lundi 31 mai 2021

Arusha (Tout accueillir, tout recueillir, tout offrir…) (31 mai 2021)

Tout accueillir, tout recueillir, tout offrir…


Comment des missionnaires d’Afrique peuvent profiter de moments privilégiés pour relire ensemble sous le regard de Dieu le chemin parcouru …

L’écoute est intense et les regards sont intériorisés alors que mon voisin parle d’une voix calme, traversée à certains moments par l’émotion, quand son récit touche une expérience positive ou négative dont les traces sont restées profondes.  Ils sont treize, réunis en cercle plus les deux « facilitateurs » qui n’interviennent pas mais veillent au respect du cadre et de l’esprit de la rencontre. Ils sont tous prêtres, missionnaires, d’une moyenne d’âge entre 35 et 40 ans, et ont déjà entre 5 et 6 dans de ministère. Originaires de toute l’Afrique, d’Europe et d’Asie (Inde et Philippines), ils ont laissé leur paroisse ou un autre lieu d’apostolat pour se réunir dans cette ville du Nord de la Tanzanie, venus de Jérusalem à l’Afrique du Sud, en passant par le Soudan, l’Ethiopie et une diversité de pays de l’Afrique centrale et de l’Est. Tous travaillent en dehors de leur pays d’origine. Cette diversité des nationalités, de pays d’insertion, de responsabilités et d’expériences, ils la connaissent depuis longtemps, puisque l’internationalité puis l’intercontinentalité font partie de la formation depuis les débuts…

Joie des retrouvailles entre confrères de la même année ou du même pays, qui ne se sont parfois plus revus de longue date, plaisir d’évoquer les moments drôles et bousculés de leurs années de formation. Gravité aussi, liée aux nouvelles parfois difficiles provenant des divers lieux d’engagement. La joie et le sérieux s’entremêlent alors que vient de commencer une rencontre de trois semaines dont la plupart ne repartiront pas comme ils sont arrivés. En effet, cette rencontre compte parmi les nombreuses propositions de formation continue qu’offre la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) à ses membres. Comme le soulignait un des intervenants, d’une autre congrégation missionnaire : « réalisez-vous le cadeau que vous offre votre société en vous permettant de vous arrêter ainsi pendant trois semaines dans ce cadre privilégié ? »  La plupart en sont convaincus, ne fut-ce qu’à la suite de la réaction des laïcs, des prêtres diocésains et des religieux d’autres congrégations quand ils ont annoncé : « Je serai absent pour un mois, je pars pour une rencontre avec les frères de ma génération pour, durant trois semaines, revisiter nos premières années de ministère ». Combien de laïcs mariés, de professionnels, de diocésains seraient heureux de pouvoir se permettre une si longue pose dans un tel contexte.

Certes, il ne s’agit pas de vacances, même si le rythme est détendu et quelques pauses touristiques au programme. Il ne s’agit pas non plus d’une retraite en silence, même si un climat spirituel est demandé pour l’ensemble de la démarche. Il s’agit d’un temps de relecture qui fait le charme – et l’exigence – de la tradition ignatienne à laquelle les Missionnaires d’Afrique appartiennent. Une relecture personnelle et communautaire, tant d’un point de vue humain et spirituel qu’apostolique. Un temps pour revisiter calmement, sous le regard de Dieu et avec l’écoute des frères, les joies fortes et les grandes épreuves des débuts de leur ministère. L’engagement à la confidentialité et la création d’un espace d’empathie permet d’aller loin dans la vulnérabilité, humblement, parfois, douloureusement et aussi dans l’action de grâce.  Comment ne pas être touché quand, après le récit de parcours difficiles, la conclusion tombe : mais je suis toujours heureux d’être prêtre et missionnaire ?

