samedi 28 septembre 2024

Afrique-grands lacs, l’annonce de la saison pluvieuse fait peur aux populations suite à l’absence d’une politique environnementale


Les inondations en Afrique, pays des Grands-lacs annonce une crise alimentaire.

Les inondations qui touchent les régions du lac Tanganyika pendant les périodes pluvieuses détruisent les cultures et exposent les victimes à une crise alimentaire certaine.

D’après le Programme alimentaire mondial (PAM), 21 000 ha inondés sont des terres cultivées. Les victimes risquent de dépendre encore de l’aide humanitaire, alors que les importations alimentaires risquent d’augmenter.

Les inondations, qui touchent plus souvent le Burundi, le Kenya, la République démocratique du Congo (RDC) et la Tanzanie, compromettent la sécurité alimentaire de ces 4 pays de la région des Grands lacs africains, puisque, depuis novembre 2023, les cultures sont submergées et pourrissent alors que les eaux ne reculent presque pas.

Dans les régions de l’Est de la RDC meurtries par d’interminables violences armées depuis 1994, dont font partie le Sud-Kivu et le Tanganyika, le Programme alimentaire mondial (PAM) redoute une catastrophe humanitaire. Au moins 471 000 personnes vivent dans des zones inondées, d’après le PAM qui indique, en plus, que sur 451 000 hectares inondés, 21 000 sont des terres cultivées. Plus de 163 000 se trouvent dans le Tanagnyika, d’après le bureau de l’ONU aux affaires humanitaires, OCHA.

Alors que les maladies hydriques se propagent « sans précédent », selon Muteni, les cultures pourrissent sous les eaux du lac en furie. « La plaine de la Rugumba de Kalemie, le territoire de Moba qui est le poumon économique de la province, et le territoire de Kabalo situé à 320 km à l’ouest de Kalemie, sont plus souvent tous touchés par les inondations. Les routes de desserte agricole demeurent impraticables, le port de Moba englouti, le chemin de fer délabré, ce qui annonce déjà l’insécurité alimentaire. On ne peut se tourner que vers la Tanzanie pour les importations, avec toutes les conséquences ».

Une situation précaire au départ

En RDC, les inondations qui touchent plusieurs villes et centres ruraux, de Uvira dans le Sud-Kivu à Kalemie au Tanganyika, plus au sud, compliquent une situation alimentaire déjà précaire dans cette région qui essaie de sortir d’une décennie d’instabilité. Depuis 2013, à cause de l’activisme des groupes armés qui sévissent, de milliers de personnes ont fui leurs villages et se sont réinstallés à la moindre accalmie parfois de très courte durée, accentuant ainsi une crise alimentaire à ce jour toujours pas encore résorbée dans certaines parties.

Par ailleurs, les inondations se répètent, toujours plus inquiétantes, depuis 2019, dans cette région congolaise du littoral du lac Tanganyika. Dans les pays limitrophes, le Burundi, la Tanzanie, notamment, les effets des inondations restent aussi alarmants qu’en RDC.

Au Burundi, plus de 180 000 personnes ont été touchées d’octobre 2023 à mars 2024, avec un impact sur près de 40 000 hectares de champs cultivés, soit 10 % des superficies des cultures vivrières du pays pour la saison culturale 2024. D’après le média local Iwacu, les volontaires commencent à être réinstallées loin des zones inondables.

Les défis écologiques du lac Kivu confronté à la pollution

Rivières non curées et habitations en zones inondables, selon Privato Ilunga qui dirige l’ONG Les Bâtisseurs basée à Kalemie. Ces facteurs expliquent que le quartier DAV, au nord de la ville de Kalemie, soit le plus touché par les inondations.

A Goma par exemple, les activistes de l'environnement dans le Nord-Kivu, sonnent l'alarme face à la pollution croissante des eaux du lac Kivu, causée par les déchets plastiques et les emballages. Le lac Kivu, en plus d'être une voie de navigation essentielle, est une source vitale d'eau et de poissons, notamment le Sambaza, une espèce de fretins particulièrement prisée par les habitants de la région. L'absence d'actions concrètes pourrait entraîner l'extinction de cette espèce endémique de la région. En outre, l'insalubrité dans certains marchés, ainsi que les cendres du volcan Nyiragongo, constituent d'autres défis majeurs auxquels la ville de Goma est confrontée, selon Assumani Hamada, un chercheur spécialisé dans les questions environnementales, joint au téléphone par la rédaction de Germes d’Espérance depuis la ville voisine – Bukavu.

