mardi 26 juin 2018

Lettre N°34, de juillet 2018


Chères amies, chers amis,

Je vous souhaite un bel été, ressourçant, familial et riche en découvertes et en rencontres amicales.

Cette année se termine bien dans les centres que Germes d’Espérance soutient. Au Centre Nyota (Bukavu), nous avons clôturé l’année par une grand tombola dont les 250 lots sont arrivés de Belgique, d’Italie et du Québec. Des amies et ma nièce ont collecté des bijoux de fantaisie, des sacoches ou des peluches qui ont réjoui tous ces jeunes vulnérables qui pour la plupart n’ont jamais vécu de tombola ni même reçu de bijou de leur vie. Par ailleurs, une trentaine de garçons et filles terminent leur année de menuiserie à Kamituga (diocèse d’Uvira, au sud de Bukavu), ils passent un jury et recevront un kit afin de pouvoir pratiquer leur nouveau métier dans le milieu où ils vivent. Ils pourront alors songer à fonder un ménage. Ce sont tous des jeunes qu’on a arraché à l’esclavage des mines d’or artisanales où ils laissent souvent la vie à cause des glissements de terrain dans les veines qui parcourent les collines. L’école d’apprentissage où cette classe a été installée étant dans un grave état de délabrement, nous avons fait appel à nos confrères de Washington qui sont soutenus par un réseau. Quelques milliers de dollars permettront de commencer modestement les travaux de réhabilitation.

Une autre raison de nous réjouir est l’ordination de dix jeunes confrères originaires de notre Province d’Afrique centrale, alors qu’un grand nombre de séminaristes stagiaires arrivent chez nous de partout pour leur expérience pastorale de deux ans sur le terrain. Avec environ 500 jeunes en formation, nous percevons le souffle du dynamisme missionnaire qui anime notre Société (et la congrégation des Sœurs Missionnaires de Notre-Dame) qui fête prochainement ses 150 ans de fondation par le Cardinal Lavigerie.

Mais il n’y a pas que la formation initiale. Malgré son accueil parfois mitigé, la formation permanente se poursuit et occupe le plus clair de mon temps, parallèlement à mon travail auprès des victimes des violences. Tout en préparant des confrères à me succéder, je poursuis mes tournées de formation qui, ces derniers mois, m’ont amené en Tunisie, au Québec, en Afrique du Sud et au Burundi. Celles-ci me permettent d’avoir une vision large et riche du travail de mes confrères dans des lieux si divers, et où l’évangélisation s’accompagne toujours d’un engagement pour la justice et pour le dialogue interculturel et interreligieux. Ces formations ne concernent pas seulement mes confrères, mais touchent d’autre publics dont, récemment une conférence épiscopale qui désirait travailler sur la guérison des mémoires afin d’enrayer le cycle des violences.
Alors, je reconnais qu’il faut de la compréhension de la part de ma communauté qui ne me voit que quelques mois par an, mais qui reste mon « chez moi » à Bukavu. J’essaie d’être pleinement engagé et participant quand j’y suis présent. Je crois beaucoup dans la qualité d’une présence fraternelle. On peut vivre sous le même toit et ne montrer aucun intérêt pour ce que vivent les confrères, ou éviter de partager ce que l’on vit soi-même. Ce qui fait le rayonnement d’une communauté témoin, c’est la vérité et la profondeur de la vie fraternelle, « lieu du pardon et de la fête » comme l’écrit Jean Vanier. S’accueillir mutuellement après une longue absence (le conseil provincial fait partie de notre communauté et doit être très mobile), se soucier de la santé des plus fragiles, profiter pleinement des temps forts communautaires, tout cela nous aide à nous sentir en famille avec nos différences d’origine et de culture. Je viens de célébrer mes 42 ans d’ordination et, malgré des désillusions, je persiste et signe : je suis prêt à recommencer et mes frères y sont pour beaucoup.

De gauche à droite, Pierre Petitfour (Français), Jérome Kodjo (Congolais), moi-même, Emmanuel Ngona (notre provincial, Congolais), Grégoire Milombo (Congolais, il n’est pas musulman), Sébastien Kalengwe (Congolais), Alex Goffinet (Belge) Dennis Pam (Nigerian).

Quant à la situation politique de notre pays, je ne puis que répéter ce que j’ai écrit dans mes Lettres de la Savane précédentes, l’approche des élections (dont on n’est même pas sûr qu’elles ne vont pas être annulées à la dernière minute !) entretient un climat délétère de suspicion, de rumeurs, de coups bas, démontrant le narcissisme et l’égocentrisme de la plus grande partie de la classe politique. Les gens du peuple disent : cela ne sert à rien de les changer, les nouveaux feront comme les prédécesseurs et nous continueront à vivre dans la misère. La communauté internationale s’acharne à garantir une alternance, mais pour alterner quoi, et qui, en vue de quel avenir ? Les récentes découvertes de nouveaux gisements de cobalt et de cuivre, de même que le gaz et le pétrole dans les magnifiques grands lacs dont l’écosystème est ainsi menacé, attirent tout ce qui existe comme prédateurs sur la planète, et les Chinois et les Russes sont bien présents pour participer à la curée commencée par les Occidentaux depuis la période coloniale. 
 
Dans la société civile, des groupes de jeunes non-violents, des associations qui se battent pour les droits humains, des groupes de femmes, des ONG de journalistes montrent qu’il y a un processus de maturation dans une partie de la population qui ne se laisse plus avoir par les mensonges des propagandes électorales. C’est un signe d’espérance avec l’engagement des laïcs catholiques qui ont organisé des marches pacifiques pour le respect des accord de 31 décembre 2016 en vue d’élections justes et pacifiques. Malgré l’assassinat de plusieurs dizaines d’entre eux par les forces dites de l’ordre, ils ne se sont pas laissés décourager. 
 
Je vous écris de Lomé, capitale du Togo, du siège de la Caritas Africa qui coordonne les Caritas (réseaux caritifs) de l’Eglise catholique en Afrique. Je participe à un groupe de référence sur la mise en application de la Déclaration de Dakar, de septembre 2017, où les évêques d’Afrique ont fixé les priorités pour l’engagement de l’Eglise au service de la charité, de la justice et de la paix. Comment l’Eglise catholique fait-elle la différence avec les ONG qui nous dépassent en moyens et parfois en professionnalisme, mais qui sont toujours de passage, avec de nombreux expatriés souvent grassement payés, et qui tiennent rarement compte des cultures et des croyances africaines. Présente depuis plus d’un siècle, l’Eglise a un enracinement unique dans la population. Elle a cependant à dépasser les statistiques sacramentelles pour aller vraiment au « périphéries » plutôt que de se laisser tenter par l’esprit « mondain » de la globalisation qui s’insinue partout aujourd’hui en Afrique. Elle doit aussi être irréprochable dans son usage de l’argent destiné à des projets humanitaires. Je me réfère ici au Pape François si soucieux des migrants et des déplacés de l’intérieur qui sont des millions en Afrique.

Je termine en confiant à votre prière la petite Olga, 12 ans, qui vient d’une famille en grande difficulté économique. On lui a découvert un rhumatisme articulaire aigu qui a attaqué la valvule mitrale. Elle doit se faire opérer en Europe. Nous avons sollicité en France « Mécénat chirurgie cardiaque » car cela dépasse nos moyens. Nous attendons leur réponse avec espoir…

La petite Olga de Bukavu qui doit être opérée rapidement à cœur ouvert en Europe.


Très amicalement à toutes et à tous
 
Bernard

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