Une des raisons
principales des tensions meurtrières en Afrique centrale est la pratique
largement répandue de l’exclusion ethnique. La formation des religieux veut
prévenir ces divisions.
On sait que la
situation dans la région des Grands Lacs est encore marquée par des conflits
ethniques qui ont entraîné de graves violences. Elles ont laissé partout de profondes traces.
Or, malgré des efforts louables et généreux,
les exclusions se poursuivent, qu’elles soient matérielles
(affrontements armés) ou structurelles (refus de la liberté d’expression ou
exclusion de la participation au pouvoir). C’est le résultat d’une longue
histoire marquée par l’ethnocentrisme – favorisé parfois par la colonisation –
qui a contaminé les Eglises elles-mêmes. Tout cela repose sur le refus – ou
l’incapacité - d’accepter l’autre avec sa différence, de considérer l’altérité
comme source d’enrichissement et non comme une menace pour sa propre identité.
Notons que cette difficulté à honorer la différence se retrouve aussi dans des
pays dits plus « évolués » comme les démocraties occidentales. L’incapacité ou le refus d’accueillir l’étranger et de
partager volontairement sa richesse avec lui, et aussi de s’enrichir de lui, donne un spectacle navrant aux nations du Sud.
L’histoire de l’humanité montre cependant qu’il est utopique d’empêcher un flux
migratoire massif et que la seule façon de le gérer est de négocier avec les groupes
en présence en vue de respecter toutes les identités concernées. Cela demande
du temps et de la générosité. Ce dont manque parfois dramatiquement l’Occident…
J’ai l’occasion de donner des sessions d’initiation au vivre
ensemble entre cultures différentes, en plusieurs points du Congo, au Burundi,
au Burkina Faso, etc. Un des fruits de
la catholicité est la création et la
présence de congrégations internationales à travers toute l’Afrique, importées
ou nées sur place. Leur existence représente à la fois un défi et une espérance.
Une espérance car elles sont appelées
à être des laboratoires d’expérimentation d’une mondialisation vécue
positivement grâce à l’accueil des différences au quotidien. Un défi quand les jeunes en formation
dans une congrégation internationale – et parfois nationale - sont invités à construite une communauté
fraternelle authentique alors qu’ils descendent parfois des bourreaux et des
victimes des violences perpétrées dans leurs pays d’origine. Déjà avant ces
événements, il existait de nombreuses représentations de l’autre chargées de
clichés non critiqués. Mais en outre, ils sont les dépositaires de mémoires
blessées et d’identités meurtries ou meurtrières.
Lors des remontées de travaux de groupe dans
le cadre d’une session réunissant une demi-douzaine de congrégations de
diverses origines ethniques ou nationales, ce qui frappait d’emblée, c’était la
découverte de la pleine humanité de l’« autre ». C’est aussi la
prise de conscience du nombre de valeurs profondes que les participants ont en
commun (accueil, solidarité, hospitalité), même si la façon de les vivre ou de
les ritualiser au quotidien est différente. Ils ont réalisé alors que sous la
diversité des traditions, il y a l’humanité profonde de tout être humain. Toute
culture essaie de répondre à certaines questions de fond comme : qui
sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Il n’existe
pas de vie humaine qui n’ait expérimenté
un jour positivement ou négativement les grands événements de la vie que
sont l’amour, la fragilité, la mort, le conflit et la réconciliation. Ils ont
réalisé qu’en tenant mieux compte de leur héritage commun d’humanité, ils
peuvent dépasser – en les respectant ou en les négociant – les aspects de la
vie quotidienne qui, dans les petites choses, heurtent leur sensibilité.
Vivre la pluriculturalité
dans une dynamique d’interculturalité, c’est découvrir sa propre
identité, la richesse de la diversité humaine dans les cultures et les
religions du monde et devenir acteurs
d’une mondialisation respectueuse des différences. Car la mondialisation
interroge la vie religieuse et parfois interpelle les conseils évangéliques.
Comment un jeune d'aujourd'hui qui s’inscrit dans la dynamique de la
mondialisation peut-il opter de façon positive – et non comme un refuge – pour
la chasteté, la pauvreté et l’obéissance ? Voilà aussi un des thèmes de plus
en plus souvent traités ces jours-ci dans la formation des jeunes religieux… Et
quelle joie quand une foule immense assiste aux vœux perpétuels de trois jeunes
carmélites d’origines culturelles différentes, dans la cathédrale de Bukavu. A cause de son expérience bimillénaire de
la catholicité – et dans la mesure où celle-ci n’est pas confondue avec
l’uniformité, comme c’est encore parfois le cas – l’Eglise devient signe et
source d’une universalité créatrice au service de la justice, de la
réconciliation et de la paix.