En outre, poursuit M. Assumani,  la pollution de l'air causée par les éruptions volcaniques du Nyiragongo constitue une menace supplémentaire. En effet, d'après lui, les cendres volcaniques contaminent les aliments et compromettent la santé respiratoire de la population locale, explique ce chercheur.

Des efforts sporadiques sont entrepris pour lutter contre la pollution du lac Kivu, mais ces initiatives nécessitent un soutien accru pour être efficaces.

Rivière Ruzizi transformée en dépotoir.


Alors que confronter par la perturbation en courant électrique, la population de la ville de Bukavu ne cesse d’inonder la rivière Ruzizi (séparant la RDC et le RWANDA) par des déchets en bouteilles plastiques qui causes d’énormes menaces au barrage de la Ruzizi.

Ce constant a été fait ce lundi 23 septembre 2024 par le Ministre Provincial de l’Environnement et Economie verte de la Province du Sud-Kivu en RDC, Monsieur Didier Kabi. Dans son message, il a essayé d’interpeller toutes les parties prenantes à prendre conscience de la protection de cette rivière d’intérêt régional afin non seulement de sauvegarder ce barrage qui sert l’électricité à la RDC mais aussi au Rwanda et le Burundi.

De l’autre côté, c’est la vengeance du lac Kivu

Ce mardi 24 septembre à Minova dans le territoire de Kalehe au Sud-Kivu, les poissons morts ont fait surface sur les eaux du lac Kivu sans que la vraie cause ne soit dévoilée amenant ainsi la population moins instruite à s’en servir comme nourriture.

Selon SADIKI Juge, président de la société civile du groupement de Buzi à Kalehe qui a été contacté par G.E (Germes d’Esperance), confirme les faits en indiquant que d’autres animaux aquatiques ont été également retrouvés morts à kitembo dans les jours passé. Tout de même, étant donné qu’à l’heure actuelle il est difficile d’infirmer ou confirmer l’état toxique ou propre de ces poissons, SADIKI pense que cette situation serait due à une fuite de gaz méthane se trouvant dans le lac Kivu.

Source :

-          https://fr.mongabay.com/2024/06/les-inondations-en-afrique-des-grands-lacs-annonce-une-crise-alimentaire

-          https://www.radiookapi.net/2024/06/08/actualite/environnement/goma-les-defis-ecologiques-du-lac-kivu-confronte-la-pollution

Par Destin BYANDIKE

mardi 17 septembre 2024

RDC, une nouvelle vague de virus met en danger les vies des populations (MPOX)

 

MPox (Monkey Pox) , appelée en français la variole du singe, est une infection virale causée par un virus, de la même famille que celui de la variole. L’émergence d’une souche plus mortelle de la maladie - 537 décès en RDC parmi les 15.600 cas signalés depuis le début de l’année- a conduit l’OMS à la déclarer "urgence de santé publique de portée internationale" le 14 août dernier.

La République Démocratique du Congo fait face à une recrudescence inquiétante des cas de mpox. Endémique dans le pays, cette maladie connaît une augmentation alarmante des cas depuis plus de deux ans, touchant désormais toutes les provinces congolaises. Cette situation met en lumière les défis sanitaires que le pays doit relever, en particulier dans les provinces les plus touchées comme le Sud-Kivu.

La situation sanitaire critique dans l'Est de la RDC s'ajoute à la grave crise humanitaire en cours.

Plus de 300 cas positifs à la variole du singe ont déjà été confirmés dans la zone de santé de Nyiragongo au Nord de la ville de Goma. La plupart des cas ont été découverts dans des camps de déplacés. 

Edwige Bora, déplacée de guerre et mère de quatre enfants, tous atteints du mpox, se plaint du coût de leur prise en charge dans les hôpitaux : "On dit toujours que la prise en charge des malades est gratuite, mais lorsque nous arrivons à l'hôpital, on nous donne quelques comprimés accompagnés d'une ordonnance pour que nous allons payer les médicaments à la pharmacie. Et les comprimés que l'on nous donne, ne nous servent presqu'à rien car les malades ne guérissent pas."

