise sociopolitique due principalement à la non-organisation des élections conformément à la constitution de notre pays », ajoutent-ils.

La CENCO déplore par ailleurs le manque de volonté de certains politiques qu’elle accuse de chercher à brouiller complètement les contenus de cet accord afin de retarder notamment la tenue des élections dans les délais prévus.

« Au mépris de la souffrance de la population, les acteurs politiques multiplient des stratégies pour vider l’accord du 31 décembre de son contenu, hypothéquant ainsi la tenue des élections libres, démocratiques et apaisées », constatent-ils.

Trois jours après, le président de la République a réagi violemment, « Vous voulez créer le désordre ! », lors d’une réunion le lundi 26 juin à Lubumbashi, au sud-est du pays. « Vous nous menacez s’il n’y a pas les élections en décembre prochain. Vous dites que c’est décembre ou rien ! », a-t-il poursuivi. Il a déclaré qu’on ne pouvait pas organiser les élections si on ne pouvait enrôler les électeurs au Kasaï où des combats font rage depuis un an. Plus de 3000 morts, 50 fosses communes, plus d’un million de déplacés… Or les gens dans la rue se demandent aujourd’hui qui avait intérêt à provoquer ces massacres. On attend donc les résultats des enquêtes de l’ONU, sérieusement bridée dans cette affaire, et des autorités judiciaires militaires nationales.

Le président avait déclaré lors de son récent passage en Afrique du Sud qu’en RDC la dialogue était permanent. Espérons donc que cela se vérifie au moment où le pays est en grande tension, alors que les évêques ont le sentiment d’avoir été manipulé dans le cadre de la médiation qui leur avait été demandée l’an dernier par les autorités.

Ceci démontre que la neutralité proverbiale de l’Eglise catholique dans le domaine politique se décline différemment selon les époques et les continents… Affaire à suivre…

 

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