L’annonce
de la pandémie du coronavirus sur le plan mondial a sonné comme un
coup de tonnerre dans un ciel serein. C’est comme si la planète
poursuivait tranquillement son cours sans inquiétude particulière
pour l’avenir et qu’elle a soudain été obligée de s’arrêter
d’un coup, brutalement, au point de devoir confiner la moitié de
la population pour se protéger d’un ennemi invisible : un virus
qui reste encore très mystérieux aujourd’hui.
La
fin du monde ?
Les
effets de ce coup de tonnerre ont fait penser à ce que Jésus
annonçait à propos de la fin des temps en Mc, 13,14 s. :
« Lorsque vous verrez l’Abomination de la désolation
installée là où elle ne doit pas être – que le lecteur
comprenne ! – alors, ceux qui seront en Judée, qu’ils
s’enfuient dans les montagnes ; celui qui sera sur sa
terrasse, qu’il n’en descende pas et n’entre pas pour emporter
quelque chose de sa maison ; celui qui sera dans son champ,
qu’il ne retourne pas en arrière pour emporter son manteau.
Malheureuses les femmes qui seront enceintes et celles qui
allaiteront en ces jours-là ! Priez pour que cela n’arrive
pas en hiver, car en ces jours-là il y aura une détresse telle
qu’il n’y en a jamais eu depuis le commencement de la création,
quand Dieu créa le monde, jusqu’à maintenant, et telle qu’il
n’y en aura jamais plus ». Du coup, certains ont annoncé la
fin du monde ou une punition divine ! Il faut dire que les
médias ont tout fait pour rendre les choses encore plus tragiques,
et s’y sont ajoutées les fake news dont certains d’entre nous se
font les relais sans discernement.
Un
tsunami financier annoncé mais dénié par les Etats et les
entreprises
Un
coup de tonnerre dans un ciel serein sans aucun signe avant-coureur ?
S’il s’agit de l’écroulement de l’économie et des finances
et de l’entrée en récession (pour le PIB de l’Europe de -5% à
-12 %), il serait malhonnête de mettre cela sur le dos de cette
pandémie. Il
y a cinq ans que des observateurs sérieux et indépendants, (comme
Gaël Giraud sj, Georges Ugeux) voient venir un tsunami et tentent de
convaincre les dirigeants d’entreprises, de banques, de banques
centrales et des gouvernements de prendre des mesures correctrices.
Aucune de ces catégories n’a admis qu’il y avait un problème.
Pour les dirigeants politiques et les gouverneurs de banques
centrales, l’admission même d’un problème de surendettement
souverain était un anathème qui condamnait au silence ou à
l’oubli. On sait que la fin de la pandémie ne sera pas la fin de
la crise.
En
effet, le degré d’endettement des Etats comme des particuliers a
dépassé tout ce qui est imaginable, au mépris des avertissements
qui sont nés de la grave crise financière de 2008. La situation
économique dramatique dans laquelle nous sommes engagés depuis
quelques mois, avec la moitié de l’humanité confinée et donc la
plupart des entreprises de la planète arrêtées, a été accélérée
par cette pandémie, mais elle n’en est pas la seule cause. Pour
ceux qui profitaient des avantages du néolibéralisme capitaliste,
tout allait bien. Ils étaient invulnérables. On considérait que
tout était sous contrôle, grâce aux progrès des technologies, qui
permettaient une accélération dans toutes les activités humaines,
une ultra rapidité dans la gestion des finances et une impression de
maîtrise de la planète. Pour eux, tout allait pour le mieux dans le
meilleur des mondes, pour ceux pour qui le profit
maximum immédiat au mépris de
la vie humaine était la source de l’amélioration constante de
leur niveau de vie. En outre avec la théorie du transhumanisme,
qui associe les découvertes récentes en biologie et en
neurosciences avec l’utilisation des nanotechnologies, on allait
rendre l’être humain tôt ou tard immortel !
Un
désordre mondial accepté comme normal !
Or
cette euphorie se développait dans l’ignorance et le mépris de la
situation de la plus grande partie de l’humanité pour qui la vie
est uniquement une survie. Que quelques pourcents de l’humanité
puissent exploiter la plus grande partie des richesses de la planète
à leur propre profit au mépris du reste du monde ne posait pas de
problème à beaucoup, malgré le grand nombre d’associations qui
se battent pour faire éclater la vérité. On ne peut pas dire que
les profiteurs du désordre mondial n’étaient pas au courant de
cette injustice globalisée dont les effets sur l’écologie sont de
plus en plus dramatiques. Tout se tient, dit le Pape François, dans
Laudato si.
