Tout accueillir, tout recueillir, tout offrir…
Comment des
missionnaires d’Afrique peuvent profiter de moments privilégiés pour relire
ensemble sous le regard de Dieu le chemin parcouru …
L’écoute est intense et les regards sont intériorisés alors
que mon voisin parle d’une voix calme, traversée à certains moments par
l’émotion, quand son récit touche une expérience positive ou négative dont les
traces sont restées profondes. Ils sont
treize, réunis en cercle plus les deux « facilitateurs » qui
n’interviennent pas mais veillent au respect du cadre et de l’esprit de la
rencontre. Ils sont tous prêtres, missionnaires, d’une
moyenne d’âge entre 35 et 40 ans, et ont déjà entre 5 et 6 dans de ministère. Originaires de toute l’Afrique, d’Europe et
d’Asie (Inde et Philippines), ils ont laissé leur paroisse ou un autre lieu
d’apostolat pour se réunir dans cette ville du Nord de la Tanzanie, venus de
Jérusalem à l’Afrique du Sud, en passant par le Soudan, l’Ethiopie et une
diversité de pays de l’Afrique centrale et de l’Est. Tous travaillent en
dehors de leur pays d’origine. Cette diversité des nationalités, de pays d’insertion,
de responsabilités et d’expériences, ils la connaissent depuis longtemps,
puisque l’internationalité puis l’intercontinentalité font partie de la
formation depuis les débuts…
Joie des retrouvailles entre confrères de la même année ou du
même pays, qui ne se sont parfois plus revus de longue date, plaisir d’évoquer
les moments drôles et bousculés de leurs années de formation. Gravité aussi,
liée aux nouvelles parfois difficiles provenant des divers lieux d’engagement. La joie et le sérieux s’entremêlent alors
que vient de commencer une rencontre de trois semaines dont la plupart ne
repartiront pas comme ils sont arrivés. En effet, cette rencontre compte
parmi les nombreuses propositions de formation continue qu’offre la Société des
Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) à ses membres. Comme le soulignait un
des intervenants, d’une autre congrégation missionnaire : « réalisez-vous le cadeau que vous
offre votre société en vous permettant de vous arrêter ainsi pendant trois
semaines dans ce cadre privilégié ? » La plupart en sont convaincus, ne fut-ce qu’à
la suite de la réaction des laïcs, des prêtres diocésains et des religieux d’autres
congrégations quand ils ont annoncé : « Je serai absent pour un mois,
je pars pour une rencontre avec les frères de ma génération pour, durant trois
semaines, revisiter nos premières années de ministère ». Combien de laïcs
mariés, de professionnels, de diocésains seraient heureux de pouvoir se
permettre une si longue pose dans un tel contexte.
Certes, il ne s’agit pas de vacances, même si le rythme est
détendu et quelques pauses touristiques au programme. Il ne s’agit pas non plus
d’une retraite en silence, même si un climat spirituel est demandé pour
l’ensemble de la démarche. Il s’agit
d’un temps de relecture qui fait le charme – et l’exigence – de la tradition ignatienne
à laquelle les Missionnaires d’Afrique appartiennent. Une relecture personnelle
et communautaire, tant d’un point de vue humain et spirituel qu’apostolique.
Un temps pour revisiter calmement, sous le regard de Dieu et avec l’écoute des
frères, les joies fortes et les grandes épreuves des débuts de leur ministère.
L’engagement à la confidentialité et la création d’un espace d’empathie permet
d’aller loin dans la vulnérabilité, humblement, parfois, douloureusement et
aussi dans l’action de grâce. Comment ne
pas être touché quand, après le récit de parcours difficiles, la conclusion
tombe : mais je suis toujours heureux d’être prêtre et missionnaire ?
