L’Eglise d’Afrique est obligée de
prendre des positions politiques
Dans plusieurs pays d’Afrique, les conférences épiscopales sont contraintes par les évènements à se positionner.
En Afrique, de
plus en plus, les Eglises sont la dernière ressource pour la liberté
d’expression. Les évêques se sentent responsables de s’exprimer au nom du
peuple ou de se situer par rapport à des processus politiques où on essaie
parfois de les embarquer. C’est le cas récemment de la RCA où l’archevêque de Bangui dément avoir signé un accord préparé
par Sant Egidio et divers représentants officiels du pays.
Au Cameroun, on dénonce la mort
« mystérieuse » il y a quelques jours de Mgr Bala, qui n’est pas
premier prélat décédé de mort violente dans ce pays.
Tout récemment
aussi, en Zambie, le 23 avril 2017, Mgr
Mpundu Archevêque de Lusaka, au nom de la Conférence épiscopale et en lien
avec d’autres Eglises, a mis en demeure
le gouvernement de cesser ses intimidations et ses violences pour maintenir la
majorité au pouvoir. Sa lettre s’intitule « Si tu veux la paix,
travaille pour la justice » (Paul VI).
La lettre
dénonce l’usage massif, disproportionnée et complètement non nécessaire de la
force dans l’arrestation récente d’un opposant. Cela n’a que renforcé les
tensions entre le parti au pouvoir et l’opposition. Ces pratiques affectent la
vie de nombreux citoyens qui vivent dans la peur et l’absence de liberté d’expression.
Elle dénonce la brutalité de la police, les arrestations arbitraires, la
torture des suspects et les déclarations irresponsables des autorités
politiques.
La démocratie
n’est plus respectée, disent-ils. Depuis la crise des dernières élections (août
2016), le mal n’a pas été attaqué à la racine. L’Etat doit cesser d’utiliser
les forces de l’ordre pour intimider l’opposition. Ce dont le pays a besoin,
c’est d’une démarche de réconciliation nationale, dans la dialogue. Or le
pouvoir judiciaire ne fait rien dans ce sens dans sa façon d’appliquer la
justice.
Tout cela vient
de l’opinion répandue depuis longtemps dans le pays que la concurrence politique consiste à annihiler et réduire au silence les
opposants une fois qu’un parti est au pouvoir. C’est la racine de
l’intolérance et de la violence.
Les évêques
demandent que le gouvernement actuel inverse cette tendance inquiétante et dangereuse.
Le pays est dominé par la corruption et le mauvais usage des fonds publics,
mais il est interdit de les dénoncer. L’usage est que le parti au pouvoir utilise
le « Public Order Act » pour se maintenir à tout prix.
Une culture du
silence empêche le dialogue et toute réconciliation. Les Eglises se sont engagées
pour la réconciliation et restent disposées à renouer le dialogue pour contrer
l’intimidation qui domine dans le pays. Elles se mettent à la disposition du
gouvernement.
Beaucoup de rapprochements sont
possibles entre les positions de l’épiscopat zambien et celles des évêques de la
RD Congo. Ceux-ci
aussi se préoccupent d’une confiscation du pouvoir du peuple par une minorité,
au nom de la majorité.
Février 2017 : un Message de l’Assemblée
Plénière Extraordinaire des Evêques Membres de la Conférence Episcopale
Nationale du Congo (CENCO) demandant l’application des décisions prises à la
Saint Sylvestre 2016. Le blocage que les
évêques constatent et les foyers de violence dans le pays qui se multiplient
les inquiètent quant à la paix et l’unité du pays et la possibilité d’organiser
des élections fin 2017 comme cela avait été conclu entre majorité et opposition
dans un compromis fin 2016.
Cette lettre
n’a eu aucun effet, au contraire, le gouvernement a pris le contrepied des
engagements de décembre, ce qui a entrainé les évêques à écrire un autre
message à la nation.
Juin 2017 : Il y a quelques jours, dans un
rapport intitulé « le pays va très mal » issu de leur assemblée
plénière ordinaire, les évêques ont exprimé leur profond inquiétude et ont
affirmé : «La sortie pacifique de
la crise actuelle exige la tenue des élections présidentielles,
législatives et provinciales avant décembre 2017 tel que prévoit l’accord
politique du 31 décembre 2016».
Ils déplorent « les restrictions du droit à la
liberté d’expression et l’interdiction des manifestations pacifiques toujours
croissantes (…) ainsi que la répression des mouvements de contestation
pacifique qui va parfois jusqu’à l’usage excessif de la force ».
« La situation misérable dans laquelle nous
vivons aujourd’hui est une conséquence de la persistante crise sociopolitique
due principalement à la non-organisation des élections conformément à la
constitution de notre pays », ajoutent-ils.
La CENCO
déplore par ailleurs le manque de volonté de certains politiques qu’elle accuse
de chercher à brouiller complètement les contenus de cet accord afin de
retarder notamment la tenue des élections dans les délais prévus.
« Au
mépris de la souffrance de la population, les acteurs politiques multiplient
des stratégies pour vider l’accord du 31 décembre de son contenu, hypothéquant
ainsi la tenue des élections libres, démocratiques et apaisées », constatent-ils.
Trois jours après, le président de la
République a réagi violemment, « Vous voulez créer le désordre ! », lors d’une réunion le lundi 26 juin à
Lubumbashi, au sud-est du pays. « Vous nous menacez s’il n’y a pas les
élections en décembre prochain. Vous dites que c’est décembre ou rien ! »,
a-t-il poursuivi. Il a déclaré qu’on ne pouvait pas organiser les élections si
on ne pouvait enrôler les électeurs au Kasaï où des combats font rage depuis un
an. Plus de 3000 morts, 50 fosses communes, plus d’un million de déplacés… Or
les gens dans la rue se demandent aujourd’hui qui avait intérêt à provoquer ces
massacres. On attend donc les résultats des enquêtes de l’ONU, sérieusement
bridée dans cette affaire, et des autorités judiciaires militaires nationales.
Le président avait
déclaré lors de son récent passage en Afrique du Sud qu’en RDC la dialogue était
permanent. Espérons donc que cela se vérifie au moment où le pays est en grande
tension, alors que les évêques ont le sentiment d’avoir été manipulé dans le
cadre de la médiation qui leur avait été demandée l’an dernier par les
autorités.
Ceci démontre que la neutralité
proverbiale de l’Eglise catholique dans le domaine politique se décline différemment
selon les époques et les continents… Affaire
à suivre…