Chères
amies, chers amis,
C’est
avec du retard que je vous écris en ce début d’année, attendant
une clarification sur la situation de la RD Congo. Ce n’est pas
encore le cas, comme vous verrez
plus loin, mais je tiens à vous présenter aujourd’hui mes
meilleurs vœux pour l’année 2019.
En plus de la santé, qui est toujours un point important, je vous
souhaite une année où progressent la paix et la justice et
diminuent les violences. Cela nous concerne évidemment au premier
chef ici, mais avec l’épisode des « gilets jaunes » en
France, beaucoup parmi vous sont aussi touchés. Il apparaît qu’il
y a une profonde crise de notre système consumériste qui a fabriqué
beaucoup de frustrés qui revendiquent attention et respect. Comme
c’est le symptôme d’une crise morale (des valeurs) majeure au
niveau mondial, on ne pourra désormais se contenter de replâtrage
pour résoudre ces importants défis. Quelle humanité voulons-nous
pour aujourd’hui et demain ?
Quelques
nouvelles
Depuis
mon retour de Rome, j’ai donné diverses sessions, à Kinshasa et à
Bukavu, toutes liées au vivre ensemble et à la croissance
personnelle. Je les cite au passage : vivre l’interculturalité
au quotidien, l’impact de la mondialisation sur la vie chrétienne,
la transition du milieu de la vie, fragilité et addictions… Je
signale aussi un post important sur mon blog, pour la revue La Vie,
qui commente une déclaration de l’Union
Internationale des Supérieures Générales concernant les abus de
tous ordres sur les religieuses
par le clergé dans l’Église.
Je l’applique à l’Afrique où l’omerta est peut-être plus
répandue qu’ailleurs.
Actuellement,
je travaille à un livre sur notre fondateur, « Prier quinze
jours avec le Cardinal Lavigerie » (éditions Nouvelle Cité)
qui m’a été demandé par notre Conseil général à l’occasion
du jubilé de notre fondation. Je consacre tout mon temps à la
recherche des données et à la rédaction, avec l’aide de
confrères experts. Cela m’enrichit aussi personnellement.
Notre
Jubilé de 150 ans
a été inauguré le 8 décembre dans le monde entier, tant chez les
Missionnaires d’Afrique que chez les Sœurs Missionnaires de
Notre-Dame d’Afrique, notre branche féminine. Les Églises
locales y ont été associées et ce fut l’occasion de belles
célébrations souvent très populaires, où beaucoup de gens ont
exprimé leur reconnaissance pour la Bonne nouvelle apportée par nos
confrères et consœurs depuis le XIXe siècle. Le même jour, par un
clin d’œil de la Providence, on béatifiait
à Oran 19 martyrs d’Algérie dont 4 Missionnaires d’Afrique,
ce qui est une première pour nous. Je vous en ai parlé dans une
lettre précédente. Nous sommes dans l’action de grâce pour le
courage de tous ceux et celles – chrétiens et musulmans - qui ont
témoigné de leur foi jusqu’au don de leur vie. Notons qu’ils
sont beaucoup plus nombreux dans nos deux instituts à être morts
de mort violente, même si nous n’avons pas juger bon d’engager
des procédures de béatification.
Logo
du 150è anniversaire de notre Fondation par le Cardinal Lavigerie
|
Quelques
semaines auparavant, un autre événement a réjoui l’Afrique (et
pas seulement), c’est l’octroi du Prix
Nobel de la Paix au Dr Denis Mukwege
avec qui je suis en lien à Bukavu dans le travail d’accueil et de
réintégration des victimes de violences sexuelles. Comme je l’écris
également dans mon blog, après un moment de grande émotion, entre
autres à cause de son discours que je vous ai fait suivre et qui a
attiré les regards sur la tragédie de notre région, y aura-t-il la
moindre amélioration pour les victimes qui ne reçoivent aucune
réparation officielle de leurs préjudices presque in-chiffrables ?
La communauté internationale ne semble pas concernée pour le
moment.
Quant
aux élections en RD Congo,
vous en avez tous et toutes entendu parler et nombreux sont ceux et
celles qui m’ont envoyé des messages très chaleureux et
encourageants. Reportées trois fois en deux ans, elles ont fini par
avoir lieu le 30 décembre. Je n’entre pas dans tous les
dysfonctionnements
(dont certains étaient volontaires pour porter préjudice à
l’opposition) mais il faut reconnaître la détermination des
Congolais à voter pour une véritable alternance. Ce qui surprit la
majorité sortante, c’est à quel point elle était rejetée,
malgré des frais de campagne disproportionnés. Leur candidat n’a
récolté qu’environ 20 % des votes. On a craint un moment que la
majorité qui contrôle la commission électorale passe en force,
mais les pressions internationales et les risques d’émeutes
généralisées étaient trop élevés, semble-t-il. Elle a donc
choisi de proclamer vainqueur Felix
Tshisekedi, moyennant
des « délibérations des résultats »
dont
beaucoup de gens se disent inquiets. Les observateurs neutres, comme
l’Église
catholique, considéraient Fayulu comme largement gagnant1.