Toute une semaine est consacrée à ce temps d’écoute où chacun a l’occasion de s’exprimer sans être interrompu, dans l’ouverture et la confiance. A la fin de la semaine, c’est la reconnaissance qui domine : non, je ne suis pas le seul à avoir connu des moments de doute, de découragement, de chute et de relèvement. Oui, il y a une réelle convergence entre nos partages même si chaque histoire est unique et sacrée… Oui, la grâce du ministère non seulement ne gomme pas notre humanité avec ses fragilités, mais nous permet de mieux assumer notre humanité dans notre spiritualité. Certains parlent d’un moment de guérison… Ainsi, en fin de semaine, sont rassemblés les domaines importants qui ont été touchés par les partages, les questions qui méritent approfondissement, les sujets pour lesquels il y a un besoin de complément d’information ou de formation. Les facilitateurs, de leur côté, ont pris quelques contacts au préalable avec d’éventuelles personnes ressources qui sont à la disposition du groupe si celui-ci les demande. Car ce sont bien les participants qui fixent les horaires, le rythme et une grande partie du programme.

Dans les deux semaines d’approfondissement qui suivent le partage, il n’y a pas de sujet tabou ou incongru. Qu’il s’agisse de la construction d’une solide vie de communauté, d’une meilleure connaissance de soi sur le plan affectif, d’une vigilance à propos des addictions, d’une bonne gestion financière ou d’engagements pour la justice, la paix, le dialogue…. Toutes ces questions sont abordées en lien avec l’expérience de l’intervenant et des participants. Le niveau est exigeant mais évite tout académisme superflu. Les jeunes prêtres qui sont là veulent du pratique, ils assument tous déjà des responsabilités importantes, un bon nombre est curé, parfois après seulement quelques années d’ordination. La charge que porte un jeune prêtre ou religieux en Afrique oblige à beaucoup de réalisme et à une volonté de travailler en commun.  Surtout quand certaines paroisses comptent une soixantaine de chapelles réparties sur une centaine de km, ou bien que le jeune prêtre est déjà responsable d ‘un travail de discernement de vocations… Une des forces des Missionnaires d’Afrique, c’est l’engagement de la Société à garantir autant que possible une communauté d’au moins trois membres pour tout engagement pastoral institutionnel.

La tradition de ces rencontres a montré que pour la plupart des participants, c’est un temps de renouvellement de l’alliance, de dynamisation pour l’apostolat, de renforcement de la solidarité entre eux et avec la Société. Cela peut être aussi, parfois, une étape de prévention par rapport à certains risques de dérive… Plus tôt on s’y prend, mieux on se ressaisit… C’est aussi l’occasion d’une profonde action de grâce pour ce que le Dieu de miséricorde fait encore aujourd’hui pour, au sein de et par les Eglises d’Afrique.

La chance d’une telle rencontre n’est pas exceptionnelle. De nombreuses sessions de formation continue sont proposées tout au long de la vie du missionnaire. Déjà, après trois ans de ministère, les confrères ont pu prendre une semaine dans leur Province pour relire ensemble leurs premiers pas. Après la rencontre actuelle de trois semaines dans la foulée des 5-6 première années de ministère, la Société leur propose une session de trois mois dite du « Milieu de la vie » qui permet de faire le point durant la quarantaine. En outre, à tous, dans le cadre de temps sabbatiques, sont proposées deux sessions de trois mois à Jérusalem, pour un renouveau biblique, apostolique et spirituel. Par ailleurs, ceux qui atteignent les 65 ans peuvent s’arrêter trois semaines à Rome pour se poser et reprendre ce qui a fait les grands moments de leur vie alors qu’ils doivent penser à ralentir et à réajuster leurs engagements. Quant aux septuagénaires qui, pour la plupart, quittent définitivement l’Afrique, une dernière session de deux semaines et demi est proposée pour envisager l'étape finale de leur vie et découvrir ensemble comment rester encore et toujours missionnaires… dans la sérénité face à la dernière ligne droite… qui est parfois couchée…

Bref, même si toutes les sessions ne sont pas parfaites et si un certain nombre n’en profitent pas – parfois ceux qui en ont le plus besoin- comment ne pas reconnaître à quel point les destinataires de cette formation continue sont favorisés dans un monde où l’accélération est privilégiée par rapport au recueillement et l’éparpillement par rapport par à l’enracinement.

 

 

Bernard Ugeux



D’autres années, des Frères participent à la même session, au titre de leur serment commun au service de l’Afrique.

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