En dehors des infrastructures sanitaires publiques, de nombreux cas positifs à la maladie de mpox, sont aussi suivis à domicile, suscitant des inquiétudes de la population qui craint la propagation incontrôlée de la maladie.

Mais Ghislain Bahati, médecin traitant, rassure et invite les populations à observer les mesures préventives, notamment le lavage régulier des mains.

Pour sa part, le Docteur Thierry Turano, médecin chef de la zone de santé de Nyiragongo avoue faire face à plusieurs défis pour contenir la progression de l'épidémie et appelle à l'intervention du gouvernement.

Focus sur le Sud-Kivu : une province en crise

Située dans la partie Est du pays, la province du Sud-Kivu est l’une des plus sévèrement affectées. L’hôpital général de la ville d’Uvira, par exemple, continue d’accueillir de nouveaux cas chaque semaine. À 9 heures du matin, l’hôpital est déjà en pleine activité. Jolie Martha, une mère inquiète, est venue chercher des soins pour son enfant. Elle raconte :

« Je suis ici parce que mon enfant a attrapé le virus mpox. J’ai remarqué qu’il pleurait beaucoup et ne mangeait pas. Lorsqu’il mangeait un peu, il vomissait. Nous sommes nombreux à la maison et personne n’avait encore cette maladie. On nous a dit qu’à l’hôpital on soignait gratuitement, alors nous sommes venus. Cela fait une semaine que nous sommes ici, et l’état de mon enfant s’améliore. »

La peur du virus mpox est exacerbée par la perception erronée de la maladie dans certaines communautés, où elle est parfois associée à des pratiques mystiques ou de sorcellerie. Cette perception entrave l’adhésion aux mesures de santé publique, compliquant ainsi la lutte contre l’épidémie.

Amina Germaine, une autre patiente, a également contracté la maladie sans en connaître la nature au début. « Au départ, j’avais une forte fièvre. J’ai pensé que c’était le paludisme. Puis des boutons sont apparus sur tout mon corps. Je suis alors allée à l’hôpital où j’ai reçu des soins gratuitement. »

Les conflits armés favorisent la propagation du virus

Goma, est presque encerclée par une rébellion armée. Dans cette ville, où des centaines de milliers de déplacés s'entassent dans des camps de fortune, la promiscuité fait craindre une propagation à grande échelle.

Dr Louis Albert Massing, coordinateur médical de MSF en RDC, souligne l’accélération préoccupante de l’épidémie. « Une mutation génétique a été identifiée au Sud-Kivu, avec une transmission d’humain à humain ininterrompue depuis des mois. Cela n’avait pas encore été observé avec la souche du bassin du Congo, contrairement à celle d’Afrique de l’Ouest, responsable de l’épidémie mondiale de 2022. Un autre motif d’inquiétude est la propagation de la maladie dans les camps de déplacés autour de Goma, au Nord-Kivu, où la densité de population rend la situation critique. »

Quels risques pour les enfants, surtout en cette période de la rentrée scolaire ?

La variole simienne peut s’avérer plus dangereuse pour les enfants, les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées.

Dans les situations d’urgence, notamment dans les camps de déplacés, la promiscuité, le manque d’infrastructures sanitaires et les difficultés d’accès aux soins pourraient conduire à une explosion des cas.

Cette nouvelle flambée de la variante Mpox est une menace inquiétante de plus pour les enfants et les familles, qui, pour beaucoup, subissent déjà les conflits, les déplacements, les épidémies de choléra, de polio, et la malnutrition.

Pourtant, les complications pourraient être évitées avec une prise en charge rapide et des mesures de prévention simples.

Malheureusement, il se constate un manque de politique publique pour prévenir cette maladie en milieu scolaire pourtant, les enfants étudient dans des conditions non approprié et sans mesures barrières.

Augustine Asta – Cité du Vatican

L'épidémie de mpox se propage à un rythme préoccupant en République démocratique du Congo (RDC). «Depuis le début de l'année jusqu'au 31 août 2024, la RDC a enregistré plus de 21 000 cas suspects de mpox, dont plus de 5 000 cas confirmés et 700», souligne le communiqué de presse publié par l'UNICEF ce jeudi 12 septembre. C’est pourquoi l’agence onusienne, souhaite renforcer «son soutien au gouvernement pour protéger et sauver la vie des enfants de moins de 15 ans qui représentent environ 60 % des cas suspects et 80 % des décès cette année», indique le communiqué.

