Vu des pays du sud, l’Occident
donne l’impression d’être en panne de projet et de sens. Sa principale
préoccupation actuelle semble être de maintenir
à tout prix son niveau de vie et sa place traditionnelle économique et
militaire dans le reste du monde.
Voici comment il est
perçu par beaucoup de peuples du Sud.
Maintenir le
pouvoir d’achat, le niveau de la sécu, les réserves pour les retraites, sont
certes des préoccupations légitimes. Chercher des marchés extérieurs pour
exporter des produits finis ou des brevets, au risque d’augmenter d’autant le
chômage national peut se comprendre. Mais se
protéger des migrants qui pourraient abuser de certains avantages, contrôler les lieux de la planète où il
y a encore des réserves d’hydrocarbures dont la pénurie est régulièrement
annoncée au détriment des nations peu développées pose déjà beaucoup plus de
questions. Car derrière cette préoccupation de maintenir les « privilèges acquis », on semble continuer de
considérer comme normal que 20% de la population mondiale jouissent de 80% des
ressources de la planète. Avec un certain cynisme, on présente au reste du
monde la « réussite du modèle de développement à l’occidental » comme ce
que la modernité a produit de mieux tout en étant bien décidé à ce que le reste
du monde n’accède pas au même niveau de consommation et de pollution. Car cela signerait l’extinction de la planète.
Imaginons les 7 milliards d’habitants jouissant du niveau de vie des classes
moyennes et supérieures de l’Europe et des Amériques ! C’est
inenvisageable… mais ce modèle est diffusé dans le monde entier via la télé
satellitaire et l’internet. Si les ressources
se restreignent il semble clair que ce sont toujours les mêmes qui en
profiteront. Quel parti politique en
Occident peut mener sa campagne sur le thème : « cela a assez duré,
maintenant on partage ! ». Pourtant tôt ou tard, de gré ou de force, on
y sera obligé. Ce qui pose problème ici,
c’est que l’avenir de l’Occident semble être derrière lui : on ne
construit pas un avenir en se crispant à reproduire un passé déjà révolu.
En effet, alors qu’elle en pleine crise de son modèle
financier et économique, en perte d’identité et de sens également, l’Europe est
confrontée à une croissance économique quasi nulle pour les prochaines années alors
que l’indice de croissance des pays émergents explose (Chine, Inde, Brésil,
émirats…). . Un certain nombre de pays
sur les dictatures desquelles l’Occident appuyait sa croissance - sans état
d’âme - s’engagent dans un avenir incertain.
Le printemps des uns risques d’être l’automne des autres. Du coup, les occidentaux promettent aux pays
arabes de les soutenir dans leur marche vers la démocratie à l’occidentale (la meilleure…)
et dans la promotion des droits humains. Surtout pas l’islam au pouvoir. Certes, l’Occident ne veut pas perdre les
marchés ni les ressources naturelles dont il a besoin pour maintenir son niveau
de gaspillage.
Or, d’où j’écris, de
l’Afrique profonde, on s’interroge : quel modèle l’Occident a-t-il à
offrir à ces pays ? La
conception de la famille, des relations, de la transcendance qui domine dans
les pays, les cultures et les religions des pays en développement ou émergents
est pour eux une référence infiniment plus précieuse que le modèle occidental,
même si celui-ci continue à fasciner par son niveau de confort et ses
technologies. En effet, s’il n’a rien d’autre à proposer comme horizon de sens
que la consommation la plus matérialise et la plus individualiste, l’absence de
transcendance et le marasme du modèle familial, ainsi que la pauvreté des
relations interpersonnelles, qu’a-t-il à offrir aux pays arabes et aux
autres pays du Sud ? Les droits de
l’homme ? Mais ceux dont il se revendique paraissent infiniment suspects
vu du Sud ou de l’Orient. Des droits humains où les Etats-Unis refusent que
la Palestine fasse partie de l’UNESCO (et lui retranche 75 millions de USD)
mais soutiennent Israël qui méprise totalement depuis des décennies toutes les résolutions
de l’ONU le concernant (et qu’ils arrosent de milliards chaque année) ? Où
est la logique ? Vu d’Afrique, des pays arabes et de l’Orient, l’Occident
est en train de perdre toute crédibilité. Quels
droits humains quand il y totale liberté de circulation des marchandises, des
flux financiers et des experts mais interdiction d’immigrer pour les travailleurs
non qualifiés ou des étudiants du Sud qui n’ont aucun espoir dans leurs pays
d’origine où presque personne n’investit sérieusement à part les pays émergents ?
Cela ne signifie pas que je suis pour l’immigration sauvage, mais tôt ou tard, l’Occident
sera obligé de les faire venir sauf à ne plus pouvoir entretenir ses
infrastructures, sanitaires, routières ou ferroviaires, par exemple.
