mardi 8 mars 2022

Interview du Père Bernard Ugeux faite ce mercredi 03 mars 2021 sur les filles victimes de violences sociales au Sud-Kivu. (08 mars 2022)

 


Le centre Nyota, de l’Archidiocèse de Bukavu se trouvant à l’Est de la R.D Congo contribue jusqu’aujourd’hui à la formation et à l’éducation intégrale des jeunes filles, surtout celles marginalisées, ou victimes de violences sociales.

Q. Père Bernard Ugeux, est ce que vous pouvez nous expliquer en bref votre parcours ici en Afrique ?

R. Merci beaucoup. Je suis arrivé au Congo il y a déjà 50 ans mais je n’y suis pas resté tout le temps néanmoins, maintenant cela fait déjà 30 ans que je suis permanent en Afrique, et la dernière fois que j’y suis revenu, c’est il y a 12 ans, comme responsable de la formation permanente pour les consacrés. J’ai voulu m’investir également au service des plus fragiles et des plus pauvres, et donc c’est comme cela que j’ai pris des contacts pour savoir quels étaient les besoins ici à Bukavu.  J’ai alors découvert le Centre Nyota qui avait vraiment besoin d’un important soutien.

 

Q. Est-ce que vous pouvez nous parler du Centre Nyota et du travail que vous y faites ?

R. Quand je suis arrivé à Bukavu, j’ai découvert le Centre Nyota, qui était déjà créé depuis plusieurs d’années par les sœurs Dorothée de Cemo, qui avaient dû quitter à cause de la guerre. J’ai découvert qu’il y avait un travail important qui s’y faisait, parce qu’on accueille des jeunes filles en situation de grande vulnérabilité. On y reçoit chaque année 250 filles qui restent de 3 à 5 ans, en externat. J’ai cherché dans quelle mesure je pouvais les aider. Or, quand j’ai quitté Toulouse il y a 12 ans, un réseau d’amis m’a dit, « on est avec toi pour t’accompagner si tu rencontres des besoins ».  Quand j’ai découvert ce centre, j’ai vu qu’il y avait de grands besoins, d’abord matériels et financiers ! Comme le travail qui s’y fait est de grande valeur, j’ai demandé à mes amis de nous aider, et c’est alors que nous avons créé le réseau « Germes d’Espérance ».  Dès lors, le réseau a commencé à financer le centre. Jusqu’aujourd’hui, et il en reçoit le financement au complet de ses frais de fonctionnement.

 

Q. Par rapport au Centre, est ce que vous voyez qu’il y a une suite favorable au travail que vous faite ?

R. Ce qui me frappe, c’est le fait que, comme le financement est devenu régulier et ajusté, le personnel aussi est devenu stable. Maintenant, il y a une équipe présente depuis de nombreuses années qui travaille bien ensemble. Les membres du personnel se connaissent entre eux et cela favorise la collaboration dans le milieu de travail. Là, je m’occupe de la formation continue, surtout à travers la formation spirituelle et également une formation à l’écoute et l’accueil des personnes traumatisées, etc. En dehors de ce travail au centre Nyota, j’assure des accueils individuels, de personnes victimes de traumatisme, entre autre basées sur les violences sexuelles. Cette expérience, je la transmets aussi, pour que l’équipe de Nyota puisse en profiter afin de bien accueillir les filles qui viennent et qui sont majoritairement très vulnérables.

 

