mardi 19 décembre 2017

Lettre N°32, du 17 décembre 2017


Chères amies et chers amis,

Noël est proche et je viens vous souhaiter d’accueillir cette Bonne Nouvelle d’espérance dans vos cœurs et dans vos familles. Pour certain-e-s il s’agit peut-être surtout d’une fête de fin d’année aux résonances familiales, et je vous souhaite de joyeuses retrouvailles, pour d’autres c’est l’attente ravivée d’un amour plus profond et plus fort pour renouveler nos sociétés en quête de sens où l’implication de Dieu dans notre aventure nous garde confiants dans l’avenir. A tous et toutes, bonne fête de Noël.
J’en profite pour vous remercier pour le soutien fidèle de celles et ceux qui, parmi vous, ont compris à quel point notre œuvre de reconstruction des personnes blessés par la vie (et on parle beaucoup aujourd’hui, dans le monde, des victimes de violences sexuelles, plus seulement ici !) ne peut se faire que dans la durée. La plupart des jeunes femmes accueillies dans notre centre y passent trois ans pour reconquérir leur autonomie. Votre générosité rend possible cette reconstruction au quotidien, au rythme de chacune.

Quelques nouvelles de la Société des Missionnaires d’Afrique.
L’an prochain, nous commençons la célébration de notre jubilé de 150 ans de fondation par le Cardinal Lavigerie « des Pères Blancs et des Sœurs Blanches » appelés aujourd’hui Missionnaires d’Afrique.
C’est l’occasion d’une profonde action de grâce pour la fécondité de nos deux instituts qui deviennent de plus en plus africains tout en restant ouverts sur le monde. Notre grand âge ne nous empêche d’être tournés vers l’avenir. Nous ne sommes plus qu’environ 1200 membres avec une moyenne d’âge élevée. Mais si le nombre d’occidentaux diminue, les jeunes en formation augmentent, ils proviennent du Sud (Afrique, Amérique latine) et d’Extrême-Orient (où nous sommes, depuis 25 ans, en Inde et aux Philippines): plus de 500 jeunes sont en formation à travers le monde. Le plus grand nombre est en premier cycle et s’il n’y en a généralement que 25 % qui arrivent à l’engagement définitif, ces jours-ci, 34 d’entre eux vont prononcer leur serment missionnaire!
Le Cardinal Lavigerie

En outre, depuis quelque temps et, entre autres, en lien avec les mouvements de migration, nous avons à nouveau des fondations en Europe à la demande des évêques. Après Marseille et Toulouse, c’est le tour de Karlsruhe et de Liverpool qui sont lancés ces mois-ci, sans oublier un centre à Montréal (Canada) qui existe depuis plus longtemps. Bref, nous avons beaucoup de raisons de nous réjouir. D’autant plus que la collaboration entre la branche masculine et la branche féminine se renforce d’année en année. Un exemple, ce sont les sessions que j’anime avec une religieuse chaque année à Rome pendant deux mois où, depuis trois ans, les Pères, les Frères et les Sœurs âgés se retrouvent ensemble pour ce temps de renouveau. Sur le terrain, en Afrique, nous nous retrouvons régulièrement dans le cadre des célébrations du jubilé.

