Bien chers amies et amis,
C’est avec un peu de retard que vous recevez ma circulaire du mois
de juillet. J’ai voulu laisser passer la tempête des élections en France, dont
les dégâts ne sont pas encore bien évalués. Ensuite, je tenais à vous partager des
événements vécus ces derniers temps, en rapport avec l’école de menuiserie de
Kamituga que Germes d’Espérance soutient depuis 7 ans.
La rencontre de Talitha Kum à Rome
Mais avant cela, je désire vous parler de la rencontre internationale du réseau Talitha Kum qui s’est tenue à Rome du 18 au 24 mai 2024 où j’ai représenté la RDC. Talitha Kum est le Réseau International de la Vie Consacrée contre la Traite des Êtres Humains. Créé officiellement en 2009 par l'Union Internationale des Supérieures Générales (UISG), en tant qu'initiative mondiale contre la traite et l'exploitation des êtres humains.
Ce réseau est présent dans le monde entier et dans beaucoup de
pays d’Afrique, mais il n’a pas encore été lancé en RD Congo. Vous savez comme moi
que le désespoir d’une très grande partie de la jeunesse africaine face à l’impossibilité
de trouver de l’emploi et sans avenir académique ni économique les entraîne à
chercher par tous les moyens à partir à l’étranger. Un grand nombre se font
exploiter par des réseaux mafieux. Pour les filles cela se termine souvent dans
la prostitution tandis que d’autres personnes disparaissent après l’ablation de
d’organes. Cette situation est endémique en RD Congo. C’est pour cela que je me
suis engagé depuis un an à introduire le réseau dans notre pays. Il m’a fallu une
année de lobbying auprès des autorités religieuses nationales du pays pour
qu’enfin on nous laisse commencer à travailler. J’ai vécu une expérience forte
à l’assemblée de Rome. Nous étions 153 délégués et participants de 71 pays, représentants
des 60 réseaux Talitha Kum (TK) engagés à mettre fin à la traite des personnes
sur tous les continents. Nous nous sommes réunis en cette 2e Assemblée générale
sur le thème « Cheminer ensemble pour mettre fin à la traite des personnes : Transformer
par la compassion en action ». Nous y avons aussi célébré les 15 ans de Talitha
Kum.
Durant ce grand événement, j’ai pu rencontrer beaucoup d’autres
personnes du réseau mondial et surtout entendre des témoignages de survivantes
qui ont échappé à l’esclavage moderne dont elles ont été victimes parfois
pendant plusieurs années. Cela m’a convaincu de l’importance de lancer le
réseau ici au Congo et dès la rentrée nous organisons une formation pour
commencer à travailler ensemble. Il existe une branche jeune que l’on appelle les jeunes ambassadeurs pour la sensibilisation de leur génération.
Ceux de la RDC commencent déjà leur formation en ligne cet été. Le réseau intervient à 3 niveaux : la prévention, où nous essayons de faire comprendre aux jeunes les risques de la migration. Ensuite, le suivi pour ceux qui veulent quand même partir, afin qu’en cas de problème grave ils aient des contacts et ne disparaissent pas sans laisser de traces, enfin pour les personnes qui ont été « capturées » d’une façon ou d’une autre, pour lesquelles nous travaillons à leur exfiltration, ce qui est assez risqué vu que cela nous confronte à la résistance des groupes mafieux.
À ce propos, je considère que l’œuvre que nous menons en donnant un
métier aux filles du centre Nyota et aux garçons de l’école de menuiserie de
Kamituga représente déjà une forme de prévention. Quand je vous parle de notre situation
ici, vous me dites souvent qu’il faut encourager à rester sur place en leur donnant
les moyens. C’est précisément ce que vous faites quand vous nous soutenez
financièrement dans nos actions. J’en profite pour remercier de tout cœur
celles et ceux qui continuent à penser à nous malgré les nombreux soucis que
vous avez aussi de votre côté.
Le pape François, à l’occasion de notre 2e assemblée, c’est très
fortement engagé à nos côtés, ce qui est un encouragement pour que nos propres
évêques s’engagent en Afrique en soutenant les religieux qui se dévouent dans
le réseau Talitha Kum.
