Chères amies, chers
amis,
Je vous écris de Tunis
en ce jour de Pâques. Je souhaite une joyeuse fête de la Résurrection à celles
et ceux parmi vous pour qui l’Espérance de la victoire de l’amour sur la mort
par le Christ a un sens important. Une autre victoire de l’amour a été largement
célébrée en France à l’occasion du geste courageux du colonel Arnauld Beltram,
au nom de sa foi et de son engagement professionnel. Quel contraste lorsque
quelques jours après Netanyahou fait tirer sur des militants palestiniens
non-armés. Quel courage ! Nous avons connu cela à trois reprises ces derniers
mois en RD Congo quand l’État a fait tirer à balles réelles sur des chrétiens
pacifistes qui défilaient pour la démocratie. Ils se sont arrêtés pour le
moment comme s’ils semblaient réaliser que c’était contre-productif de
fabriquer ces quatorze martyrs dont une jeune postulante et un jeune militant
très engagé. Pour le Vendredi Saint, les chemins de croix qui ont parcouru
quelques rues n’ont donc pas été dispersés.
A Tunis, j’ai beaucoup
apprécié ce triduum pascal, dans des petites communautés qui contrastent avec
les foules de Bukavu. Le recueillement était profond et les chorales de grande
qualité, composées en de jeunes choristes d’origine sub-saharienne.
Pourtant, c’est en
Algérie que j’aurais dû célébrer les fêtes pascales. J’y étais attendu pour
donner la même session que je donnerai en Tunisie. Mais après trois mois mon
visa était toujours « à l’étude », comme celui de huit autres confrères... et
j’ai bien compris qu’ « on » ne voulait pas de moi. J’étais d’autant plus
content de revoir l’Algérie – que j’ai visitée la dernières fois en 1975 – que
le Pape François a récemment déclaré bienheureux dix-neuf religieux qui ont été
martyrisés durant les massacres des années 1994-1996).... On a beaucoup parlé
des sept trappistes de Tibhirine (cf. le film Des hommes et des Dieux ) ainsi
que de Mgr Claverie, évêque d’Oran. Beaucoup ignorent que dans ce groupe de
victimes, il y a aussi quatre Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) assassinés
le 27 décembre 1994 par des terroristes déguisés en militaires. Il y avait
trois Français : Jean Chevillard, Alain Dieulangard et Christan Chessel (qui
avait à peine cinq ans d’ordination) et un Belge, Charles Deckers.
S’ils comptent au
nombre des martyrs, c’est parce que les écrits et les témoignages qu’ils ont
laissés montrent qu’ils savent qu’ils prenaient un risque en restant en
Kabylie, à Tizi-Ouzou, non loin des montagnes où se cachaient les troupes du
FIS. Et Pourquoi sont-ils restés alors qu’il y avait ce risque ? Comme pour les
trappistes et tous les autres religieux et religieuses assassinés à cette
époque, c’est par fidélité à l’alliance qui les liaient au peuple algérien.
Être
missionnaire, ce n’est pas seulement se mettre au service d’une Église, pour un
temps, et s’en aller quand on est fatigué ou que le situation politique et
économique s’aggrave, comme c’est la cas actuellement pour le Soudan du Sud, le
Burundi, la RD Congo, etc. C’est s’immerger dans un peuple et une culture avec
lesquels ont crée des amitiés profondes, même s’il n’est presque pas question
de conversion dans le cas du Maghreb. Car l’Église ne s’engage pas qu’auprès
des convertis, et elle ne limite pas son investissement à des liturgies ou des
œuvres caritatives. Elle est aussi présente à tous les enjeux politiques qui
font partie du quotidien d’une société, en s’adaptant selon les pays. Parmi ces
enjeux, en RDC, il y a tous ces enfants qui ne mangent qu’une fois tous les
deux jours, tous ces jeunes diplômés qui ne trouvent pas de travail et errent
dans les rues (quand ce n’est pas dans les groupes armés) dans un pays dont les
ressources en minerais stratégiques sont illimitées, il y a aussi la
dévaluation et la désorganisation du pays qui fragilisent 13 millions
d’habitants dont les humanitaires essaient aussi de se charger, cherchant 1,6
milliards d’euros pour les sauver. Tout cela nous concerne au quotidien et
parfois hantent nos nuits. Faut-il dire que pour nous, Missionnaires d’Afrique,
qui fêtons nos 150 ans de fondation en Afrique du Nord cette année, cette
reconnaissance du don de nos frères d’Algérie est un puissant encouragement ?
Ici, je voudrais citer
quelques mots du Pape François qui nous donnent le courage de continuer à travers
toutes les ténèbres de ce monde qui semblent occulter l’espérance si on se
laisse piéger par la façon dont beaucoup de médias les exploitent. « Sa
résurrection [du Christ] n’est pas un fait relevant du passé ; elle a une force
de vie qui a pénétré le monde. Là où tout semble être mort, de partout, les
germes de la résurrection réapparaissent. C’est une force sans égale. Il est
vrai que souvent Dieu semble ne pas exister : nous constatons que l’injustice,
la méchanceté, l’indifférence et la cruauté ne diminuent pas. Pourtant, il est
aussi certain que dans l’obscurité commence toujours à germer quelque chose de
nouveau, qui tôt ou tard produira du fruit ». (Evangelii Gaudium 276).
Kamituga
Voici un nouveau lieu
pour nos lecteurs ! Un de ces germes dont je souhaite vous parler pour terminer
est celui qui est actuellement soutenu par Germes d’Espérance. Il s’agit de la
création d’une école de menuiserie dans la zone de Kamituga, dans le diocèse
d’Uvira dans le Sud-Kivu. Elle est connue par ces mines artisanales et souvent
clandestines où des jeunes garçons se faufilent dans des boyaux de terre au
péril de leur vie à la recherche d’or pour survivre (et non s’enrichir !).
Exploités, traités comme des esclaves sous-payés, exposés à la mort, ils
prennent chaque jour des risques insensés pour trouver simplement de quoi ne
pas mourir de faim. Inutile de dire qu’ils ne sont pas scolarisés. Devant cette
situation insupportable, nous avons lancé une école de menuiserie qui permet,
en un an, d’apprendre les rudiments suffisants pour construire une table, une
chaise, un tabouret, monter le chambranle d’une porte, et construire des petits
meubles. Ils sont au nombre de trente et un cette année, qui passeront le jury
du certificat de menuisier en juin. Déjà, nous sommes à la recherche des 31
kits de menuiserie (60 € chacun) avec lequel, tout en gagnant leur vie et en
préparent un éventuel mariage, ils amélioreront le niveau de vie de leur
milieu.
Tous ces projets, comme
celui du Centre Nyota qui évolue bien et dont nous essayons d’améliorer le
niveau de salaire de l’encadrement des filles, ont pour but de rendre les
personnes autonomes, sachant que c’est toute une famille qui bénéficie ainsi
d’une amélioration du niveau de vie grâce la la professionnalisation de ces jeunes
gens, garçons et filles (250 au Centre Nyota).
Pour nous, c’est cela
célébrer la Résurrection et annoncer que l’amour a vaincu la mort.
Bernard, votre frère.