Puis,
tout échappe
Et
soudain on découvre qu’en fait on ne contrôle plus rien. Les
systèmes médicaux eux-mêmes, - qu’en France on a privé de
ressources nécessaires depuis des décennies, parce ce qu’ils ne
sont pas productifs d’un point de vue capitaliste -, se sont
montrés incapables de gérer une telle pandémie. Pourtant, le
personnel s’est montré non seulement compétent en général mais
d’un dévouement qui a frappé tout le monde, jusqu’à mourir à
la tâche pour nombre d’entre eux. Pourtant, des épidémiologistes
annonçaient ce risque depuis longtemps, à cause des déséquilibres
écologiques provoqués par l’âpreté illimitée au gain du
processus de mondialisation. En conséquence, dans des grands pays
européens, il n’y avait pas de réserve suffisante de masques pour
les soignants, de vêtements de protection, de lits pour les
urgences, de respirateurs, et de moyens de tester, etc. La
conséquence est la mort d’un grand nombre de soignants et les
hôpitaux dépassés par l’afflux des victimes, au point de devoir
parfois choisir qui on va entuber, sans parler d’une hécatombe
dans les maisons de personnes âgées dont la mort a pris du temps à
être reprise dans les statistiques…
Une
augmentation de la dette publique sans précédent pour sauver les
économies
Actuellement,
les Etats et les banques centrales imaginent tous les scénarios
possibles pour limiter les résultats de la crise économique et
financière, augmentant l’endettement de plusieurs milliers de
milliards de $ face à une récession aux conséquences
catastrophiques pour le monde entier. Il y a déjà plus de 20
millions de nouveaux chômeurs aux Etats-Unis. Quant à certains pays
d’Afrique, dont la principale ressource est la vente des matières
premières, comme en RDC, l’arrêt brutal de la production dans les
entreprises occidentales et asiatiques et donc de la demande, fait
dévisser le PIB dans une mesure encore non calculable. Heureusement
que la peur de vagues migratoires décuplées par la pandémie pousse
les pays riches et les grands organismes mondiaux comme le FMI à
injecter de l’argent en Afrique pour limiter l’écroulement des
économies locales, d’où l’engagement à une suppression pure et
simple ou à un moratoire des dettes publiques des Etats africains.
Ce serait des mesures bienvenues, à condition que l’argent n’aille
ni dans les poches des dirigeants ni dans l’achat d’armes.
De
l’impossibilité de programmer la reprise économique
Le
grand point d’interrogation reste : quand pourra-t-on
reprendre une certaine activité économique, sachant qu’avec
toutes les faillites annoncées, il faudra des années pour s’en
remettre. Or, il y a beaucoup de différences dans les réactions au
virus selon les pays et même les continents, parfois sans qu’on
puisse l’expliquer. En outre, les experts se contredisent, certains
disent qu’on n’est pas immunisé même si on a déjà guéri du
virus et qu’une rechute est possible. D’autres disent qu’il
n’est pas exclu qu’une nouvelle vague apparaisse et recommence
les ravages. Tous ne sont pas d’accord à ce propos. On dit
également que les mutations du virus retardent la fabrication d’un
vaccin. Dans certains pays comme le Brésil et le Burundi, on se
rassemble en foules joyeuses et sans protection : du vrai
délire. Ce qui veut dire qu’il est impossible de programmer la
reprise de l’économie mondiale et que la dégringolade peut se
prolonger longtemps.
Comme
le confinement commence à devenir insupportable et que le nombre de
nouveaux cas diminue dans certains pays, on s’aventure prudemment
vers un déconfinement dont on ne connaît pas les conséquences à
moyen terme. Car là où on commence à déconfiner comme en Italie,
on parle d’une recrudescence de la pandémie.
Et
en Afrique ?
A
propos de l’Afrique, jusqu’à présent la catastrophe pandémique
annoncée n’a pas eu lieu, malgré l’impossible confinement dans
les mégapoles et la quasi-absence de tests. On avance plusieurs
explications. Tout d’abord le virus est arrivé plus tard et les
Etats africains ont pu tirer les leçons de mesures de prévention de
l’Asie et de l’Europe. Certains proposent des plantes
traditionnelles à titre préventif ou curatif, comme à Madagascar
que la RDC encourage. Ensuite, à part dans les mégapoles, la
densité de la population est plus faible (43 au Km2 contre 181 en
Europe occidentale), il y a une moindre circulation des personnes,
une pyramide des âges plus jeune, une résistance préparée par
l’usage assez généralisé d’antipaludéens depuis des
décennies…. Mais d’autres fragilités sont là : une
économie extravertie dépendant des pays riches et des
multinationales, la famine dans plusieurs pays, les attaques de
criquets, l’endettement qui favorise une élite de profiteurs, des
structures sanitaires déficientes (les riches allaient se faire
soigner à l’étranger). On verra comment la pandémie va se
développer, mais d’ores et déjà on sait qu’il va y avoir une
grande augmentation du chômage. Quant à imposer un confinement
strict quand on vit « au taux du jour », cela ne peut que
provoquer des émeutes incontrôlables, si le gouvernement n’est
pas capable de prendre en charge les plus pauvres dans les quartiers
pauvres, ce qui est rarement le cas.
Des
leçons à tirer
Dans
cette situation, des prises de conscience se font de plus en plus à
travers le monde. Notre planète est fragile et le système
capitalise, imposé mondialement, dysfonctionne et provoque
exclusions sociales et dégâts naturels. L’être humain est
vulnérable face à un virus qui ne fait pas de différences de race,
de sexe, ou de richesse. Même si un million de Parisiens sont vite
partis se réfugier dans leurs résidences secondaires loin de la
ville, là où le risque est moindre et le confinement plus agréable,
la solidarité humaine est indispensable pour pouvoir non seulement
échapper au virus (cf. les collaborations mondiales des laboratoires
à la recherche d’un remède ou d’un vaccin) mais tout simplement
pour que la vie sociale soit de nouveau possible. On découvre aussi
que des professions sous-valorisées sont indispensables à la
société - les infirmières et femmes de salle, les chauffeurs
routiers et les magasiniers des grandes surfaces, les éboueurs et
les postiers, et tous ces humbles services de base, souvent manuels -
qui ont rendu le confinement possible. Un conducteur de camion peut
être plus important qu’un prof de philosophie pour faire vivre la
société. Mais ils sont méprisés et sous-payés tandis que
d’autres abreuvent leurs auditoires de concepts souvent déconnectés
pour la simple survie. Et même confinés, ils occupent les réseaux
sociaux.
