mardi 26 juin 2018

Les enfants soldats, volontaires pour la boucherie ?


Les enfants soldats, volontaires pour la boucherie ?
Pour quelles raisons des jeunes Congolais s’enrôlent-t-ils dans des groupes armés ?
Une récente enquête menée par les association caritatives War Child UK and War Child Hollande présente les résultats d’une recherche menée au Nord et au Sud Kivu (RDC) concernant les « enfants soldats »1. Le fait le plus saillant de cette étude est que ces enfants – plutôt des adolescents de 14-15 ans - sont de plus en plus nombreux à s’enrôler volontairement dans des groupes armés. Ceci contraste avec le discours le plus répandu par la littérature et les politiques les concernant qui les présentent habituellement comme recrutés de force, ce qui est de moins en moins le cas. Comment se fait-il qu’ils soient volontaires ? Pour quelles raisons ? Est-ce réellement un choix libre ?
Cette décision peut apparaître comme une façon pour ces garçons et ces filles d’entrer dans l’âge adulte et de trouver une raison de vivre. Ce n'est pas une intention explicite, mais plutôt ce qui ressort des témoignages au cours de cette recherche. Mais il y a d’autres causes à considérer.
On en parle moins, mais il faut tenir compte du nombre de filles qui font aussi partie des groupes armés. Les filles et les garçons interagissent différemment avec ces groupes et la perception des communautés à propos de leur implication est donc différente. Seuls les enfants qui sont des combattants et qui portent des armes sont considérés comme ayant rejoint un groupe armé. Cette catégorisation s'applique très largement aux garçons âgés de 14 à 17 ans. Les filles jouent des rôles différents et ont une plus grande mobilité pour aller et venir entre les communautés et les groupes armés.
Pourtant les conditions de vie dans ces groupes sont plus que précaires. La vie dans un groupe armé est indéniablement difficile pour les garçons : ils souffrent d’épreuves physiques, se voient refuser le sommeil et, dans certains cas, manquent de nourriture, d'abri et d'hygiène appropriée. Les garçons de tous les âges dorment en plein air, sont vulnérables aux éléments naturels et ont peu d'accès à la médecine quand ils tombent malades. Le niveau de violence à leur égard est élevé, tout comme la violence qu'ils commettent envers autrui, y compris les massacres et les coups brutaux.
D’après le rapport, en ce qui concerne les tâches des garçons, il existe des distinctions claires entre les rôles que les jeunes garçons (ceux qui sont âgés de 13 ans) et les garçons plus âgés (âgés de 15 ans et plus) exercent dans les groupes armés. La distinction entre les garçons plus jeunes et plus âgés est faite en fonction de la constitution physique et de leur force plutôt que leur âge. Tous sont destinés à travailler dur. Les plus jeunes servent de gardes du corps, d'espions et de porteurs d’objets protecteurs (« gris-gris »). Ils transportent des munitions quand le groupe est en mouvement et sont impliqués dans la préparation de la nourriture et le soin des enfants plus petits (nés dans le groupe). Les garçons plus âgés deviennent soldats et sont formés au maniement des armes, après quoi ils peuvent être envoyés pour voler, piller et tuer.
Les filles sont rarement des combattantes. Elles sont habituellement liées à des groupes armés en tant que «femmes» d’un chef ou partenaires sexuels pour le groupe. Elles sont chargées des tâches ménagères, telles que la cuisine, le nettoyage et aussi le soin des petits enfants. Elles peuvent être utilisées comme espionnes et éclaireuses, ce qui est possible parce que la plupart d'entre elles demeurent dans leur communauté et vont et viennent librement et sont peu susceptibles d'éveiller les soupçons.


Quelles sont leur motivations à s’engager dans un groupe armé malgré ces conditions difficiles ?
La recherche a révélé qu'il n'y a pas qu’une raison pour se joindre à ces groupes. Leur participation est motivée par de multiples facteurs qui s’entrecroisent, poussant et attirant les enfants vers des groupes armés dans des situations et des circonstances différentes.
Les résultats montrent les principaux facteurs qui les poussent à se décider:
La pauvreté des ménages apparaît comme la cause principale. La pauvreté et ses conséquences ont été le plus souvent citées. Dans de nombreux cas, la pauvreté est telle que les parents ne sont tout simplement pas en mesure de répondre aux besoins les plus élémentaires de leurs enfants.
La faim est aussi une motivation prépondérante. Le manque de nourriture à la maison a été citée par les enfants interrogés dans tous les sites d’enquête (des camps de réinsertion d’anciens combattants) comme une préoccupation majeure. Les enfants ont régulièrement faim. La promesse de nourriture fournie directement par le groupe armé ou, lorsqu'elle n'est pas disponible, qui peut être obtenue par le vol, le pillage et l'imposition de taxes aux communautés est une grande incitation.
