Les
enfants soldats, volontaires pour la boucherie ?
Pour
quelles raisons des jeunes Congolais s’enrôlent-t-ils dans des
groupes armés ?
Une récente
enquête menée par les association caritatives War Child UK and War
Child Hollande présente les résultats d’une recherche menée au
Nord et au Sud Kivu (RDC) concernant les « enfants soldats »1.
Le fait le plus saillant de cette étude est que ces enfants –
plutôt des adolescents de 14-15 ans - sont de plus en plus
nombreux à s’enrôler volontairement dans des groupes armés.
Ceci contraste avec le discours le plus répandu par la littérature
et les politiques les concernant qui les présentent habituellement
comme recrutés de force, ce qui est de moins en moins le cas.
Comment se fait-il qu’ils soient volontaires ? Pour quelles
raisons ? Est-ce réellement un choix libre ?
Cette décision
peut apparaître comme une façon pour ces garçons et ces filles
d’entrer dans l’âge adulte et de trouver une raison de vivre. Ce
n'est pas une intention explicite, mais plutôt ce qui ressort des
témoignages au cours de cette recherche. Mais il y a d’autres
causes à considérer.
On en parle
moins, mais il faut tenir compte du nombre de filles qui font
aussi partie des groupes armés. Les filles et les garçons
interagissent différemment avec ces groupes et la perception des
communautés à propos de leur implication est donc différente.
Seuls les enfants qui sont des combattants et qui portent des armes
sont considérés comme ayant rejoint un groupe armé. Cette
catégorisation s'applique très largement aux garçons âgés de 14
à 17 ans. Les filles jouent des rôles différents et ont une plus
grande mobilité pour aller et venir entre les communautés et les
groupes armés.
Pourtant les
conditions de vie dans ces groupes sont plus que précaires. La
vie dans un groupe armé est indéniablement difficile pour les
garçons : ils souffrent d’épreuves physiques, se voient refuser
le sommeil et, dans certains cas, manquent de nourriture, d'abri et
d'hygiène appropriée. Les garçons de tous les âges dorment en
plein air, sont vulnérables aux éléments naturels et ont peu
d'accès à la médecine quand ils tombent malades. Le niveau de
violence à leur égard est élevé, tout comme la violence qu'ils
commettent envers autrui, y compris les massacres et les coups
brutaux.
D’après le
rapport, en ce qui concerne les tâches des garçons, il
existe des distinctions claires entre les rôles que les jeunes
garçons (ceux qui sont âgés de 13 ans) et les garçons plus âgés
(âgés de 15 ans et plus) exercent dans les groupes armés. La
distinction entre les garçons plus jeunes et plus âgés est faite
en fonction de la constitution physique et de leur force plutôt que
leur âge. Tous sont destinés à travailler dur. Les plus jeunes
servent de gardes du corps, d'espions et de porteurs d’objets
protecteurs (« gris-gris »). Ils transportent des
munitions quand le groupe est en mouvement et sont impliqués dans la
préparation de la nourriture et le soin des enfants plus petits (nés
dans le groupe). Les garçons plus âgés deviennent soldats et sont
formés au maniement des armes, après quoi ils peuvent être envoyés
pour voler, piller et tuer.
Les filles
sont rarement des combattantes. Elles sont habituellement liées
à des groupes armés en tant que «femmes» d’un chef ou
partenaires sexuels pour le groupe. Elles sont chargées des tâches
ménagères, telles que la cuisine, le nettoyage et aussi le soin des
petits enfants. Elles peuvent être utilisées comme espionnes et
éclaireuses, ce qui est possible parce que la plupart d'entre elles
demeurent dans leur communauté et vont et viennent librement et sont
peu susceptibles d'éveiller les soupçons.
Quelles sont
leur motivations à s’engager dans un groupe armé malgré ces
conditions difficiles ?
La recherche a
révélé qu'il n'y a pas qu’une raison pour se joindre à ces
groupes. Leur participation est motivée par de multiples facteurs
qui s’entrecroisent, poussant et attirant les enfants
vers des groupes armés dans des situations et des circonstances
différentes.
Les résultats
montrent les principaux facteurs qui les poussent à se
décider:
La pauvreté
des ménages apparaît comme la cause principale. La pauvreté et
ses conséquences ont été le plus souvent citées. Dans de nombreux
cas, la pauvreté est telle que les parents ne sont tout simplement
pas en mesure de répondre aux besoins les plus élémentaires de
leurs enfants.
La faim
est aussi une motivation prépondérante. Le manque de nourriture à
la maison a été citée par les enfants interrogés dans tous les
sites d’enquête (des camps de réinsertion d’anciens
combattants) comme une préoccupation majeure. Les enfants ont
régulièrement faim. La promesse de nourriture fournie directement
par le groupe armé ou, lorsqu'elle n'est pas disponible, qui peut
être obtenue par le vol, le pillage et l'imposition de taxes aux
communautés est une grande incitation.