Bien
d’autres inégalités sont apparues flagrantes comme l’accès à
internet et la possibilité d’être connecté. On a parlé de
télétravail et de téléenseignement, mais ici encore ce sont les
privilégiés qui en profitent. Tant de familles n’ont pas
d’ordinateur pour profiter des cours en ligne ou n’ont pas
l’espace pour que chacun puisse travailler dans son logement. Ici
aussi, l’inégalité est flagrante et les gens commencent seulement
à la découvrir. Feront-ils quelque chose pour la réduire, dans
l’après-covid ?
Vivre
autrement demain ?
Aujourd’hui,
on entend de plus de plus de gens dire : en tout cas, il est
impossible de recommencer à vivre comme avant. A part quelques
personnes très riches (qui vont racheter les faillites) et quelques
autres qui profiteront du malheur des autres pour s’enrichir, tout
le monde va être impacté par la crise actuelle. Même les personnes
qui ne seront pas touchées par le chômage, verront leur train de
vie diminuer. Un expert financier prédit que pour les occidentaux,
ils doivent s’attendre à devoir diminuer de 20 % le niveau de vie,
ce qui est énorme. Cela aura des conséquences graves sur le plan
de la consommation, et donc de la relance des entreprises. En outre,
les Etats ne seront pas capables d’assurer une véritable
couverture du chômage qui deviendra de plus en plus endémique,
après avoir déboursé des sommes énormes pour essayer d’enrayer
la débâcle économique. La Banque Centrale Européenne a prévu une
enveloppe de plus de plusieurs milliers de milliards d’euros de
rachats d’actifs sur l’année. Qui remboursera ? Ce qu’on
reproche déjà, c’est qu’on annonce l’attribution de milliards
de dollars pour maintenir de très grandes entreprises, en oubliant
que la société fonctionne à 80 % grâce aux petites et moyennes
entreprises. Cette crise met en péril l’unité européenne.
Quand
on dit que plus rien ne sera comme avant, beaucoup de personnes ont
la conviction qu’il n’est plus possible de continuer à vivre
dans l’accélération qu’on a connue ces derniers temps et dans
la consommation effrénée qui impacte de façon de plus en plus
grave la planète. Parce que la catastrophe écologique qui se
prépare, si des décisions essentielles ne sont pas prises
rapidement par les Etats, aura des conséquences beaucoup plus graves
que cette pandémie. Comme la dégradation de la planète se passe
progressivement (tout en s’accélérant beaucoup ces dernières
années), on ne panique pas et on retarde les décisions
douloureuses. Or quand on considère le continent de plastique qui
flotte dans les océans, le réchauffement climatique et le
dérèglement qui touche actuellement la planète (et dont l’Afrique
n’est pas protégée), la fonte des glaciers avec toutes les
conséquences concernant le niveau de la mer et les courants
océaniques, on se rend compte qu’il faut tous se réveiller. Il
apparaît que ce sont les jeunes générations qui commencent à
interpeller les décideurs obsédés par le profit immédiat.
Des
évolutions politiques et idéologiques
Ce
que j’entends et lis, ce sont des changements d’orientation
essentiels. J’entends des chefs d’État dire que la santé est
plus importante que l’économie, que les inégalités sociales ne
sont plus supportables quand on voit qu’on a besoin de tout le
monde pour faire fonctionner une société et une économie. Devant
l’appauvrissement mondial que la récession va provoquer, je lis un
nombre croissant de personnes qui insistent sur la nécessité de la
solidarité, des groupes associatifs, de la réduction des inégalités
dans les salaires ou dans l’accès aux soins médicaux, de la
nécessité de réduire volontairement son niveau de vie pour arriver
à une certaine sobriété pour préserver la planète, etc. Beaucoup
ont aussi découvert, à la suite de l’interruption de leurs
activités, à quel point leur rythme de vie était déshumanisant.
Certains sont bien décidés à ne plus retomber dans cette
accélération tellement néfaste pour la vie familiale et sociale,
et dont les bénéfices matériels ne justifient pas l’emprise sur
leur vie quotidienne. Beaucoup réalisent les graves conséquences
d’un monopole de la chaîne alimentaire aux détriment de la
production locale. Tout cela est exactement à l’opposé d’une
certaine pratique néolibérale pour qui le profit maximum immédiat
justifie les injustices et le pillage de la planète. Cela signifie
que la crise sanitaire, financière, économique et sociale est aussi
une crise politique et un défi pour les idéologies. C’est aussi
un défi pour le multilatéralisme, au moment où les États-Unis
sont victimes de leur repli sur eux-mêmes et les pays membres de la
communauté européenne ont beaucoup de mal à se mettre d’accord
sur les conditions d’une reprise et d’un soutien économique et
social pour l’avenir.
Quel
espoir pour l’avenir ?