La RD Congo est toujours en grande difficulté

La situation de notre pays ne fait qu’empirer alors que certaines autorités semblent tout faire pour que les élections, déjà retardées de deux ans, n’aient pas lieu dans les délais enfin fixés (fin 2018).
Non seulement la situation continue à se dégrader à cause de la dévalorisation de la monnaie nationale, mais la situation sécuritaire s’aggrave (14 casques bleus tués dans l’est il y a quelques jours). Les violences ont des conséquences dramatiques : deux millions d’enfants risquent une grave malnutrition dans les provinces du Kasaï à la suite des déplacements de populations qui ont suivi les massacres qui semblent avoir eu pour but de retarder les élections (par qui ?). Or on ne sait toujours pas qui a assassiné le 12 mars les deux experts de l’ONU venus enquêter sur les charniers découverts par dizaines dans ces provinces, étant donné la façon dont la justice gère la question.
Quant à la situation de déplacés, Ulrika Blom, directrice du Conseil Norvégien des réfugiés en RDC. a affirmé : «C’est une méga crise. L’échelle des personnes fuyant la violence en RDC est au-dessus des limites, dépassant la Syrie, le Yémen et l’Irak», il y a une moyenne de 5.500 personnes par jour qui sont déracinées de leur milieu de vie à la suite des violences et de l’insécurité1.
Le ralentissement des investissements étrangers est aussi lié à cette insécurité et au fait que le Président ne s’est toujours pas prononcé à propos d’un éventuel troisième mandat (qui serait anticonstitutionnel) malgré la demande pressante des évêques, en vue de ramener la paix. D’où la stagnation économique. En outre, comme le signale le FMI, la RDC ne mobilise qu’un septième des taxes qu’elle devrait percevoir dans le secteur minier.
Par ailleurs, le choléra touche actuellement 23 des 26 provinces de la république. Selon le programme national d’élimination du choléra qui a livré cette information à Radio Okapi (radio nationale gérée par l’ONU), cette maladie continue de se propager en atteignant des proportions inquiétantes.
Excusez cette succession de mauvaises nouvelles, mais vous qui nous soutenez avez le droit de savoir ce que la population vit aujourd’hui comme lutte pour la survie et pourquoi nous continuons à faire appel à vous.

Un procès historique ?
A une trentaine de km de Bukavu, à Kavumu, dans le procès qui vient de s’achever, 12 miliciens ont été condamnés à la prison à perpétuité, pour des viols d’enfants. C’est un grand espoir pour l’avenir. Entre 2013 et 2016, près de 40 fillettes ont été enlevées chez elles la nuit, violées puis abandonnées dans la campagne aux alentours. Elles avaient, au moment des faits, 12 ans pour la plus âgée, 8 mois pour la plus jeune. Au moins deux en sont mortes. La milice appelée Armée de Jésus était dirigée par un député provincial du Sud-Kivu, Frédéric Batumike, dont l’immunité a été levée. C’est le « guérisseur » traditionnel inspirateur du groupe qui avait poussé ces miliciens à ces pratiques afin de renforcer leur énergie vitale pour la guerre. La plupart de ces fillettes ont été soignées à l’hôpital Panzi de Bukavu, par le Dr Mukwege, devenu très connu grâce aux divers prix
qu’il a reçus un peu partout dans le monde (dont le prix Sakharov et l’alternatif du Nobel). La dernière fois que je l’ai rencontré, il tenait par la main une fillette toute menue qu’il venait d’opérer et dont il m’a dit : « je suis désolé, malgré l’opération, elle ne pourra jamais avoir d’enfant ».

Espérer contre toute espérance
Faut-il vous dire que j’aurais préféré vous donner des nouvelles plus réjouissantes à l’approche de Noël ? Mais vous êtes suffisamment informés sur le désordre mondial qui prévaut pour ne pas vous étonner de ce qui se passe chez nous, dont je vous parle régulièrement. Les gens sont d’un courage incroyable, malgré l’augmentation des frais scolaires et la fragilisation de leur petit commerce qui déséquilibrent complètement le budget des ménages.
Je rappelle ce que j’écrivais dans ma lettre précédente, pour la dernière année scolaire, au centre Nyota, il y a eu 98 % de réussites à l’examen de fin du cycle primaire et les résultats au concours de couture ont été excellents. Les filles sont tenaces et tiennent à s’en sortir. Les gens continuent à croire dans la vie, à se préparer à célébrer Noël, à se procurer de jolis vêtements pour leurs enfants, à répéter les cantiques de la messe de minuit avec enthousiasme. Car l’évocation d’un Dieu qui s’est fait homme – Emmanuel, Dieu avec nous – a d’autant plus de sens pour ceux qui sont fragilisés. Ils croient que le pire n’est pas le plus sûr et que la solidarité peut l’emporter l’indifférence pour les plus fragiles.
Merci de tout cœur pour votre amitié ! Bernard

Répétition de danses liturgiques par les petites danseuses du Foyer Ekabana (qui accueille des fillettes orphelines ou accusées de sorcellerie).

Kinshasa-Kigali, un accord entre Etats mais loin d’être endossé par les groupes rebelles.

  Pour une paix durable à l’Est du pays, faudra-t-il un arrangement entre Etats ? Ou alors une harmonisation avec les groupes rebelles ? S’i...