dimanche 13 janvier 2019

Lettre N°36, de Janvier 2019



Chères amies, chers amis,
C’est avec du retard que je vous écris en ce début d’année, attendant une clarification sur la situation de la RD Congo. Ce n’est pas encore le cas, comme vous verrez plus loin, mais je tiens à vous présenter aujourd’hui mes meilleurs vœux pour l’année 2019. En plus de la santé, qui est toujours un point important, je vous souhaite une année où progressent la paix et la justice et diminuent les violences. Cela nous concerne évidemment au premier chef ici, mais avec l’épisode des « gilets jaunes » en France, beaucoup parmi vous sont aussi touchés. Il apparaît qu’il y a une profonde crise de notre système consumériste qui a fabriqué beaucoup de frustrés qui revendiquent attention et respect. Comme c’est le symptôme d’une crise morale (des valeurs) majeure au niveau mondial, on ne pourra désormais se contenter de replâtrage pour résoudre ces importants défis. Quelle humanité voulons-nous pour aujourd’hui et demain ?
Quelques nouvelles
Depuis mon retour de Rome, j’ai donné diverses sessions, à Kinshasa et à Bukavu, toutes liées au vivre ensemble et à la croissance personnelle. Je les cite au passage : vivre l’interculturalité au quotidien, l’impact de la mondialisation sur la vie chrétienne, la transition du milieu de la vie, fragilité et addictions… Je signale aussi un post important sur mon blog, pour la revue La Vie, qui commente une déclaration de l’Union Internationale des Supérieures Générales concernant les abus de tous ordres sur les religieuses par le clergé dans l’Église. Je l’applique à l’Afrique où l’omerta est peut-être plus répandue qu’ailleurs.
Actuellement, je travaille à un livre sur notre fondateur, « Prier quinze jours avec le Cardinal Lavigerie » (éditions Nouvelle Cité) qui m’a été demandé par notre Conseil général à l’occasion du jubilé de notre fondation. Je consacre tout mon temps à la recherche des données et à la rédaction, avec l’aide de confrères experts. Cela m’enrichit aussi personnellement.
Notre Jubilé de 150 ans a été inauguré le 8 décembre dans le monde entier, tant chez les Missionnaires d’Afrique que chez les Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, notre branche féminine. Les Églises locales y ont été associées et ce fut l’occasion de belles célébrations souvent très populaires, où beaucoup de gens ont exprimé leur reconnaissance pour la Bonne nouvelle apportée par nos confrères et consœurs depuis le XIXe siècle. Le même jour, par un clin d’œil de la Providence, on béatifiait à Oran 19 martyrs d’Algérie dont 4 Missionnaires d’Afrique, ce qui est une première pour nous. Je vous en ai parlé dans une lettre précédente. Nous sommes dans l’action de grâce pour le courage de tous ceux et celles – chrétiens et musulmans - qui ont témoigné de leur foi jusqu’au don de leur vie. Notons qu’ils sont beaucoup plus nombreux dans nos deux instituts à être morts de mort violente, même si nous n’avons pas juger bon d’engager des procédures de béatification.
Logo du 150è anniversaire de notre Fondation par le Cardinal Lavigerie
Quelques semaines auparavant, un autre événement a réjoui l’Afrique (et pas seulement), c’est l’octroi du Prix Nobel de la Paix au Dr Denis Mukwege avec qui je suis en lien à Bukavu dans le travail d’accueil et de réintégration des victimes de violences sexuelles. Comme je l’écris également dans mon blog, après un moment de grande émotion, entre autres à cause de son discours que je vous ai fait suivre et qui a attiré les regards sur la tragédie de notre région, y aura-t-il la moindre amélioration pour les victimes qui ne reçoivent aucune réparation officielle de leurs préjudices presque in-chiffrables ? La communauté internationale ne semble pas concernée pour le moment.
Quant aux élections en RD Congo, vous en avez tous et toutes entendu parler et nombreux sont ceux et celles qui m’ont envoyé des messages très chaleureux et encourageants. Reportées trois fois en deux ans, elles ont fini par avoir lieu le 30 décembre. Je n’entre pas dans tous les dysfonctionnements (dont certains étaient volontaires pour porter préjudice à l’opposition) mais il faut reconnaître la détermination des Congolais à voter pour une véritable alternance. Ce qui surprit la majorité sortante, c’est à quel point elle était rejetée, malgré des frais de campagne disproportionnés. Leur candidat n’a récolté qu’environ 20 % des votes. On a craint un moment que la majorité qui contrôle la commission électorale passe en force, mais les pressions internationales et les risques d’émeutes généralisées étaient trop élevés, semble-t-il. Elle a donc choisi de proclamer vainqueur Felix Tshisekedi, moyennant des « délibérations des résultats » dont beaucoup de gens se disent inquiets. Les observateurs neutres, comme l’Église catholique, considéraient Fayulu comme largement gagnant1. La plupart des observateurs internationaux avaient été interdits et l’internet coupé depuis le jour du vote, ainsi des radios d’opposition ou étrangères, toujours pas rétablies à ce jour.  