Le centre Nyota, de l’Archidiocèse de
Bukavu se trouvant à l’Est de la R.D Congo contribue jusqu’aujourd’hui à la
formation et à l’éducation intégrale des jeunes filles, surtout celles
marginalisées, ou victimes de violences sociales.
Q. Père Bernard Ugeux,
est ce que vous pouvez nous expliquer en bref votre parcours ici en Afrique ?
R. Merci beaucoup. Je suis arrivé
au Congo il y a déjà 50 ans mais je n’y suis pas resté tout le temps néanmoins,
maintenant cela fait déjà 30 ans que je suis permanent en Afrique, et la dernière
fois que j’y suis revenu, c’est il y a 12 ans, comme responsable de la
formation permanente pour les consacrés. J’ai voulu m’investir également au
service des plus fragiles et des plus pauvres, et donc c’est comme cela que j’ai
pris des contacts pour savoir quels étaient les besoins ici à Bukavu. J’ai alors découvert le Centre Nyota qui avait
vraiment besoin d’un important soutien.
Q. Est-ce que vous
pouvez nous parler du Centre Nyota et du travail que vous y faites ?
R. Quand je suis arrivé à Bukavu,
j’ai découvert le Centre Nyota, qui était déjà créé depuis plusieurs d’années
par les sœurs Dorothée de Cemo, qui avaient dû quitter à cause de la guerre. J’ai
découvert qu’il y avait un travail important qui s’y faisait, parce qu’on accueille
des jeunes filles en situation de grande vulnérabilité. On y reçoit chaque
année 250 filles qui restent de 3 à 5 ans, en externat. J’ai cherché dans
quelle mesure je pouvais les aider. Or, quand j’ai quitté Toulouse il y a 12
ans, un réseau d’amis m’a dit, « on est avec toi pour t’accompagner si tu rencontres
des besoins ». Quand j’ai découvert
ce centre, j’ai vu qu’il y avait de grands besoins, d’abord matériels et financiers !
Comme le travail qui s’y fait est de grande valeur, j’ai demandé à mes amis de nous
aider, et c’est alors que nous avons créé le réseau « Germes d’Espérance ».
Dès lors, le réseau a commencé à financer
le centre. Jusqu’aujourd’hui, et il en reçoit le financement au complet de ses
frais de fonctionnement.
Q. Par rapport au Centre,
est ce que vous voyez qu’il y a une suite favorable au travail que vous faite ?
R. Ce qui me frappe, c’est le fait
que, comme le financement est devenu régulier et ajusté, le personnel aussi est
devenu stable. Maintenant, il y a une équipe présente depuis de nombreuses
années qui travaille bien ensemble. Les membres du personnel se connaissent entre
eux et cela favorise la collaboration dans le milieu de travail. Là, je
m’occupe de la formation continue, surtout à travers la formation spirituelle et
également une formation à l’écoute et l’accueil des personnes traumatisées,
etc. En dehors de ce travail au centre Nyota, j’assure des accueils individuels,
de personnes victimes de traumatisme, entre autre basées sur les violences
sexuelles. Cette expérience, je la transmets aussi, pour que l’équipe de Nyota
puisse en profiter afin de bien accueillir les filles qui viennent et qui sont
majoritairement très vulnérables.
Q. Est-ce que vous
trouvez que cette équipe accompagne favorablement ces filles afin qu’elles
aient un avenir meilleur ?
R. Il est clair que plus les animateurs
et enseignants du Centre Nyota traitent des cas difficiles, plus ils améliorent
leur travail. Ce qui est intéressant, c’est que plusieurs personnes qui y travaillent,
y ont été elles-mêmes élèves, et y ont été aidées à se reconstruire à la suite
des difficultés qu’elles ont connues. Ce sont des gens qui connaissent bien le
terrain et qui ont beaucoup d’expérience, la majorité d’entre elles sont des
mères des familles nombreuses, et il y a aussi une religieuse formée à l’accompagnement
des personnes traumatisées etc. Je constate qu’il y a de très bon résultats,
non seulement au niveau scolaire, où les filles ont de bons résultats pour les différents
jurys qu’elles passent, mais aussi sur le plan moral. Quand on fait le tour des
classes ou quand on les rencontre, on voit leur dynamisme et leur joie de vivre.