Les Occidentaux
sont-ils conscients qu’il existe une animosité croissante de la jeunesse des
pays du Sud contre eux ? Ici, Kadhafi décédé est glorifié comme un
héro de la résistance à l’impérialisme occidental et les journaux écrivent que
les avions de l’OTAN ont tué plus de civils que le colonel… (Et je ne suis
pas dans un pays musulman !). Ce fut le cas aussi lorsque Saddam Hussein ou
Oussama Ben Laden ont été assassinés. Et tout le monde ici renvoie à l’échec
des guerres occidentales en Iran et en Afghanistan, considérées comme
uniquement destinées à contrôler les ressources naturelles ….
Une lycéenne allemande de 17 ans a répondu récemment à une
question sur le futur de l’Europe : « l’Europe
n’a plus d’avenir, elle vit dans la frénésie mais en réalité rien ne se passe
de nouveau…, on est dans la répétition frénétique. »
Le rêve moderne du
progrès économique illimité n’est plus
crédible…
En effet, l’Occident ne semble plus croire en
lui-même pas plus dans son modèle que dans son avenir. Qu’a-t-il
de dynamisant à offrir à la jeunesse du reste du monde ? Il doit
renoncer au rêve d’un niveau de vie que ne peut plus assurer le néo-libéralisme.
On sait que le souci lancinant de Mr Trichet, directeur sortant de la BME,
était de maintenir le pouvoir d’achat
de l’euro. Aujourd’hui, quels sont les
parents et les grands parents en Europe qui oseraient dire à leurs enfants ou
leurs petits-enfants que leurs conditions de vie futures seront meilleures ou
tout au moins égales aux leurs ? Le
mythe du progrès purement matériel est condamné à mort. C’est la fin du bonheur par le quantitatif et
l’avoir. Quelle chance !
L’Occident est en train de s’étioler par manque de sens, de
réponse crédible aux questions auxquelles les mythes traditionnels répondaient
à leur façon : d’où venons-nous ? qui sommes-nous ? où
allons-nous ? Plus personne ne peut prédire l’avenir comme le montre la
façon dont les Etats européens bricolent aujourd’hui la survie de l’Europe (malgré
les mises en garde de J. Delors à l’origine). Ils en sont réduits à une
politique purement réactive pour limiter les dégâts de crises structurelles à
répétition: il n’y a plus de vision,
seulement du replâtrage. On l’a vu lors du dernier G20 : l’horizon
actuel des pays les plus riches du monde est d’essayer malgré tout de maintenir
un modèle qui n’est plus crédible en promettant des miettes aux pays pauvres.
Je ne suis pas en contact direct avec les « indignés » mais je crois
que c’est cela le cri de « ras l’bol » qui résonne aujourd’hui.
Un projet de société
qui veut offrir un horizon de sens et un espoir de progrès dans l’humanisation
des personnes et de la planète peut-il
se limiter au maintien égoïste d’un
acquis, à une crispation sur ses
avantages ? Peut-on se contenter d’un projet de vie où on se protège de tout (et surtout du partage)
en lorgnant vers le nationalisme, le protectionnisme et le populisme ?
L’Europe est tentée par le syndrome de la forteresse. Tant qu’on en restera au quantitatif,
tant que l’horizon pour l’avenir sera la sécurisation des acquis du passés, il
n’y a plus ni avenir ni horizon. Il y a
ici un réel risque de déshumanisation. Car
l’être humain n’existe pas d’abord pour avoir, mais pour être et être avec et
pour les autres. Bergson parlait de supplément d’âme… C’est pourquoi, il est très important aujourd’hui
d’être à l’écoute de certains groupes alternatifs qui sont moqués par les
majorités comme de pures utopistes.
Mais l’utopie est
plus féconde que la peur ! Ils disent : puisque les grands systèmes n’ont aucune alternative à proposer
à la suite des échecs du communisme et du néo-libéralisme, créons du complètement
neuf… avec les valeurs les plus anciennes : l’intériorité, la relation, la
solidarité, le respect de toute personne dans son unicité, ainsi que de la
planète… Non pas revenir en arrière,
mais retourner au centre : l’homme est un être d’intériorité qui est fait
pour la relation, la transcendance et la création. Il s’agit de sortir du
quantitatif et du matérialisme pour revenir au qualitatif et aux valeurs
spirituelles (prises dans un sens large, ou religieux). Les chrétiens seront-ils au rendez-vous ?
Excusez ce cri qui
vous vient du Sud, mais je crois qu’il reflète honnêtement le défi perçu
aujourd’hui dans nos pays par beaucoup de personnes désillusionnées par des
décennies de vaines promesses de partage.
En tout cas, en R.D. Congo, le choix est fait : quasi
tous les projets officiels de développement sont confiés aux Chinois, pour une
valeur de 60 milliards de USD. Mais, est-ce de leurs marchands et de leurs
entreprises que nous pouvons attendre le supplément d’âme ? Faut-il passer du matérialisme occidental
au matérialisme chinois ? Voici un défi pour les jeunes de nos
pays... et donc pour nous, leurs
formateurs et parents.