Q. Est-ce que vous trouvez que cette équipe accompagne favorablement ces filles afin qu’elles aient un avenir meilleur ?

R. Il est clair que plus les animateurs et enseignants du Centre Nyota traitent des cas difficiles, plus ils améliorent leur travail. Ce qui est intéressant, c’est que plusieurs personnes qui y travaillent, y ont été elles-mêmes élèves, et y ont été aidées à se reconstruire à la suite des difficultés qu’elles ont connues. Ce sont des gens qui connaissent bien le terrain et qui ont beaucoup d’expérience, la majorité d’entre elles sont des mères des familles nombreuses, et il y a aussi une religieuse formée à l’accompagnement des personnes traumatisées etc. Je constate qu’il y a de très bon résultats, non seulement au niveau scolaire, où les filles ont de bons résultats pour les différents jurys qu’elles passent, mais aussi sur le plan moral. Quand on fait le tour des classes ou quand on les rencontre, on voit leur dynamisme et leur joie de vivre. Car ces filles ont retrouvé confiance en elles-mêmes, rien que, déjà,  par le fait de porter un uniforme scolaire, alors qu’elles étaient dans la rue ou traitées comme des prostituées, par exemple. C’est socialement un changement important, et cela favorise une vraie résilience ! On peut dire qu’il y a un magnifique travail de résilience qui se fait, et la plupart de ses filles, quand elles reviennent dans la vie courante, sont en capacité de s’assumer.

 

Q. Est-ce que vous estimez que les familles de ses enfants prennent en considération les formations que font ses filles ?

R. D’abord, il faut savoir qu’un certain nombre des filles n’ont plus de contact avec leurs familles.  Mais pour celles qui restent dans leurs familles, celles-ci apprécient qu’elles aient l’occasion d’étudier gratuitement, parce qu’un grand nombre d’élèves, ici à Bukavu, sont chassés de l’école parce qu’ils ne peuvent pas payer les frais scolaires, malgré toutes les promesses de gratuité du gouvernement. C’est déjà un grand soulagement pour les parents de voir leurs filles recevoir de trois à cinq ans de formation gratuite, ce qui est assez exceptionnel. Il n’y a pas d’autre organisme qui travaille dans de telles conditions dans notre ville.  En outre, une fois que les filles retournent dans la vie, après s’être reconstruite et ayant obtenu leur diplôme, elles prennent en charge leur famille. De nombreuses filles ont commencé un petit atelier ou une cuisine, et maintenant, elles assurent les ressources financières de leur famille ; donc c’est très apprécié par les parents.

 

Q. A part le financement que vous donnez au centre Nyota à travers Germes d’Esperance, est ce qu’il y a d’autres canaux qui peuvent aider ce centre à votre absence ?

R. Je ne sais pas ce que sera le centre dans l’avenir, mais j’ai pris contact avec des associations et des fondations pour leurs demander si elles peuvent prévoir de mettre de côté une somme d’argent qui ferait que, même si je devais arrêter de le soutenir pour des raisons de santé ou autre, il y ait quand même une certaine pérennisation du projet. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que comme ce centre a été fondé par les Sœurs de Cemo, il dépend du Diocèse de Bukavu (à qui les locaux appartiennent), en outre, il est reconnu par l’Etat congolais (qui n’apporte aucune aide). Comme pour le moment nous prenons en charge les frais de fonctionnement, le Diocèse nous fait confiance. Le jour où nous n’y arriveront plus, le Diocèse avisera.

 

Q. Merci beaucoup, on ne sait pas s’il y a un ajout par rapport à tout ce que vous nous expliquer !

R.. Je suis très reconnaissant pour les gens qui nous soutiennent depuis douze ans avec leur propre argent.  Ils continuent à se sentir concernés, alors qu’ils reçoivent beaucoup d’autres demandes.  Il y a énormément des souffrances et de problèmes dans notre monde, mais nos bienfaiteurs sont fidèles. Il y a aussi des monastères, des moniales, des moines, en RDC et à l’étranger, ainsi que d’autre personnes, qui prient pour nous. Pour moi, c’est aussi très important en plus des soutiens moraux, financiers ! C’est une œuvre d’Eglise, aux moyens très limités, qui dépend de la Providence. Nous recevons ces divers soutiens avec une grande reconnaissance auprès de tous ceux qui pensent à nous. Ils savent aussi que pas un centime n’est détourné des destinataires et ils reçoivent des rapports d’activité et des comptes détaillés, c’est ce qui entretient la confiance entre nous.

Merci de suivre la vidéo.

Interview de Bernard Ugeux faite sur les filles victimes de violences sociales - YouTube

Destin Byandike


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