Pour freiner cette épidémie, «au cours de la semaine dernière, l'UNICEF a reçu les premiers envois de vaccins contre la mpox, soit 215 000 doses au total», révèle le communiqué de presse. «D'autres envois devraient bientôt arriver. En attendant, l'Unicef soutient le déploiement des vaccins en fournissant les fournitures et la logistique nécessaires et en formant les agents de santé au transport, au stockage et à l'administration des vaccins aux patients», peut-on également lire. Des unités de traitement et d'isolement du virus mpox dans des centres de santé très fréquentés ont été mis en place par l’organisation de même que le renforcement de la surveillance communautaire. L’intervention de l'UNICEF contre la maladie virale «vise 12 des 26 provinces de la RDC».

À côté de cette situation sanitaire alarmante il faut aussi signaler que «plus de 25 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire, dont près de 15 millions d'enfants en RDC. Rien que dans l'Est du pays, 7 millions de personnes sont déplacées, ce qui fait de la RDC l'une des plus grandes crises de déplacement au monde».

La représentante adjointe de l'UNICEF en RDC, Mariame Sylla, a affirmé que «bon nombre des personnes touchées par l'urgence du virus mpox étaient déjà confrontées à de multiples privations dues aux conflits armés, aux déplacements et à d'autres épidémies». «La réponse au virus mpox ne doit pas négliger les besoins humanitaires préexistants, et toute mesure doit servir à renforcer les efforts existants», a-t-elle ajouté.

 

Destin BYANDIKE, pour Germes d’Esperance

Sources :



© UNICEF/UNI624795/Benekire

lundi 2 septembre 2024

Bernard Ugeux: «J’ai une histoire d’amour avec la RDC»


«Je ne suis pas optimiste», confie le Père Bernard Ugeux à cath.ch au sujet de l’évolution de la situation dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Le Père blanc d’origine belge évoque la situation de la région secouée par la violence et l’instabilité politique. Il revient aussi sur sa mission à Bukavu, où il est revenu il y a 15 ans, à laquelle il tient beaucoup.

Le Père Bernard Ugeux (voir encadré) a mis les pieds pour la première fois en RDC en 1971. Séminariste, il souhaitait effectuer un stage en Afrique. «De nos jours, c’est habituel pour les jeunes en formation, mais à l’époque c’était nouveau. D’une certaine façon, il s’agissait d’un stage ›découverte’». Il est rentré en France pour faire sa théologie. Il a été ordonné prêtre à Bruxelles en 1976 et renvoyé au Congo la même année. Il y revient ensuite. A 78 ans, l’énergique religieux compte rester en RDC tant qu’il pourra: «C’est une question d’alliance avec ce pays».

Vous accueillez dans votre centre des femmes et des jeunes femmes victimes de viol ou d’extrême vulnérabilité sociale. Comment se concrétise cet accueil?
Père Bernard Ugeux: Chaque personne qui arrive au centre fait l’objet d’une enquête qui nous permet d’évaluer sa situation car nous n’accueillons que les personnes en situation de détresse: des filles qui ont pu être victimes de violence sexuelle ou d’autres formes de violence – mais aussi des enfants en situation de rue. Au moment où les filles arrivent au centre, elles sont totalement dépendantes. Certaines ne peuvent pas se nourrir. Nous leur trouvons un foyer d’accueil car nous sommes un externat. Nous proposons d’abord un travail de reconstruction sur le plan psychologique et humain. Tout en les préparant au certificat d’école primaire pendant trois ans. Elles peuvent ainsi continuer dans le secondaire ou bien poursuivre une formation professionnelle. L’objectif est de rendre ces filles autonomes, qu’elles quittent le centre avec un diplôme, une machine à coudre et du matériel, de sorte qu’elles puissent débuter leur projet professionnel et prendre leur famille en charge.

Pour ces femmes, le drame complète la violence: elles sont rejetées par la société.
Oui, elles sont stigmatisées et elles éprouvent une grande honte. Notre premier travail consiste à les déculpabiliser: elles ont toujours l’impression que ce qui leur est arrivé est de leur faute, qu’elles ont fait quelque chose de mal. Nous effectuons un travail de reconstruction de l’estime de soi. Ces femmes sont, de plus, marginalisées, raison pour laquelle elles viennent en ville. Dans leur village, elles ne peuvent plus se fiancer. Elles ont aussi des problèmes de santé et des troubles psychologiques liés à ce qu’elles ont subi.