Beaucoup de Congolais de mon entourage disent avoir l’impression que les élections leur ont été volées et que l’alternance espérée n’aura pas lieu. Il y a beaucoup d’amertume et de découragement parmi ceux qui y croyaient encore, la grande masse de la population étant quasi-totalement absorbée par le souci d’avoir à manger le soir. Attendons cependant de voir ce que l’avenir nous réserve. Pour ma part, en tant qu’expatrié, je ne rentre pas dans les détails ici dans la cadre de cette circulaire, je me limite à me faire l’écho de ce que dit mon entourage. C’est assez pénible.
A propos de nos projets que vous soutenez avec une grande fidélité.
Oui, j’y reviens régulièrement, mais c’est vrai que votre fidélité nous touche et nous est précieuse alors que vous recevez tant de sollicitations autour de vous. Il est vrai que l’entièreté des sommes que je reçois va directement aux projets et aux personnes, sans aucune ponction. Je prends moi-même en charge presque tous les frais logistiques.
Quant au Centre Nyota, la rentrée s’est bien passée et nous accueillons actuellement 270 jeunes filles marginalisées ou victimes de diverses formes de violences. Le corps professoral reste très engagé, même si je ne puis lui procurer le salaire qu’il mériterait. Nous allons encore ajouter une augmentation pour 2019. Une religieuse vient une fois par semaine pour permettre aux jeunes qui le souhaitent d’avoir un soutien spirituel. Notons que toutes les religions sont représentées. En cas de traumatisme grave, nous pouvons faire appel à un psychologue. Notre souci actuel, ce sont les filles qui sont dans des familles d’accueil et qui n’y sont pas toujours respectées. D’où la nécessité de faire des visites sur place, ce qui représente un surcroît de travail et de dépenses, mais leur reconstruction personnelle en dépend. Elles ont déjà tellement souffert.
Quant à la jeune école de menuiserie de Kamituga (diocèse d’Uvira) elle a ouvert avec 40 jeunes apprentis. Ce surcroît d’élèves a demandé d’acheter du matériel supplémentaire (établis, outils, machine-outil) et la construction d’un auvent en plus du bâtiment scolaire qui vient d’être entièrement refait après la tempête de l’an dernier. Ceux parmi vous qui l’ont demandé recevront très prochainement le détail des dépenses. On peut toujours les obtenir en écrivant à Germes d’Espérance.
Les aides individuelles
Vous savez qu’à côté de ces deux projets je soutiens quelques familles en grande difficulté, souvent dont la mère avait été enlevée par des milices et a pu s’enfuir après quelques mois (ou années !) avec son enfant né des violences. Plusieurs deviennent de plus en plus autonomes, malgré un reste de grande fragilité.
Je voudrais évoquer ici quelques aides ponctuelles d’urgence que nous acceptons d’apporter à certaines personnes, après enquête en général2.
Il y a quelques mois 200 maisons ont brûlé dans le bidonville laissant de nombreuses familles au désespoir. Lucie, mère de famille, abandonnée par son mari avec plusieurs enfants, ce qui est courant ici, a perdu tout son commerce dans les flammes. Éplorée, elle ne pouvait plus payer l’école des enfants. Nous lui avons donné une somme pour redémarrer un petit commerce. Virginie est étudiante en 3é année de doctorat. Sa maman qui supportait ses études jusqu’à présent est décédée et elle n’a personne pour la soutenir. Elle ne peut payer tous les frais universitaires alors qu’il ne lui reste plus que deux années d’études. Elle a obtenu de pouvoir nettoyer son amphi tous les soirs ce qui lui donne environ 25 € par…mois. Devant son courage, nous avons décidé de la soutenir pour ses deux dernières années d’étude. Elle est tellement soulagée et reconnaissante. Elle a toujours eu d’excellents résultats. Anne a fait des études de couture offertes par nos structures. Une fois diplômée, elle était parvenue à se procurer quatre machines à coudre et enseignaient gratuitement à ses voisines. Une nuit, ils ont été attaqués et elle tout perdu, même sa propre machine. Nous lui en avons donné une pour recommencer… elle vient de m’offrir une jolie chemise pour Noël. Grâce à vous ! 
Belle année encore ! 
Bernard
1 Et Oh surprise on a proclamé les députés élus avant la fin du dépouillement de votes.
2 Les noms ont été modifiés pour des raisons de confidentialité



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