Le manque d’opportunité dans les communautés est la troisième raison la plus citée, conjuguée à un manque de perspectives d'avenir. Les enfants n'ont pas la possibilité de répondre à leurs besoins élémentaires ou d'accéder à l'éducation scolaire ou à la formation professionnelle. Un enfant inactif est particulièrement susceptible de se joindre à un groupe armé, qui est souvent considéré par celui-ci comme la seule option viable pour sa survie et pour gagner sa vie.
La vengeance est un facteur majeur pour les garçons, en particulier pour ceux qui cherchent à venger le meurtre d'un parent ou d'un membre de la famille ou le pillage ou le vol de leur terre. En rejoignant un groupe armé, un garçon dans ces circonstances espère apprendre à se battre et à utiliser une arme, pour finalement se venger de la personne qui l'a lésé.
Le pillage constant pratiqué par les groupes armés conduit souvent les enfants à se résigner à la réalité que rien ne va changer. Dans ces circonstances, ils ne voient pas d’autre issue que d'apprendre à se battre et d'être armés et ensuite de se venger de la personne qui leur a fait du tort.
Le tribalisme est un autre facteur important pour les garçons de Lumbishi et de Kitchanga, où les conflits interethniques entre les communautés sont endémiques. Dans ces régions, l'insécurité est élevée. Le tribalisme perpétue un cycle de violences où les tribus se battent pour protéger et venger leurs membres.
Una cause fréquente est la quête de refuge dans un groupe armé pour échapper à un délit dans leur communauté, tel qu’avoir commis un crime ou de rendre une fille enceinte. Craignant des rétorsions de la part de leur communauté ou de la police, les enfants se réfugient dans un groupe armé.
Bien que cités moins fréquemment, les mauvais traitements à la maison et dans leur communauté. A la maison, cela peut se manifester par la violence physique, mais plus souvent il s’agit d’abus émotionnel et verbal. Les garçons, en particulier, ont expliqué qu'ils avaient quitté la maison parce qu'ils ne pouvaient supporter que leurs parents les humilient et les insultent.
Les garçons plus jeunes et plus âgés de tous les sites d’enquêtes ont signalé des niveaux élevés de harcèlement et d'intimidation de la part de la police ou des soldats des forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC). Ils ont expliqué que les soldats des FARDC ordonnent aux enfants de faire des courses, les harcèlent pour de l'argent aux points de contrôle. Un enfant qui n'est pas obéissant peut être sévèrement battu. Les enfants interrogés ont également indiqué que les soldats des FARDC les intimidaient, les accusant d'être des rebelles.
La recherche montre que les facteurs qui attirent les garçons comprennent :
La plupart du temps, la possibilité de vivre un peu mieux au jour le jour concernant les besoins fondamentaux, spécialement la nourriture. Une des tâches principales pour les garçons dans les groupes armés est de voler et piller, ce qui est souvent considéré par eux comme positif parce qu'ils gagnent du respect et deviennent capables de trouver de la nourriture et de l'argent, ce qui leur manquait à la maison.
Il y a le désir des garçons de protéger et de défendre leurs terres, leur famille et leur communauté contre les attaques d'étrangers et d'autres groupes ethniques qui menacent la paix et volent des terres et des biens. Dans ce cas, les enfants s’enrôlent moins à cause de la promesse d'une vie meilleure que parce qu'ils peuvent se battre pour défendre une cause et garder la menace à distance.
En adhérant aux groupes armés, les garçons bénéficient d'un certain degré de protection contre une infraction commise dans leur groupe social. Dans ce cas, le groupe armé leur permet de facilement se cacher sans devoir rendre compte.
Les garçons cherchent un groupe armé comme protection contre le harcèlement et l'humiliation qu'ils éprouvent dans leur communauté. L'appartenance à la milice donne ainsi l'occasion de retrouver un sentiment de dignité qui a été perdu dans les situations qu'ils considèrent dégradantes.
Ils sont également attirés par le respect que les membres de la communauté manifestent envers les membres des groupes armés. Le respect vient principalement d'avoir une arme et est donc lié à la peur. Mais c'est ce qui garantit la satisfaction des principales motivations qui ont poussé au départ un enfant vers un le groupe armé, y compris le vol pour manger, la protection de sa famille et de terre et de venger la personne qui les a lésés.
Lorsque les enquêtés de tous les sites de recherche se référaient à des filles rejoignant des groupes armés, c'était toujours par rapport à la recherche d’une vie meilleure. Elles ont été décrites comme cherchant activement à avoir des relations sexuelles ou à «marier» des soldats rebelles en raison des avantages qu'elles reçoivent en échange. Soit elles rejoignent des groupes armés pour échanger du sexe contre de l'argent ou de la nourriture, soit elles visent une solution plus durable et plus stable en trouvant un « mari» qui les pourvoira plus adéquatement que les garçons de la communauté. Dans ce cas, la relation semble être consentie.