Le centre de Nyota accueille des femmes qui peuvent se reconstruire et apprendre le métier de couturière | © Bernard Ugeux

Différentes ONG et l’ONU font état de 500’000 mille femmes victimes de viol dans le Kivu ces 25 dernières années. Ces statistiques effarantes vous paraissent-elles réalistes?
Il est difficile d’établir des statistiques précises dans ce domaine, je pense que ce chiffre est sous-évalué. Ce sont des projections. En fait, les données représentent les personnes qui sont en contact avec les centres sanitaires ou médicaux. Beaucoup de femmes ne disent pas qu’elles ont subi un viol, de peur d’être chassées par leur mari et d’être stigmatisées par la société. Il y a aussi le problème de l’inceste qui est tabou. Une jeune élève du centre est tombée malade. Emmenée à l’hôpital où on lui a découvert de gros problèmes gynécologiques, elle a fini par dire ce que lui faisait subir son père. Elle l’a dénoncé et a été mise au ban de la famille.

Au-delà de la violence faite aux femmes, qui occupe une place centrale dans la famille, c’est la société qui est visée, mais de quelle manière?
Tout dépend du contexte du viol. Par exemple en milieu urbain, des hommes profitent d’une occasion pour s’en prendre à une fille qui va chercher de l’eau seule le soir au robinet. Il y a le cas des groupes armés, qui travaillent pour des multinationales, qui veulent conquérir des territoires dont le sous-sol riche en minerai représente un intérêt. Le viol vise à terroriser les populations.
Il y a des groupes qui agissent pour des motifs ethniques qui veulent humilier la culture de l’autre: ils violent toutes les femmes et les filles du village qu’ils attaquent. Ainsi on humilie l’homme en l’obligeant à assister au viol de sa femme, on humilie la femme violée devant ses enfants. On détruit ainsi toute la structure familiale et culturelle car il y a une grande pudeur dans ce domaine-là.

«Beaucoup de femmes ne disent pas qu’elles ont subi un viol, de peur d’être chassées par leur mari et d’être stigmatisées par la société.»

En plus de cette mission auprès des femmes, vous vous êtes engagé récemment dans le réseau Talitha Kum*.
Le réseau, qui lutte contre la traite des êtres humains, n’était pas présent dans notre région. L’initiative devant être prise par la faîtière nationale des religieux, je me suis adressé à l’association des Religieux du Congo – une association regroupant les religieux et les religieuses – en exposant le contexte de notre région frontalière du Kivu: beaucoup de jeunes diplômé-es, qui n’ont pas la chance de trouver du travail, émigrent. Nombreuses sont les personnes qui disparaissent, victimes des réseaux de prostitution ou de trafiquants d’organes.

Qu’est-ce qui vous a décidé à adhérer à ce réseau?
Des filles sont venues me voir en me demandant de leur financer leur passeport. Elles s’apprêtaient à suivre des hommes qui leur promettaient une formation au Canada après être passée dans un camp en Ouganda. Comme elles étaient incapables de préciser par quelle filière elles partiraient, j’ai refusé en leur expliquant qu’elles risquaient de se retrouver dans un bordel à Dubaï. J’ai réalisé que des mafieux essayaient de récupérer des filles pour leur réseau de prostitution. Les jeunes, sans travail et sans avenir, sont parfois tellement désespérés qu’ils acceptent n’importe quelle proposition pour quitter le pays. Au mois d’octobre, nous allons donner une formation pour les gens de Kinshassa, de Bukavu et de Goma. Nous avons déjà commencé une formation en ligne pour ceux qu’on appelle les «Jeunes ambassadeurs», la branche jeunes du mouvement. Ils sont les mieux placés pour sensibiliser leurs amis en terminale, à l’université ou au collège, sur les risques que représente une migration qui peut s’avérer dangereuse.

