dimanche 30 mars 2025

Nouvelle Lettre de la Savane n°61, mars 2025

Chères amies, chers amis,

J’espère que vous allez bien et que vous profitez bien des premiers signes du printemps. Je désire vous remercier chaleureusement pour les très nombreux messages que vous nous avez envoyés pour nous demander de nouvelles lorsque vous avez appris que Bukavu était tombée entre les mains des rebelles. Certains d’entre vous nous ont même proposé de l’aide financière ayant appris que toutes les banques étaient fermées à Bukavu. Merci pour votre soutien moral, votre amitié et vos prières.

Notre ville est occupée par un envahisseur qui pour le moment n’arrive pas à contrôler la situation. Il s’agit de l’Alliance pour le Fleuve Congo, avec le Mouvement du 23 mars, en sigle AFC/M23 qui s’opposent au gouvernement actuel. Il s’agit d’une situation qui remonte à plusieurs décennies et qui est la conséquence de d’une douteuse gouvernance. Je ne peux pas vous en dire plus dans ce message, mais vous pouvez vous informer par Internet.

Quelques informations chronologiques

Dès le jeudi 6 février 2025, une psychose se faisait sentir à Bukavu, alimentée et exacerbée par les réseaux sociaux, quant à l’arrivée imminente des rebelles. Des commerçants ont évacué leurs marchandises. Le vendredi 14 février 2025, il y avait un grand déploiement de militaires de l’armée nationale dans la ville. Les rebelles avaient conquis l’aéroport situé à 30 km. Quelques coups de feu ont commencé dans l’après-midi semant la panique. Finalement tous les militaires se sont repliés en fin d’après-midi vers Uvira, en direction du Burundi, avec la consigne de ne pas combattre en ville, selon les souhaits de la Société Civile relayés par notre archevêque François-Xavier Maroy. La population en a profité pour piller les dépôts des marchés, de la brasserie, du programme alimentaire mondial (PAM), etc. En quelques heures des centaines de commerçants ont été ruinés.  Dans la nuit du vendredi 14 au samedi 15 février 2025, des coups de feu épars ont retenti de 2 h du matin à 5 h 30. Durant toute la journée, ce furent des tirs sporadiques, et quelques explosions de bombes. Le dimanche 16 février, les rebelles du M23 ont pris possession de la ville. Entre-temps, avant de partir, l’armée régulière avait laissé derrière elle, dans les camps, des dépôts d’armes et de munitions dont se sont emparés leurs enfants qui ont terrorisé la population durant quelques jours. Par ailleurs, une des dernière actions de l’armée a été de libérer les 3000 détenus de la prison centrale (en vue de provoquer le chaos ?). Ceux-ci se sont répandus dans la vie et se sont emparés des armes qui circulaient librement dans la cité.

La situation actuelle

L’insécurité 

Depuis lors, toutes les nuits des bandes armées s’attaquent à la population dans les différents quartiers de la ville. Vols, pillages, viols se succèdent de maison en maison. Si les jeunes des quartiers arrivent à s’emparer d’un voleur, il le brûle vivant sur place. Cette justice populaire s’explique par le fait qu’il n’y a plus de policiers, ni de fonctionnaires, ni de tribunaux et ni de prison. Tous les matins, la liste des victimes et des dégâts des activités nocturnes circule sur les réseaux sociaux. A la lisière de la ville, des groupes de « wazalendo », des résistants contre les rebelles, font régulièrement de violentes incursions en vue de créer un climat d’insécurité.

Les occupants actuels ont du mal à les contrôler.

Le Nord et le Sud Kivu occupés

La situation économique est très difficile car les banques sont fermées depuis plus d’un mois, les fonctionnaires ne sont plus payés ni les enseignants, les prix des denrées de base ont éclaté. Malgré l’absence d’administration, petit à petit les activités de la ville ont repris et les enfants ont recommencé à fréquenter l’école. Ce fut le cas pour notre centre Nyota mais de façon irrégulière en fonction des quartiers attaqués la nuit.

Cette situation a augmenté la fragilité et les séquelles traumatiques de nos filles dont la plupart sont très fragiles. Malgré tout, le personnel est sur place et assure l’accueil et l’accompagnement de celles, de plus en plus nombreuses,  qui osent rejoindre le Centre pour la journée (70-80 %). Pour pouvoir payer le personnel, j’ai dû chercher des dollars en espèces au Rwanda.


Quelques élèves du Centre Nyota

Au séminaire où je vis, les étudiants étrangers se sont réfugiés dans leur pays d’origine pendant un certain temps, ils sont maintenant revenus dans notre maison. Les cours ont repris au Philosophat, de même que les examens qui ont été préparés et présentés dans l’atmosphère que vous pouvez deviner. Les étudiants ont tous été courageux et ont vécu une grande fraternité, étant donné que nous sommes de 10 nationalités dont plusieurs sont actuellement en conflit.

