vendredi 30 avril 2021

La résilience (avril 2021)


La capacité de résilience ne résout pas tout et peut devenir un obstacle à la prise de responsabilité

La résilience concerne notre capacité de rebondir après une épreuve ou un choc. Elle est indispensable pour pouvoir traverser les péripéties de la vie, depuis notre naissance. C’est elle qui permet de reprendre souffle et de se remettre en route après avoir traversé des moments difficiles et dans certains cas de véritables traumatismes. Boris Cyrulnik est parmi ceux qui ont le plus approfondi la question de la résilience, ayant lui-même vécu des événements traumatiques dans son enfance en tant que jeune juif durant la seconde guerre mondiale. Une bonne capacité de résilience est une source d’équilibre et nous y faisons appel particulièrement au moment des périodes troublées de la vie ou de l’histoire.

Arrivé en Afrique, il y a 50 ans, je vis actuellement dans un pays où les traumatismes dus à la guerre se répètent de génération en génération. Rien que dans la région où j’habite, plus de 130 groupes armés écument les territoires riches en multiples ressources minières en utilisant la violence, et même le viol, pour contrôler des populations ou imposer leur pillage. Depuis 10 ans je reçois continuellement des survivants en état de stress post-traumatique. Ils ont besoin d’un accompagnement personnalisé pour pouvoir se reconstruire. Je suis souvent frappé par la capacité de résilience des femmes africaines par rapport aux violences qu’elles ont pu subir et qui, en Occident, demanderaient un soutien psychologique et psychiatrique sur des années, (viol en réunion sous les yeux du mari et des enfants, tortures, etc.). Elles puisent dans leur courage et leur solidarité pour rebondir, dans la mesure où elles sont accompagnées personnellement ou en groupe pour se reconstruire, et deviennent parfois de véritables militantes. Malheureusement, à cause de la stigmatisation, beaucoup ne déclarent pas ce qu’elles ont vécu pour éviter d’être rejetées. En outre, dans certains pays d’Afrique, où il n’y a pratiquement pas d’Etat, ou bien où l’État est prédateur et favorise la violence systémique et les massacres, toute la société est traumatisée. Paradoxalement, on constate que c’est sur cette situation d’anomie et de fragilisation des liens sociaux que les politiques construisent leur pouvoir, entretenant parfois volontairement le désordre afin de favoriser des réseaux économiques mafieux.

Les populations subissent cet asservissement avec un courage et une patience extraordinaire qui font l’admiration des observateurs étrangers. Mais précisément cette résilience a des limites. Elle peut être un piège. Dans son livre sur Les profils émotionnels, le professeur Richard Davidson étudie des critères pour établir ces profils dans le cadre de l’intelligence émotionnelle. Parmi ceux-ci il se réfère à la résilience. Or, à partir des neurosciences, il constate que les personnes qui ont une trop grande capacité de résilience en arrivent à perdre leur sensibilité émotionnelle et deviennent inaccessibles à certaines émotions et même parfois à l’empathie. Elles en arriveraient à perdre leur capacité de réactivité en absorbant et atténuant les impacts sur leur psychisme et leur vie émotionnelle. D’où leur incapacité de prendre leur responsabilité pour s’opposer aux causes de leur agression.

Discutant avec un de mes confrères à propos de la capacité de résilience de certaines populations africaines, il me confiait sa conviction que la capacité de résilience de ses frères et sœurs africains finissait par représenter un véritable obstacle à un combat pour des alternatives politiques crédibles. Il était convaincu du cynisme de nombre d’hommes politiques africains qui non seulement n’ont pas le souci du bien-être de leurs citoyens mais en plus entretiennent le désordre et leur domination (par les forces de l’ordre) pour faciliter leur contrôle sur ces populations. Selon lui, ils tablent sur le fait que les gens ne se révolteront pas, et qu’il est toujours possible d’aller plus loin dans l’exploitation des petits et le refus de partager les richesses du pays. Ainsi cette résilience de cette immense population qui vit dans la survie est un atout pour maintenir une situation contraire aux droits humains et maintenir leur pouvoir. Il se posait la question : « est-ce que notre résilience n’est pas en fait la cause de la poursuite de l’exploitation inhumaine dont nous sommes les victimes au quotidien par nos propres autorités ? »

Bernard Ugeux, le 30/4/2021

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