L’idée est de retenir les gens ici en RDC pour éviter qu’ils ne se fassent prendre dans des réseaux mafieux.
Il ne s’agit pas d’abord d’empêcher les gens d’aller étudier à l’étranger. Nous ne sommes pas a priori contre l’émigration. Nous devons en revanche être sûrs que ces jeunes ne tomberont pas aux mains des réseaux mafieux. Pour cela nous devons effectuer un travail de prévention: pour ceux qui décident quand même de partir, un accompagnement est mis en place pour voir l’itinéraire qu’ils vont parcourir, leur donner des contacts au cas où ils rencontrent des problèmes. Dans certains cas, nous effectuons un travail de suivi quand la personne arrive à destination. Bien souvent les jeunes filles se font confisquer leur passeport avant d’être livrées à la prostitution. En dernier recours, le réseau Talitha Kum dont des Pères blancs partent à leur recherche pour tenter de les exfiltrer et les ramener dans leur pays. Ce qui représente un grand danger car ils se heurtent de front aux mafieux qui n’hésiteront pas à éliminer la personne que les religieux essayent d’aider.


Le Père Ugeux bénit le bâtiment qui accueille les nouvelles machines à bois électriques | © Germes d’Espérance

Vous venez d’inaugurer un atelier de menuiserie à Kamituga avec des machines électriques, l’aboutissement d’un long projet.
Depuis sept ans, je soutiens la reconstruction et le développement d’une école de menuiserie fondée par une paroisse. Depuis un an, on a pensé à l’intérêt de les former sur des machines électriques pour leur permettre d’être embauchés dans des scieries plus importantes. D’autant qu’il y a des débouchés dans cette branche. Le pays a une activité sylvicole et la demande est forte. La plupart des habitations sont construites en bois. C’est un contexte particulier: le centre se trouve dans une ville aurifère où une grande partie de la population travaille dans des puits à gratter la terre pour trouver de l’or. Ces gens, parfois des enfants de 12 ans, travaillent sans aucune sécurité. Certains sont ensevelis lors de glissements de terrain ou peuvent être asphyxiés lorsque la ventilation tombe en panne.
Cette activité a entraîné le déclin de l’agriculture provoquant ainsi la hausse des prix de l’alimentation, obligeant les gens à survivre. Certains tentent de mettre de l’argent de côté pour leurs études.
Lorsqu’on m’a proposé de relancer cette école, je me suis dit: «Si cela permet à un certain nombre de jeunes d’avoir un métier de menuisier et de ne plus descendre dans la mine, c’est tout cela de gagné». Une trentaine de jeunes suivent cette formation chaque année, donc environ 200 sont passés par l’atelier en sept ans. C’est peu et c’est déjà beaucoup. Il en faudrait des milliers. C’est une goutte d’eau dans la mer… On fait comme le colibri! Jusque-là ces jeunes recevaient une formation de menuisier avec des outils traditionnels.

Depuis une quinzaine d’années, vous êtes confronté quotidiennement à la violence extrême, au travail des enfants, à l’esclavage, à la misère. Comment vivez-vous cela?
La situation était différente lorsque je suis arrivé en RDC pour la première fois, il y a 53 ans. Et mon travail n’était pas le même. Il y a quinze ans, je suis revenu pour donner des cours de formation continue pour mes confrères travaillant en Afrique. Je circulais beaucoup. Maintenant, je travaille dans un séminaire de formation de futurs prêtres missionnaires. Je ne suis donc pas davantage exposé en permanence à toutes ces souffrances et à toutes ces difficultés car je reste sur place. Je les vis à travers les nombreuses personnes que je reçois individuellement, dont une dizaine de femmes, rescapées de groupes armés où elles ont vécu l’enfer, que j’accompagne.

«J’ai dû me dire:’Le sauveur ce n’est pas moi, je suis envoyé par le Sauveur pour participer». Le sauveur est le Christ, le berger. Je suis le chien du berger et ma tâche est de ramener les brebis’»

Quelles solutions avez-vous trouvées?
J’ai dû me dire: «Le sauveur ce n’est pas moi, je suis envoyé par le Sauveur pour participer». Le sauveur est le Christ, le berger. Je suis le chien du berger et ma tâche est de ramener les brebis. Au début, j’avais du mal à garder cette distance et à comprendre que je n’avais pas à porter la souffrance des gens. J’ai donc creusé la notion de compassion qui consiste à se laisser toucher sans se laisser envahir par toutes ces misères que je rencontre dans ma vie personnelle, ma vie de prière. Ce qui m’a permis de travailler ici. Je me laisse toucher, j’aide les personnes avec leur participation à s’en sortir.