Personnellement,
je crois que cette crise dramatique, tôt ou tard inévitable, était
nécessaire pour faire comprendre la folie du système qui jusqu’à
présent a dominé la mondialisation, créant un désordre consenti
pour le bien d’une minorité de privilégiés et une accélération
démentielle des rythmes de vie.
J’espère
et je souhaite qu’on remette la personne humaine au centre de la
nouvelle civilisation qui va devoir naître des cendres du système
qui est en train de s’écrouler. Cela demande de mettre en avant
les valeurs de solidarité, de partage, de priorité pour les plus
fragiles, de prise de conscience de l’existence de périphéries ou
des gens survivent dans des conditions inhumaines, de changement de
priorités dans la gestion du bien public de la part des Etats, etc.
Il
n’est pas seulement nécessaire d’être très vigilant par
rapport à une recrudescence éventuelle de la pandémie, il est très
important que les citoyens soient attentifs à ce que les Etats ne
répartissent pas les ressources de façon à relancer un système
injuste où des privilégiés seront maintenus dans le privilège au
détriment des plus pauvres. Il y a là donc un défi démocratique
et citoyen pour l’avenir.
D’un
point de vue chrétien
Ces
valeurs que je viens d’évoquer sont aussi des valeurs
évangéliques, qui ont d’ailleurs favorisé la mobilisation de
nombreux chrétiens pour venir en aide aux soignants, aux malades,
aux personnes âgées et isolées… afin de leur apporter
l’espérance que le Christ leur a confiée. Des paroisses et des
communautés se sont mobilisées, entre autres grâce aux médias
sociaux, pour lutter contre la solitude et pour maintenir des réseaux
de prière. Certains catholiques ont découvert que le Christ est
autant présent dans le voisin et le pauvre que dans l’eucharistie
dominicale dont l’interruption a été difficile à vivre pour
beaucoup.
Se
pose aussi pour beaucoup de chrétiens la question de la place ou du
rôle de Dieu dans cette pandémie. On l’a dit, certaines églises
du réveil ont parlé d’une punition de Dieu. Pour nous, il est
impossible que le Dieu Père, au cœur de Mère, que nous révèlent
la Bible et particulièrement le Christ, soit à l’origine d’une
telle souffrance pour son peuple. Mais alors que tant de personnes
tombent ou perdent des proches dans une terrible souffrance et dans
la tristesse, ils peuvent être tentés de se demander :
Qu’est-ce que la volonté de Dieu ? Où est-il ? que
fait-il ? Comment peut-il permettre cela ? Rien qu’en
posant ainsi la question, on laisse entendre qu’il aurait pu
l’empêcher et qu’il a préféré ne rien faire… Certains vont
s’acharner dans des neuvaines et des pèlerinages… pour le faire
changer d’avis ? Ou plutôt pour se rapprocher de lui qui a
déjà tout assumé sur la croix et a promis qu’il serait avec nous
jusqu’à la fin des temps ? Il est important de bien éduquer
cette religiosité populaire, qui a toute sa valeur, en montrant
qu’il ne s’agit pas d’une forme de chantage sur Dieu, mais afin
de comprendre et de faire l’expérience que, dans notre prière et
dans l’aide que nous portons aux plus fragiles, nous rejoignons et
accompagnons le Christ qui revit sa passion dans les plus fragiles.
Jésus a pleuré sur la mort de Lazare et sur Jérusalem, ainsi que
face à sa mort à Gethsémani. Ne nous trompons pas sur Dieu ni sur
sa « toute-puissance ». Il respecte notre liberté (c’est
bien l’humanité qui a permis et diffusé ce virus, et non pas lui)
mais il nous rejoint jusqu’au plus profond de notre doute et de
notre désespoir. Ici, chacun peut se demander : face à ce
drame, quelle est mon image de Dieu ? et ma relation à Lui ?
quel pourrait être mon engagement personnel aujourd’hui ?
Donner
la priorité aux victimes
Au
fur et à mesure du déconfinement, et donc de la reprise des
relations entre les gens dans les quartiers, dans les mouvements etc.
on va découvrir aussi les dégâts du confinement pour beaucoup de
personnes. Il y a eu de très belles retrouvailles familiales et
l’approfondissement de relations essentielles mais aussi une grave
recrudescence de violences conjugales et familiales dont des traces
traumatiques demeureront pendant des années. Il faudra s’attendre
à des divorces et à devoir retirer des enfants de certaines
cellules familiales pour les protéger et les soigner. Par ailleurs,
beaucoup de personnes vont perdre leur emploi et feront l’expérience
d’une grande pauvreté, peut-être jusqu’à rejoindre les SDF
dans la rue, ces personnes dont on s’est soudain souvenu… à
cause du risque de contagion. En tout cela le réseau des communautés
et des paroisses peut jouer un rôle essentiel, d’autant plus que
l’État sera sans doute incapable de gérer la demande. Cela
signifie pour nous chrétiens, et a fortiori missionnaires, d’être
encore plus attentifs aux appels de la périphérie, au renforcement
des solidarités et des partages, à l’engagement volontaire à
pratiquer un style de vie simple. Il nous faudra réduire nos
exigences sur les plans d’un certain confort à la maison ou dans
les moyens pour la pastorale1.
Un
changement de style de vie
Je
voudrais citer pour terminer quelques réflexions qui peuvent nous
aider à approfondir les grands enjeux actuels ou à ouvrir des
pistes vers l’avenir.