La plupart des observateurs internationaux avaient été interdits et
l’internet coupé depuis le jour du vote, ainsi des radios
d’opposition ou étrangères, toujours pas rétablies à ce jour.
Beaucoup de Congolais de mon entourage disent avoir l’impression
que les élections leur ont été volées et que l’alternance
espérée n’aura pas lieu. Il y a beaucoup d’amertume et de
découragement parmi ceux qui y croyaient encore, la grande masse de
la population étant quasi-totalement absorbée par le souci d’avoir
à manger le soir. Attendons cependant de voir ce que l’avenir nous
réserve. Pour ma part, en tant qu’expatrié, je ne rentre pas dans
les détails ici dans la cadre de cette circulaire, je me limite à
me faire l’écho de ce que dit mon entourage. C’est assez
pénible.
A
propos de nos projets que vous soutenez avec une grande fidélité.
Oui,
j’y reviens régulièrement, mais c’est vrai que votre fidélité
nous touche et nous est précieuse alors que vous recevez tant de
sollicitations autour de vous. Il est vrai que l’entièreté des
sommes que je reçois va directement aux projets et aux personnes,
sans aucune ponction. Je prends moi-même en charge presque tous les
frais logistiques.
Quant
au Centre
Nyota,
la rentrée s’est bien passée et nous accueillons actuellement 270
jeunes filles marginalisées ou victimes de diverses formes de
violences. Le corps professoral reste très engagé, même si je ne
puis lui procurer le salaire qu’il mériterait. Nous allons encore
ajouter une augmentation pour 2019. Une religieuse vient une fois par
semaine pour permettre aux jeunes qui le souhaitent d’avoir un
soutien spirituel. Notons que toutes les religions sont représentées.
En cas de traumatisme grave, nous pouvons faire appel à un
psychologue. Notre souci actuel, ce sont les filles qui sont dans des
familles d’accueil et qui n’y sont pas toujours respectées. D’où
la nécessité de faire des visites sur place, ce qui représente un
surcroît de travail et de dépenses, mais leur reconstruction
personnelle en dépend. Elles ont déjà tellement souffert.
Quant
à la jeune école de menuiserie de Kamituga
(diocèse d’Uvira) elle a ouvert avec 40 jeunes apprentis. Ce
surcroît d’élèves a demandé d’acheter du matériel
supplémentaire (établis, outils, machine-outil) et la construction
d’un auvent en plus du bâtiment scolaire qui vient d’être
entièrement refait après la tempête de l’an dernier. Ceux parmi
vous qui l’ont demandé recevront très prochainement le détail
des dépenses. On peut toujours les obtenir en écrivant à Germes
d’Espérance.
Les
aides individuelles
Vous
savez qu’à côté de ces deux projets je soutiens quelques
familles en grande difficulté, souvent dont la mère avait été
enlevée par des milices et a pu s’enfuir après quelques mois (ou
années !) avec son enfant né des violences. Plusieurs
deviennent de plus en plus autonomes, malgré un reste de grande
fragilité.
Je
voudrais évoquer ici quelques
aides ponctuelles d’urgence que nous acceptons d’apporter à
certaines personnes, après enquête en général2.
Il
y a quelques mois 200 maisons ont brûlé dans le bidonville laissant
de nombreuses familles au désespoir.
Lucie,
mère de famille, abandonnée par son mari avec plusieurs enfants, ce
qui est courant ici, a perdu tout son commerce dans les flammes.
Éplorée,
elle ne pouvait plus payer l’école des enfants. Nous lui avons
donné une somme pour redémarrer un petit commerce. Virginie
est étudiante en 3é année de doctorat. Sa maman qui supportait ses
études jusqu’à présent est décédée et elle n’a personne
pour la soutenir. Elle ne peut payer tous les frais universitaires
alors qu’il ne lui reste plus que deux années d’études. Elle a
obtenu de pouvoir nettoyer son amphi tous les soirs ce qui lui donne
environ 25 € par…mois. Devant son courage, nous avons décidé de
la soutenir pour ses deux dernières années d’étude. Elle est
tellement soulagée et reconnaissante. Elle a toujours eu
d’excellents résultats. Anne
a fait des études de couture offertes par nos structures. Une fois
diplômée, elle était parvenue à se procurer quatre machines à
coudre et enseignaient gratuitement à ses voisines. Une nuit, ils
ont été attaqués et elle tout perdu, même sa propre machine. Nous
lui en avons donné une pour recommencer… elle vient de m’offrir
une jolie chemise pour Noël. Grâce à vous !
Belle année encore !
Bernard
Belle année encore !
Bernard
1
Et Oh surprise on a proclamé les députés élus avant la fin du
dépouillement de votes.
2
Les noms ont été modifiés
pour des raisons de confidentialité