Et concrètement?
Tous les matins, je vais à la pointe de cette presqu’île où je vis et je prends trois quarts d’heure pour prier et préparer mon homélie pour la messe. Je me ressource dans mes profondeurs pour être confronté à ce mal qui parfois est un mal absolu. Même si je vis des temps de prière communautaire dans la maison où je travaille, j’ai toujours ressenti le besoin de contemplation. Pour moi qui suis quelqu’un de très actif, c’est la source de tout. Cela me permet de tenir, avec une attention importante à mon équilibre physique: je nage, je fais des exercices de détente, je fais la sieste pour éviter de tomber dans l’hyperactivité. Avec l’âge, on devient plus contemplatif.

Vous détournez des enfants de la mine, vous recueillez des femmes qui témoignent de ce qu’elles ont vécu. Vous gênez peut-être des gens. Êtes-vous menacé dans votre mission?
Je ne suis pas directement menacé pour la bonne raison qu’il est très difficile de lancer des poursuites judiciaires contre des mafieux ou des prédateurs. D’abord parce que les filles n’osent pas dénoncer leur bourreau. Ensuite parce que cela serait très onéreux, qu’il n’y a pas de certitude que la peine soit appliquée et que la victime s’exposerait à un risque élevé de représailles. Ne lançant pas de poursuites, je ne représente donc pas de menace pour les réseaux mafieux. C’est malheureux, mais nous n’avons pas les moyens de rechercher la justice.

«Ce qui me fait tenir, c’est une question d’alliance et une histoire d’amour avec ce pays qui a commencé en 1971.»

Au-delà de la prière, de temps de pause, de votre énergie, qu’est-ce qui vous fait tenir à Bukavu?
Ce qui me fait tenir, c’est une question d’alliance et une histoire d’amour avec ce pays qui a commencé en 1971. Je suis en contact direct avec des gens en très grande fragilité, mais aussi avec des gens privilégiés qui me font confiance et qui me donnent les moyens d’aider. Les amis évoquent mes 78 ans, me mettent en garde quant à la situation instable et les risques d’attaque sur Bukavu. Mais je suis un pont entre les pays riches et un pays pauvre. En outre, je reçois infiniment de la part des personnes que j’accompagne ou soutiens: leur courage, leur foi et leur confiance en moi. Tant que je peux servir d’intermédiaire, je reste. Je crois que j’ai reçu un charisme de compassion. Tant que je peux apporter cette aide à ces personnes, pourquoi est-ce que je rentrerais en Europe? A mon âge on me mettrait dans une maison de retraite et je passerais la journée à faire quoi? Tant que j’aurai de la force et que mes supérieurs me le demanderont, je resterai dans cette solidarité avec ces gens-là, jusqu’au bout. (cath.ch/bh)

*Talitha Kum est le Réseau International de la Vie Consacrée contre la Traite des Etres Humains. Créé officiellement en 2009 par l’Union Internationale des Supérieures Générales (UISG),en tant qu’initiative mondiale contre la traite et l’exploitation des êtres humains, Talitha Kum encourage la collaboration entre les réseaux organisés au niveau national, régional et continental, en soutenant activement les victimes, les survivants et les personnes à risque.

Le Père Bernard Ugeux a 78 ans | © Bernard Hallet

Bernard Ugeux est né à Bruxelles le 19 mai 1946 est Missionnaire d’Afrique (Père Blanc). Ordonné en 1976, il est arrivé pour la première fois au Congo en 1971 au moment où le Président Mobutu a changé le nom du pays de Congo en Zaïre. Après ses études en vue du sacerdoce et une maitrise de philosophie et d’ethnologie, il a soutenu un doctorat en théologie et en histoire et anthropologie des religions à l’Institut catholique de Paris et à la Sorbonne.
Il a travaillé durant 25 ans comme missionnaire au Congo et quatre ans en Tanzanie. Il a également travaillé à Toulouse durant 17 ans comme formateur chez les Missionnaires d’Afrique et comme professeur à la Faculté de Théologie de l’Institut catholique de Toulouse, où il a été cofondateur de l’Institut de Science et de Théologie des Religions en 1995.
Il est basé à Bukavu depuis 15 ans et est actuellement engagé dans la formation initiale de ses jeunes confrères.


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