Le
Pape François lors d’une interview donnée à la fin du mois de
mars (ma traduction, de l’anglais).
« Vous
me demandez ce qu'est la conversion. Toute crise comporte à la fois
un danger et une opportunité : l'opportunité de s'éloigner du
danger. Aujourd'hui, je crois que nous devons ralentir notre rythme
de production et de consommation (Laudato
si', 191) et apprendre à
comprendre et à contempler le monde de la nature. Nous devons nous
reconnecter avec notre environnement réel. C'est l'occasion de nous
convertir. Oui, je vois les premiers signes d'une économie moins
insaisissable, plus humaine. Mais ne perdons pas la mémoire une fois
que tout cela est passé, ne l'archivons pas pour retourner là où
nous étions.
C'est
le moment de faire le pas décisif, de passer de l’abus et de la
mauvaise utilisation de la nature à sa contemplation. Nous avons
perdu la dimension contemplative ; nous devons la retrouver en ce
moment-là. Et en parlant de contemplation, je voudrais m'attarder
sur un point. C'est le moment de voir les pauvres. Jésus dit que
nous aurons toujours les pauvres avec nous, et c'est vrai.
Ils
sont une réalité que nous ne pouvons pas nier. Mais les pauvres
sont cachés, parce que la pauvreté est timide. À Rome, récemment,
au milieu de la quarantaine, un policier a dit à un homme "Vous
ne pouvez pas être dans la rue, rentrez chez vous." La réponse
a été la suivante : "Je n'ai pas de maison. Je vis dans la
rue". Découvrir un si grand nombre de personnes qui sont en
marge... Et on ne les voit pas, parce que la pauvreté est timide.
Ils sont là mais on ne les voit pas : ils font partie du paysage,
ils sont de simples choses.
Sainte
Thérèse de Calcutta les a vus et a eu le courage de se lancer dans
un chemin de conversion. « Voir » les pauvres, c'est leur
rendre leur humanité. Ce ne sont pas des choses, ni des déchets ;
ce sont des personnes. (…) Nous ne pouvons pas nous contenter
d'une politique de bien-être partielle ».
La
redécouverte de la vulnérabilité humaine
Dans
Gènéthique (23 mars 2020) :
« Se
rappeler de « la profonde vulnérabilité humaine dans un monde qui
a tout fait pour l’oublier » (extraits d’une interview de la
philosophe Corine Pelluchon avec des remarques du sociologue Michel
Maffesoli)
Pour
Corine Pelluchon « nos
modes de vie et tout notre système économique sont fondés sur une
forme de démesure, de toute-puissance, consécutive à l’oubli de
notre corporéité ».
Mais aujourd’hui, « nous
qui nous pensions définis par notre volonté et nos choix, nous
sommes arrêtés par cette passivité existentielle, par notre
vulnérabilité, c’est-à-dire par l’altération possible du
corps, par son exposition aux maladies et son besoin de soin et des
autres ». Alors « plutôt
que de vouloir dominer la nature, on s’accorde à elle »,
déclare le sociologue. Et la philosophe le certifie « la
conscience de cette vulnérabilité est une force ».
Car « seule l’expérience
de nos limites, de notre vulnérabilité et de notre interdépendance
peut nous conduire à nous sentir concernés par ce qui arrive à
autrui, et donc responsables du monde dans lequel nous vivons ».
En effet, affirme Corine Pelluchon, « l’autonomie,
ce n’est pas le fantasme d’une indépendance absolue, hors sol,
mais reconfigurée à la lumière de la vulnérabilité, elle devient
résolution de prendre sa part dans les épreuves communes ».
Ce qu’atteste le sociologue : « l’angoisse
de la finitude, finitude dont on ne peut plus cacher la réalité,
incite (…) à rechercher l’entraide, le partage, l’échange, le
bénévolat et autres valeurs du même acabit que le matérialisme
moderne avait cru dépasser ».
Pour
Michel Maffesoli, « la
crise sanitaire porteuse de mort individuelle est l’indice d’une
crise civilisationnelle, celle de la mort d’un paradigme
progressiste ayant fait son temps. Peut-être est-ce cela qui fait
que le tragique ambiant, vécu au quotidien, est loin d’être
morose, conscient qu’il est d’une résurrection en cours.
Celle où dans l’être-ensemble,
dans l’être-avec, dans le visible social, l’invisible spirituel
occupera une place de choix ».
« En
nous rappelant brutalement notre fragilité, cette crise est aussi
l’occasion de se poser la question de sa responsabilité »,
déclare Corine Pelluchon. Une « expérience
du négatif [qui doit] se commue[r] en une réflexion sur nos
limites », en
l’« occasion d’une
transformation individuelle et collective, afin que la conscience de
notre vulnérabilité, de notre appartenance à un monde plus vaste
que soi, de notre lien au vivant, devienne un savoir incarné et vécu
qui transforme notre comportement ».
La philosophe l’affirme : « La
science et la technique ne suffisent pas ».
Alors, « pour contrer la
tentation de la démesure, de la toute-puissance - ce que les Anciens
appelaient l’hubris -, c’est à nous de prendre le temps
individuellement et collectivement de réfléchir à la société
dans laquelle nous voulons vivre ».
Une
parole qui nous vient de l’orthodoxie.