Toute une semaine est consacrée à ce temps d’écoute où
chacun a l’occasion de s’exprimer sans être interrompu, dans l’ouverture et la
confiance. A la fin de la semaine, c’est
la reconnaissance qui domine : non, je ne suis pas le seul à avoir connu
des moments de doute, de découragement, de chute et de relèvement. Oui, il y a
une réelle convergence entre nos partages même si chaque histoire est unique et
sacrée… Oui, la grâce du ministère non seulement ne gomme pas notre
humanité avec ses fragilités, mais nous permet de mieux assumer notre humanité
dans notre spiritualité. Certains parlent d’un moment de guérison… Ainsi, en
fin de semaine, sont rassemblés les domaines importants qui ont été touchés par
les partages, les questions qui méritent approfondissement, les sujets pour
lesquels il y a un besoin de complément d’information ou de formation. Les
facilitateurs, de leur côté, ont pris quelques contacts au préalable avec
d’éventuelles personnes ressources qui sont à la disposition du groupe si
celui-ci les demande. Car ce sont bien les participants qui fixent les
horaires, le rythme et une grande partie du programme.
Dans les deux semaines d’approfondissement qui suivent le
partage, il n’y a pas de sujet tabou ou incongru. Qu’il s’agisse de la construction d’une solide vie de communauté, d’une
meilleure connaissance de soi sur le plan affectif, d’une vigilance à propos
des addictions, d’une bonne gestion financière ou d’engagements pour la
justice, la paix, le dialogue…. Toutes ces questions sont abordées en lien avec
l’expérience de l’intervenant et des participants. Le niveau est exigeant
mais évite tout académisme superflu. Les jeunes prêtres qui sont là veulent du
pratique, ils assument tous déjà des responsabilités importantes, un bon nombre
est curé, parfois après seulement quelques années d’ordination. La charge que
porte un jeune prêtre ou religieux en Afrique oblige à beaucoup de réalisme et
à une volonté de travailler en commun. Surtout
quand certaines paroisses comptent une soixantaine de chapelles réparties sur
une centaine de km, ou bien que le jeune prêtre est déjà responsable d ‘un
travail de discernement de vocations… Une
des forces des Missionnaires d’Afrique, c’est l’engagement de la Société à
garantir autant que possible une communauté d’au moins trois membres pour tout
engagement pastoral institutionnel.
La tradition de ces rencontres a montré que pour la plupart
des participants, c’est un temps de renouvellement de l’alliance, de
dynamisation pour l’apostolat, de renforcement de la solidarité entre eux et
avec la Société. Cela peut être aussi, parfois, une étape de prévention par
rapport à certains risques de dérive… Plus tôt on s’y prend, mieux on se
ressaisit… C’est aussi l’occasion d’une
profonde action de grâce pour ce que le Dieu de miséricorde fait encore
aujourd’hui pour, au sein de et par les Eglises d’Afrique.
La chance d’une telle rencontre n’est pas exceptionnelle. De
nombreuses sessions de formation continue sont proposées tout au long de la vie
du missionnaire. Déjà, après trois ans de ministère, les confrères ont pu
prendre une semaine dans leur Province pour relire ensemble leurs premiers pas.
Après la rencontre actuelle de trois semaines dans la foulée des 5-6 première
années de ministère, la Société leur propose une session de trois mois dite du
« Milieu de la vie » qui permet de faire le point durant la
quarantaine. En outre, à tous, dans le cadre de temps sabbatiques, sont
proposées deux sessions de trois mois à Jérusalem, pour un renouveau biblique,
apostolique et spirituel. Par ailleurs, ceux qui atteignent les 65 ans peuvent
s’arrêter trois semaines à Rome pour se poser et reprendre ce qui a fait les
grands moments de leur vie alors qu’ils doivent penser à ralentir et à
réajuster leurs engagements. Quant aux septuagénaires qui, pour la plupart,
quittent définitivement l’Afrique, une dernière session de deux semaines et
demi est proposée pour envisager l'étape finale de leur vie et découvrir
ensemble comment rester encore et toujours missionnaires… dans la sérénité face
à la dernière ligne droite… qui est parfois couchée…
Bref, même si toutes les sessions ne sont pas parfaites et
si un certain nombre n’en profitent pas – parfois ceux qui en ont le plus besoin-
comment ne pas reconnaître à quel point
les destinataires de cette formation continue sont favorisés dans un monde où
l’accélération est privilégiée par rapport au recueillement et l’éparpillement par
rapport par à l’enracinement.
Bernard Ugeux
D’autres années, des Frères participent à la même session, au titre de leur
serment commun au service de l’Afrique.