A Kamituga, l’arrivée du générateur a permis le lancement de la formation de nos élèves de l’école de menuiserie sur les machines à bois. Cependant, le menace de l’arrivée de l’AFC/M23 empêche que des clients viennent louer les machines, ce qui permettrait un certain autofinancement.

Apprentissage sur une machine à bois à Kamituga.

Quel avenir ?

Personnellement je n’ai pas assisté à tous ces événements car j’ai passé la plus grande partie du mois de février à donner des retraites au Burundi. J’ai eu cependant des complications pour y aller et pour revenir, étant donné l’insécurité des routes et des moyens de transport. Je suis revenu à Bukavu depuis plus deux semaines et nous vivons au jour le jour une situation dont nous ne voyons pas l’issue.  Il n’y a, selon moi, aucune issue militaire, politique ou diplomatique réaliste en perspective. Un espoir est apporté par les démarches de dialogue entreprises par l’Eglise catholique et les grandes Eglises protestantes autour d’un Pacte Social national. Leurs représentants prennent contacts avec tous les acteurs, quels qu’ils soient, ce qui ne plaît pas toujours au gouvernement.

Présentation du pacte social à Kinshasa

La création de l’association Germes d’Espérance et de son nouveau site

Nous ne voulons pas en rester aux mauvaises nouvelles, c’est pourquoi j’ai la joie de vous annoncer la création officielle de l’association Loi 1901 Germes d’espérance dont l’objectif est d’assurer la pérennité des engagements du réseau informel Germes d’Espérance composé de mes amis et connaissances. Ceux-ci– dont vous ! – ont  soutenu de façon efficace tous les engagements que j’ai pris depuis plus de 15 ans à Bukavu. Je remercie de tout cœur mes amis qui se sont investis avec détermination pour créer les statuts de l’association et la faire enregistrer, ainsi que le nouveau site Web qui va s’ouvrir très prochainement. Il donnera toutes les informations sur nos actions et permettra de s’inscrire à l’association et de faire des dons en ligne. Je souhaite que le plus grand nombre possible de destinataires de la Lettre de la Savane s’inscrivent à l’association. Grâce à cela, celle-ci deviendra d’utilité publique.

Voici comment l’association se présente sur le site : « Dans un premier temps, contribuer à la pérennité des structures du centre Professionnel et Social de Nyota à Bukavu et du Centre Professionnel de Tangila à Kamituga en amenant des solutions dans la gestion financière, sociale et managériale des équipes d’encadrement. En outre, par la mobilisation de ressources financières, permettre un soutien ponctuel à des familles en grande précarité dans la région de Bukavu.

Par ces initiatives, Germes d’Espérance, vise à redonner aux personnes vulnérables une nouvelle autonomie et un sens à leur vie, dans un contexte de conflits armés en d’instabilité politique en RDC. Le défi de l’association est de maintenir l'espoir dans un contexte de guerre et de tensions constantes et de permettre aux victimes d’avoir une nouvelle chance de vie, en les aidant à surmonter les traumatismes subis et à se réinsérer dans la société malgré la stigmatisation ».

Cette présentation montre que l’association vient à point nommé alors que la situation dans l’est de la RDC est devenue précaire, avec la scission progressive des provinces du Nord et du Sud Kivu par rapport au reste du pays.

Nous nous appelons « Germes d’Espérance », cela signifie que même s’il y a humainement peu d’espoir pour le moment, l’espérance ne peut pas nous manquer !

Photo : des déplacées de la guerre à Goma où y a eu au moins 3000 morts… leurs regards…

Adrien Candiard, dans Veilleur, où en est la nuit ?,  écrit : « Espérer, ce n’est pas se mentir ou se voiler la face, mais croire que l’amour est plus solide que le reste, parce que, contrairement à nos ambitions, nos richesses, nos conflits, tout ce qui nous distrait trop souvent de l’essentiel, l’amour a les promesses d’éternité. Il ne passera jamais, saint Paul nous le dit. Quand le monde qui nous entoure nous fait peur, l’espérance chrétienne ne nous dit pas de rester là à pleurnicher parce que tout va mal, ni de sourire bêtement parce que tout irait bien ; elle ne nous invite pas à attendre que Dieu détruise ce monde-là pour en construire un autre ; elle nous pose une question très simple : comment faire de tout cela une occasion d’aimer davantage ? »

C’est ce que nous essayons de réaliser, humblement et à tâtons, dans le contexte difficile qui est le nôtre. 

Une ancienne élève dans son atelier à la maison

Merci de nous être si proches, nous en avons besoin plus que jamais.

Bernard avec tous ceux et celles à qui vous redonnez l’espérance.

Je termine on vous remerciant de nous permettre de continuer à semer des Germes d’Espérance.

 

Fabrication de savon au Centre Nyota, la coordinatrice Maman Noella

Nouvelle Lettre de la Savane n°61, mars 2025

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