Dans l'ensemble, la recherche a révélé que les filles sont attirées plutôt que poussées vers les groupes armés par la promesse de meilleures possibilités pour répondre à leurs besoins ; les garçons sont poussés et attirés. Les résultats montrent qu'il y a plus de facteurs incitatifs pour les garçons que pour les filles.
Le contexte actuel qui augmente la pauvreté, le manque d'emplois et d'éducation, la faim omniprésente sont des problèmes qui touchent de nombreuses régions de la RDC. Cependant, la recherche a révélé que ce qui exacerbe le problème et rend un enfant plus susceptible de rejoindre un groupe armé par rapport à un autre est souvent l'absence d'un milieu familial stable et, plus particulièrement, de personnalités parentales. Dans tous les sites, le fait d’être orphelin est apparu comme une caractéristique rend les enfants très vulnérables à l'adhésion à un groupe armé parce qu'ils n'ont pas de famille pour s'occuper d’eux et les guider. De même, les enfants qui vivent dans les rues étaient également considérés comme très vulnérables.
La façon dont les enfants sont associés à un groupe armé est une raison supplémentaire pour laquelle la présence d'enfants dans les groupes armés est si prolifique. Ce qui s’ajoute aux facteurs incitatifs et attractifs, c’est la facilité relative d'adhésion. L'un des résultats les plus frappants de l’enquête était la proximité géographique entre les groupes armés et les villages. Un enfant qui veut rejoindre un groupe armé peut le faire facilement. Les enfants sont en contact régulier avec des soldats rebelles qui viennent et vont dans les villages pour rencontrer leurs femmes. Ils se familiarisent les uns avec les autres dans la mesure où certains garçons et filles acquièrent les numéros de téléphone des miliciens et restent en contact avec eux. En effet, ces soldats sont souvent des membres de la famille des enfants ou des amis. Un enfant qui exprime de l’intérêt à se joindre à un groupe armé saura avec qui parler.
A propos des personnes qui influencent la décision d'un enfant de se joindre à un groupe armé, la plus grande influence est exercée par des amis et d'autres enfants qui sont dans des groupes armés. Cela vaut pour les filles et les garçons. Les amis convainquent ceux qui ne sont pas engagés que l'adhésion leur donnera accès à ce qu'ils veulent, y compris une nourriture décente et la capacité de s’enrichir. Les attentes pour rejoindre un groupe armé sont donc élevées, ce qui devient une autre force de motivation.
Les parents, d'autre part, découragent activement leurs enfants, garçons et filles, de se joindre à un groupe armé en leur parlant des risques associés et en fournissant des conseils. Il ressort clairement des données que les parents savent quels sont les risques liés à l'adhésion de leurs enfants. Dans chaque site où des données ont été collectées, les mères et les pères ont souligné les conditions profondément difficiles au sein des milices et ils ont rejeté l'idée que leur enfant soit mis dans ces situations. Si des parents encouragent un enfant à adhérer, c’est en vue de la protection de la famille et de la communauté dans les zones où les conflits tribaux sont élevés.
À Kitchanga, des répondants adultes de sexe masculin ont indiqué que les groupes armés ciblaient les enfants dans la communauté et dans les écoles, les encourageant à les rejoindre avec la promesse d'une vie meilleure. Dans le même site, les répondants adultes, hommes et femmes, ont parlé de l'influence énorme, directe et indirecte, que les autorités politiques au niveau national ont sur la participation des enfants dans les groupes armés. Ils ont indiqué que les groupes armés sont financés et soutenus par les autorités politiques qui les manipulent sur la base de rivalités ethniques. Des groupes de femmes à Kitchanga ont expliqué que les autorités politiques distribuent largement les armes et encouragent activement les garçons de leur circonscription à se joindre à une milice pour protéger et défendre leur communauté et leur tribu.
Ceci démontre clairement que c’est bien la situation dramatique de pauvreté et l’absence totale d’avenir, associée aux manipulations des hommes politiques qui poussent les enfants à joindre « librement » des groupes armés. S’agit-il d’un choix libre ou plutôt de la conséquence d’un conditionnement provoqué par des structures d’injustice, d’abus et d’exploitation du peuple qui les poussent à « prendre cette décision »… pour survivre ! Et cela dure depuis plus de vint ans.
Bernard Ugeux
8 mai 2018
1 Tug-Of-War_Children_in_Armed_Groups_in_DRC.pdf Extraits traduits, adaptés et résumés par BU.

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