Pendant
le temps de carême,
Monseigneur Martin, évêque de l’église orthodoxe française,
invitait ses fidèles à méditer sur le retournement spirituel
auquel nous invite la crise actuelle :
«Le
coronavirus est aussi appelé virus de la couronne. Il vient cibler
en nous ce que nous avons oublié d’honorer depuis des générations
et qui nous rend malades collectivement : totalement projetés dans
l’extériorité, nous avons perdu la trace du « couronnement »
intérieur pour lequel nous avons été créés, nous avons perdu le
lien avec la Vie-Lumière essentielle, avec la Source Divine. Ce
virus, dans sa fonction ontologique d’adversaire, nous invite
finalement à retrouver le chemin de l’intériorité, à prendre
soin de notre vocation de fils et de fille de dignité royale,
couronnés de Lumière… Comment ?
En venant nous percuter de manière forte pour que nos carapaces de Terriens emmurés dans tant de peurs, d’illusions, d’inconscience s’entrouvrent enfin… Pour que nous puissions collectivement être conduits vers l’agenouillement intérieur, signe de l’humilité retrouvée…
En nous invitant avec vigueur à « rester chez soi » pour mieux « rentrer en soi » et écouter la Voix qui nous appelle des profondeurs de la Vie : « Reviens vers toi, retourne-toi, enfant de Lumière et écoute… »
Se poser, se déposer… seul, en famille ou en communauté et retrouver le sens de notre vie, le chemin vers notre cœur profond. Redécouvrir les valeurs fondatrices qui nous relient tous, quelle que soit notre appartenance sociale, politique ou religieuse.
En ce temps de carême choisi pour certains et de confinement subi pour d’autres, nous sommes finalement tous conduits au désert de soi… La grâce du désert, c’est l’expérience du manque qui nous rend capable d’une rencontre inouïe avec la Source mystérieuse de l’Amour : « C’est pourquoi je te conduirai au désert et je parlerai à ton cœur » (Osée 2, 16).»
En venant nous percuter de manière forte pour que nos carapaces de Terriens emmurés dans tant de peurs, d’illusions, d’inconscience s’entrouvrent enfin… Pour que nous puissions collectivement être conduits vers l’agenouillement intérieur, signe de l’humilité retrouvée…
En nous invitant avec vigueur à « rester chez soi » pour mieux « rentrer en soi » et écouter la Voix qui nous appelle des profondeurs de la Vie : « Reviens vers toi, retourne-toi, enfant de Lumière et écoute… »
Se poser, se déposer… seul, en famille ou en communauté et retrouver le sens de notre vie, le chemin vers notre cœur profond. Redécouvrir les valeurs fondatrices qui nous relient tous, quelle que soit notre appartenance sociale, politique ou religieuse.
En ce temps de carême choisi pour certains et de confinement subi pour d’autres, nous sommes finalement tous conduits au désert de soi… La grâce du désert, c’est l’expérience du manque qui nous rend capable d’une rencontre inouïe avec la Source mystérieuse de l’Amour : « C’est pourquoi je te conduirai au désert et je parlerai à ton cœur » (Osée 2, 16).»
Un
regard protestant
François
Clavairoly, président de la Fédération protestante de France
(FPF), a adressé le 21 avril une lettre au président de la
République publiée par Le Figaro avant d’être diffusée à tous
les médias. Son texte est le résultat du travail de la Commission
climat de la FPF, présidée par Martin Kopp. (extraits).
“Monsieur
le président de la République,
Face
à la pandémie du Covid-19, l’attention et les forces sont
légitimement orientées vers la priorité absolue de la réponse
sanitaire, pour sauver des vies. Vous savez la contribution des
protestants à l’élan de solidarités créatives, depuis
l’accompagnement par l’écoute jusqu’au souci pour les plus
fragiles, dont les situations restent encore trop souvent
négligées.
Il
serait toutefois dramatique que cette crise provoque une myopie de la
pensée et de l’action, dévastatrice pour nos sociétés
humaines et la biodiversité. C’est aujourd’hui, a fortiori,
qu’il nous faut exercer notre vigilance, pleinement intégrer
l’expertise scientifique, et co-construire demain afin que “le
jour d’après” ne soit effectivement pas un retour au “jour
d’avant”.
Le
jour d’avant, où règnent les illusions de l’invulnérabilité,
de la puissance et de la maîtrise. Le jour d’avant, où prévaut
une vision des sociétés et d’une économie hors-sol,
déconnectées des autres espèces, du climat, sans considération
de la finitude des ressources. Ce jour d’avant, enfin, où
l’individualisme a trop souvent primé sur la solidarité.
C’est
pourquoi nous vous appelons, Monsieur le Président, à situer ce
défi dans son juste registre : sans la prise de recul, la
reconnaissance de nos errements puis le renouvellement de notre
imaginaire partagé, les solutions sont vouées à l’échec.
Engageons ainsi un profond changement civilisationnel, spirituel et
éthique :
Reconnaissons
notre finitude, nos fragilités et nos limites, et faisons preuve
d’humilité ;
comprenons
notre humanité comme intrinsèquement relationnelle et partie
intégrante d’un tout écologique interdépendant, dont la
vulnérabilité est aussi la nôtre ;
portons
haut les exigences de justice et d’une solidarité généreuse
envers les réfugiés, les pauvres, les jeunes et tous les
vulnérables, dans l’esprit de l’Évangile ;
soumettons
au débat sociétal les questions de l’essentiel, des finalités
de notre être-ensemble, de la vie bonne et du progrès, et
redéfinissons nos indicateurs clés ;
formulons
un récit commun qui soit porteur de sens, d’envie et
d’espérance.