Inauguration de l’atelier de menuiserie de Kamituga il y a 7 ans, j’ai accepté de restaurer et d’aménager une école de menuiserie à Kamituga qui est une ville aurifère où la majorité des gens vivent de l’or, les enfants compris. On utilise des enfants pour creuser des boyaux étroits où ils meurent parfois d’asphyxie ou à cause de glissements de terrain. J’ai donc pensé que Germes d’Espérance pourrait les aider à acquérir un métier et les libérer de cet esclavage. Cette région est très isolée à cause de l’état épouvantable des routes et cela faisait longtemps que je cherchais une occasion pour m’y rendre. Comme l’état des routes en saison des pluies avait empêché tout déplacement, toute la programmation de la construction avait été retardée de plusieurs mois. Ce 2 juillet, j’ai organisé l’inauguration du nouvel atelier destiné à recevoir quatre machines à bois électriques. Après bien des péripéties de transport et de voyage que je vous passe, nous sommes arrivés à inaugurer ce grand atelier de 6 m sur 10 presque terminé (il y a encore du finissage à réaliser) ainsi que 3 des 4 machines que nous avons pu acheter à Bukavu.
Ce sont des machines de seconde main très robustes qui nous viennent de Grande-Bretagne et pèsent une demi tonne chacune. Elles sont arrivées la nuit quelques heures avant l’inauguration (panne de camion).
Désormais les élèves vont pouvoir se professionnaliser avec des machines électriques, et en dehors des heures de cours, le centre fonctionnera comme une unité de production où la population locale pourra louer des machines ou demander des services. Ils sont tellement demandeurs, que le maire lui-même est venu à l’inauguration. Ensuite, j’ai procédé à la remise des certificats aux 30 finalistes de cette année qui ont également reçu un kit de base pour démarrer leur propre projet. Cela fait 210 enfants et jeunes en 7 ans que nous avons pu professionnaliser depuis la reprise de cette école professionnelle qui appartient à la paroisse.
Dans le carrier minier
Après la fête qui clôturait ces célébrations, je suis descendu dans les carrés miniers où j’ai vu des femmes, des mères de famille avec leurs enfants, des jeunes, des enfants et bien sûrs des hommes adultes s’épuisant à la recherche de traces du minerai précieux. J’étais très impressionné par l’ouverture toute petite des boyaux utilisés par les enfants et par l’atmosphère générale de cette vallée où on entendait que le travail de la mine dans la chaleur et la poussière.
Photo précédente : Une mère de famille qui tamise
C’est un spectacle que je n’oublierai pas de sitôt. Cela ne fait que
renforcer ma volonté de donner à cette école de menuiserie les moyens de sauver
encore plus de jeunes même si c’est une goutte d’eau dans la mer. Un directeur d’école
primaire me disait que, bien que l’enseignement soit gratuit à ce niveau, à la fin
de l’année la moitié des élèves avaient disparu pour creuser dans la mine.
Tout cela s’explique par l’immense pauvreté d’un peuple qui est oublié par ses responsables qui, à 2000 km de là mènent la belle ville dans la capitale.
Capture d’écran d’une vidéo d’un enfant qui sort de la mine avec sa lampe frontale, son maillet et son burin.
J’ai ensuite visité l’hôpital général, où j’ai rencontré le directeur régional de la santé qui est un de mes anciens élèves de la faculté de médecine de Bukavu. L’hôpital est dans un état lamentable sur le plan de l’habitat et de l’hygiène. En outre, il y avait un espace réservé à une quarantaine pour les victimes de la maladie de la variole du singe (Monkey Pox). J’en ai rencontré certains. La maladie est très contagieuse mais pas trop mortelle. Sur 600 cas répertoriés dans cette ville, seulement environ 1% en est mort. Je me dis que ce pays n’est vraiment épargné par aucune « plaie d’Égypte ».
Au retour, j’étais cependant habité par une grande reconnaissance
que ce projet aboutisse enfin car il m’a donné énormément de soucis, étant donné
que je ne suis pas du tout spécialiste dans la
matière et que j’avais décidé de faire confiance aux Congolais. Ils
savent très bien ce dont ils ont besoin et ils ont des gens très compétents
pour faire fonctionner – à leur manière – ces outils qui demandent un grand
entretien. De même en ce qui concerne ceux qui ont bâti un solide atelier avec
une chape en béton armé capable de résister à la vibration des machines, et un
système de soufflerie et d’aération performant. En outre nous sommes connectés
au triphasé.
D’autres sentiments m’habitaient évidemment, plus douloureux, à la
suite de ce que j’ai découvert de visu sur le travail des enfants et des conditions
de vie dans la mine et aussi de l’état de la ville où des quartiers entiers
sont construits en planches ce qui donne une atmosphère de décor de Far-West.
Tout cela baignant dans la poussirère donne une décor irréaliste.
Bien amicalement à vous, Bernard.
Je termine on vous remerciant de nous permettre de continuer à semer des Germes d’Espérance.
En route vers la ville minière de Kamituga à 180 km de Bukavu,
9-10 heures de piste pour la rejoindre en saison sèche, route quasi impraticable
en saison des pluies.