Car ces filles ont retrouvé confiance en elles-mêmes, rien que, déjà, par le fait de porter un uniforme scolaire,
alors qu’elles étaient dans la rue ou traitées comme des prostituées, par exemple.
C’est socialement un changement important, et cela favorise une vraie résilience !
On peut dire qu’il y a un magnifique travail de résilience qui se fait, et la
plupart de ses filles, quand elles reviennent dans la vie courante, sont en capacité
de s’assumer.
Q. Est-ce que vous
estimez que les familles de ses enfants prennent en considération les formations
que font ses filles ?
R. D’abord, il faut savoir qu’un
certain nombre des filles n’ont plus de contact avec leurs familles. Mais pour celles qui restent dans leurs
familles, celles-ci apprécient qu’elles aient l’occasion d’étudier gratuitement,
parce qu’un grand nombre d’élèves, ici à Bukavu, sont chassés de l’école parce
qu’ils ne peuvent pas payer les frais scolaires, malgré toutes les promesses de
gratuité du gouvernement. C’est déjà un grand soulagement pour les parents de
voir leurs filles recevoir de trois à cinq ans de formation gratuite, ce qui
est assez exceptionnel. Il n’y a pas d’autre organisme qui travaille dans de
telles conditions dans notre ville. En
outre, une fois que les filles retournent dans la vie, après s’être
reconstruite et ayant obtenu leur diplôme, elles prennent en charge leur
famille. De nombreuses filles ont commencé un petit atelier ou une cuisine, et
maintenant, elles assurent les ressources financières de leur famille ;
donc c’est très apprécié par les parents.
Q. A part le
financement que vous donnez au centre Nyota à travers Germes d’Esperance, est
ce qu’il y a d’autres canaux qui peuvent aider ce centre à votre absence ?
R. Je ne sais pas ce que sera le
centre dans l’avenir, mais j’ai pris contact avec des associations et des
fondations pour leurs demander si elles peuvent prévoir de mettre de côté une somme
d’argent qui ferait que, même si je devais arrêter de le soutenir pour des
raisons de santé ou autre, il y ait quand même une certaine pérennisation du
projet. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que comme ce centre a été
fondé par les Sœurs de Cemo, il dépend du Diocèse de Bukavu (à qui les locaux appartiennent),
en outre, il est reconnu par l’Etat congolais (qui n’apporte aucune aide). Comme
pour le moment nous prenons en charge les frais de fonctionnement, le Diocèse nous
fait confiance. Le jour où nous n’y arriveront plus, le Diocèse avisera.
Q. Merci beaucoup, on
ne sait pas s’il y a un ajout par rapport à tout ce que vous nous
expliquer !
R.. Je suis très reconnaissant pour
les gens qui nous soutiennent depuis douze ans avec leur propre argent. Ils continuent à se sentir concernés, alors
qu’ils reçoivent beaucoup d’autres demandes. Il y a énormément des souffrances et de problèmes
dans notre monde, mais nos bienfaiteurs sont fidèles. Il y a aussi des monastères,
des moniales, des moines, en RDC et à l’étranger, ainsi que d’autre personnes, qui
prient pour nous. Pour moi, c’est aussi très important en plus des soutiens moraux,
financiers ! C’est une œuvre d’Eglise, aux moyens très limités, qui dépend de
la Providence. Nous recevons ces divers soutiens avec une grande reconnaissance
auprès de tous ceux qui pensent à nous. Ils savent aussi que pas un centime n’est
détourné des destinataires et ils reçoivent des rapports d’activité et des comptes
détaillés, c’est ce qui entretient la confiance entre nous.
Merci de suivre la vidéo.
Interview de Bernard Ugeux faite sur les filles victimes de violences sociales - YouTube
Destin Byandike