Le
jour d’avant est aussi celui où les politiques et nos actes
menacent toujours davantage de rendre la Terre inhabitable, en
empirant les dérèglements climatiques et la sixième extinction
de masse déjà enclenchée, provoquant de plus en plus angoisses,
désespoir et parfois colère. Ce temps où, simultanément, les
inégalités et les souffrances associées n’ont cessé de se
creuser, avec les dérives et les excès de la course au profit.
C’est pourquoi nous vous interpelons : haussez l’agir à son
juste niveau. Les modifications à la marge seront notre perte.
Inventons donc un paradigme nouveau pour le jour d’après : le
redémarrage de nos économies devra être une rampe et une
matrice pour une profonde transformation écologique, solidaire et
démocratique, par une action et des investissements massifs et
justement orientés. (…)
Nous
portons le souci sur le plan international :
d’un
soutien solidaire et responsable aux pays en développement, en
particulier dans la francophonie, avec le maintien des engagements de
financements climat afin que les plus vulnérables puissent
continuer à faire face aux impacts des dérèglements
climatiques, et des soutiens additionnels pour construire un avenir
plus résilient.
Monsieur
le Président, nous le disons avec gravité, nous sommes à un
carrefour de l’histoire. Le retour au « jour d’avant » n’est
ni viable ni enviable. Puissions-nous saisir ce moment opportun et
entrer en travail, dans la confiance et l’espérance !”
Père
Pierre de Charentenay sj (site Jésuites) :
Sortir
de la légèreté (extrait) :
« La
crise climatique nous dit la même chose mais autrement [2]. Il faut
mettre des limites à nos voyages, à notre consommation, à nos
productions !
La
différence entre les deux est que nous avons compris, peut-être un
peu tard, que le virus nous mettait en danger de mort immédiate, ce
que nous ne pouvons pas supporter. Donc, on agit, “quoi qu’il en
coûte” ! Alors que la crise climatique se déroule sur un moyen
terme qui nous laisse le temps de discuter, de polémiquer, en un
sens de ne rien faire qui nous dérange sérieusement. Nous ne
voulons pas entendre l’avertissement de la crise écologique parce
que les délais sont longs et l’urgence moindre.
Ces
deux catastrophes, sous des modes différents, nous font entrer dans
le monde des contraintes. On avait oublié qu’elles pouvaient
exister, emportés et grisés par tout ce que nous avions inventé,
qui nous rend la vie si facile, quand tout va bien. (…)
Demain,
nous ne changerons pas du tout au tout. Je n’y crois pas et le
danger est bien de reprendre notre rythme d’avant dès que
possible, dès que la contrainte médicale et étatique sera allégée.
Les industriels sont sur les starting blocs. Car la dynamique du
développement, des entreprises et du profit est puissante. Elle est
visible. Ce qui est moins visible mais tout aussi puissant, c’est
le désir du consommateur qui veut garder son style de vie, ses
facilités. C’est cette double dynamique qui épuise notre planète
; les ressorts de notre épuisement, ce sont les choix de chacun, la
liberté qu’on veut garder et la légèreté de nos existences. Car
“l’agent pathogène dont la virulence terrible modifie les
conditions d’existence de tous, ce n’est pas du tout le virus, ce
sont les humains !” .
Ce
virus vicieux est un clin d’œil mortifère sur ce qui sera plus
grave encore, car la crise climatique touchera la terre entière et
fera des millions de morts. Nous pourrions profiter de cette occasion
pour reconsidérer la légèreté de nos existences, leur
irresponsabilité. Alors lentement, s’il importe d’abord de
sécuriser notre vie dans l’immédiat, nous pourrons
progressivement nous préparer sérieusement à faire face à la
crise climatique en reconstruisant ce que nous ne voulons pas, des
barrières. Reprendre conscience des limites et redonner du poids à
l’existence ».
Ottavia
Casagrande : une italienne de la région la plus atteinte par le
covid-19 : les signes d’espérance au quotidien (extraits).
« A
dire vrai, ce virus a aussi un autre mérite. Il démontre chaque
jour qu’Albert Camus avait raison : « Et pour dire simplement ce
qu’on apprendra au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes
plus de choses à admirer que de choses à mépriser. » Pendant ce
premier mois – un mois, déjà ! – de pandémie, voilà ce que
j’ai appris. A Dalmine (à quelques kilomètres de Bergame, l’une
des régions les plus touchées), j’ai vu trente travailleurs
volontaires maintenir en activité un service de la société Tenaris
pour continuer à fabriquer des bombonnes d’oxygène, ô combien
vitales ces temps-ci.
J’ai
vu des maisons de couture, telle Miroglio, abandonner en l’espace
de quelques jours la production d’étoffes et de tissus pour
fabriquer 100 000 masques par jour, en grande partie offerts par
Giuseppe Miroglio à la direction sanitaire de la Région du Piémont.
(…)
J’ai vu des politiques, des bureaucrates
et des fonctionnaires au-delà de tout soupçon admettre que le
néolibéralisme et l’austérité ne constituent pas la seule
réponse possible. Parfois même, ils ne sont pas la réponse « tout
court ». J’ai vu les eaux de la lagune redevenir aussi limpides
qu’elles ne l’avaient jamais été depuis l’époque de Thomas
Mann et de sa « Mort à Venise ». J’ai vu les géants du Web
modifier leurs algorithmes pour mettre en avant une information de
qualité et endiguer les fake news (alors, c’était donc
possible!). J’ai vu les polémiques stériles, les bavardages
inutiles, les agitateurs populaires les plus factieux et les plus
opportunistes se taire et finalement garder le silence. J’ai vu
pointer malgré tout le printemps, incongru, absurde – et la
cruelle frustration de ne pas pouvoir en profiter.
J’ai
vu aussi de l’imagination, un esprit d’adaptation inventif et
enviable. J’ai vu mes enfants converger vers l’ordinateur pour le
chat vidéo quotidien avec leurs compagnons de classe, comme ils
convergent vers la cours de récréation lorsque la cloche sonne.
J’ai vu le rideau de fer baissé du restaurant « Dalla Clemi »,
qui depuis quarante-cinq ans n’a jamais fermé en dehors des jours
de repos réglementaires. Elle est pourtant aux fourneaux et son
petit-fils fait les livraisons à bicyclette en les laissant sur le
pas de la porte. J’ai vu des professeurs de piano donner des leçons
à distance sur Skype. J’ai vu des personal
trainers entraîner des gens
par le biais des écrans. J’ai vu des théâtres offrir des
spectacles en streaming ; des bibliothèques, des cinémathèques,
des éditeurs mettre leur catalogue en ligne gratuitement ; des
musées, leurs chefs-d’œuvre. J’ai vu souffler sur les bougies
d’anniversaire en réunion virtuelle.
(…)
J’ai vu des médecins et des infirmières soigner des patients sans
protections adéquates. J’ai vu des jeunes apporter leurs courses
aux personnes âgées. J’ai vu des réseaux d’amis prendre soin à
distance des personnes seules, enfermées à la maison depuis des
semaines au risque d’une dépression nerveuse. J’ai vu les
Italiens danser, chanter et applaudir à leurs balcons alors que dans
d’autres endroits de la planète certains faisaient la queue pour
acheter des armes ».
Réflexion
de Judith Cypel, rescapée du camp d’Auschwitz Birkenau : «
que cette contagion soit celle de l’amour »
«
En nommant la peur, la peur n’a pas raison de nous car, en face
d’elle, nous existons. Le contexte actuel est totalement différent.
Même si en cette période de catastrophe sanitaire mondiale et du
confinement qui en découle pour protéger une vie et celle des
autres, nous avons peur. Nous pouvons nous sentir dépassés, nous
replier sur nous, nous sentir victimes ou bien traverser humblement
l’événement en nous tournant vers notre intériorité, y
retrouver la force de vie qui habite en chacun de nous, y puiser la
confiance et l’espérance, l’envie de rassembler. Appeler en soi
le goût, l’amour des autres, la reconnaissance, la
gratitude…Aujourd’hui, je suis émerveillée des gestes de
solidarité qui se multiplient. Le mot solidarité me touche
beaucoup. Être solidaire, c’est reconnaître l’autre dans son
existence même. Un regard peut tuer, un regard, un sourire, une
parole, un appel téléphonique peuvent appeler à la vie. Tous ces
gestes viennent dire que chacun peut donner le meilleur de soi,
mettre son attention, son imagination au service de l’autre.
Développer la présence à soi permet de développer la présence et
la reconnaissance de l’autre là où il est. Demain dépend de la
manière dont nous vivons ce présent. Ce qui compte, c’est de
porter, supporter, assumer une souffrance. Mon expérience des camps
m’a donné la certitude que nous possédons en nous une énergie
intense et unique par laquelle nous pouvons trouver, chaque jour, la
force d’inventer la vie. Cette crise nous invite à plus de
solidarité, à puiser en nous-mêmes des ressources que nous ne
connaissons pas, à faire de notre mieux, exactement là où nous
sommes. Puisqu’il est question de contagion, que ce soit celle de
plus d’amour et de service à l’autre. Alors, il se pourrait que
demain nous réserve de belles surprises. » (8 avril 2020, Ouest
France).
Prière
du pasteur Dietrich Bonhoeffer (qui a été emprisonné puis exécuté
par les nazis).
« Dieu,
que j’invoque dès l'aube, aide-moi à prier et à rassembler mes
pensées.
Seul,
je ne le peux pas.
En
moi sont les ténèbres, près de toi la lumière.
Je
suis seul, mais toi, tu ne m'abandonnes pas.
Je
suis découragé, mais toi tu me secours.
Je
suis inquiet, mais auprès de toi est la paix.
En
moi est l'amertume, mais près de toi la patience.
Je
ne comprends point tes voies mais tu connais le juste chemin pour
moi.
Père
dans le ciel, louange et grâce à toi
Aide-moi,
Esprit saint, donne-moi la foi qui me sauve du désespoir. Amen ».
Bukavu
(RDC), le 10 mai 2020
Père
Bernard Ugeux M.Afr.
1
Ce
que nous avons beaucoup de mal à réaliser volontairement sera
fortement sollicité, comme le montrent les mises en garde des
responsables des finances de notre Société qui s’attendent à
des pertes importantes dans nos ressources financières (actions,
obligations, fonds de placement).