Le manque
d’opportunité dans les communautés est la troisième raison
la plus citée, conjuguée à un manque de perspectives d'avenir. Les
enfants n'ont pas la possibilité de répondre à leurs besoins
élémentaires ou d'accéder à l'éducation scolaire ou à la
formation professionnelle. Un enfant inactif est particulièrement
susceptible de se joindre à un groupe armé, qui est souvent
considéré par celui-ci comme la seule option viable pour sa survie
et pour gagner sa vie.
La vengeance
est un facteur majeur pour les garçons, en particulier pour ceux qui
cherchent à venger le meurtre d'un parent ou d'un membre de la
famille ou le pillage ou le vol de leur terre. En rejoignant un
groupe armé, un garçon dans ces circonstances espère apprendre à
se battre et à utiliser une arme, pour finalement se venger de la
personne qui l'a lésé.
Le pillage
constant pratiqué par les groupes armés conduit souvent les enfants
à se résigner à la réalité que rien ne va changer. Dans
ces circonstances, ils ne voient pas d’autre issue que d'apprendre
à se battre et d'être armés et ensuite de se venger de la personne
qui leur a fait du tort.
Le tribalisme
est un autre facteur important pour les garçons de Lumbishi et de
Kitchanga, où les conflits interethniques entre les communautés
sont endémiques. Dans ces régions, l'insécurité est élevée. Le
tribalisme perpétue un cycle de violences où les tribus se battent
pour protéger et venger leurs membres.
Una cause
fréquente est la quête de refuge dans un groupe armé pour
échapper à un délit dans leur communauté, tel qu’avoir commis
un crime ou de rendre une fille enceinte. Craignant des rétorsions
de la part de leur communauté ou de la police, les enfants se
réfugient dans un groupe armé.
Bien que cités
moins fréquemment, les mauvais traitements à la maison et
dans leur communauté. A la maison, cela peut se manifester par la
violence physique, mais plus souvent il s’agit d’abus émotionnel
et verbal. Les garçons, en particulier, ont expliqué qu'ils avaient
quitté la maison parce qu'ils ne pouvaient supporter que leurs
parents les humilient et les insultent.
Les garçons plus
jeunes et plus âgés de tous les sites d’enquêtes ont signalé
des niveaux élevés de harcèlement et d'intimidation de la part
de la police ou des soldats des forces armées de la
République Démocratique du Congo (FARDC). Ils ont expliqué que les
soldats des FARDC ordonnent aux enfants de faire des courses, les
harcèlent pour de l'argent aux points de contrôle. Un enfant qui
n'est pas obéissant peut être sévèrement battu. Les enfants
interrogés ont également indiqué que les soldats des FARDC les
intimidaient, les accusant d'être des rebelles.
La recherche
montre que les facteurs qui attirent les garçons
comprennent :
La plupart du
temps, la possibilité de vivre un peu mieux au jour le jour
concernant les besoins fondamentaux, spécialement la nourriture.
Une des tâches principales pour les garçons dans les groupes armés
est de voler et piller, ce qui est souvent considéré par eux comme
positif parce qu'ils gagnent du respect et deviennent capables de
trouver de la nourriture et de l'argent, ce qui leur manquait à la
maison.
Il y a le désir
des garçons de protéger et de défendre leurs terres, leur
famille et leur communauté contre les attaques d'étrangers et
d'autres groupes ethniques qui menacent la paix et volent des terres
et des biens. Dans ce cas, les enfants s’enrôlent moins à cause
de la promesse d'une vie meilleure que parce qu'ils peuvent se battre
pour défendre une cause et garder la menace à distance.
En adhérant aux
groupes armés, les garçons bénéficient d'un certain degré de
protection contre une infraction commise dans leur groupe social.
Dans ce cas, le groupe armé leur permet de facilement se cacher sans
devoir rendre compte.
Les garçons
cherchent un groupe armé comme protection contre le harcèlement
et l'humiliation qu'ils éprouvent dans leur communauté.
L'appartenance à la milice donne ainsi l'occasion de retrouver un
sentiment de dignité qui a été perdu dans les situations qu'ils
considèrent dégradantes.
Ils sont
également attirés par le respect que les membres de la
communauté manifestent envers les membres des groupes armés. Le
respect vient principalement d'avoir une arme et est donc lié à la
peur. Mais c'est ce qui garantit la satisfaction des principales
motivations qui ont poussé au départ un enfant vers un le groupe
armé, y compris le vol pour manger, la protection de sa famille et
de terre et de venger la personne qui les a lésés.
Lorsque les
enquêtés de tous les sites de recherche se référaient à des
filles rejoignant des groupes armés, c'était toujours par
rapport à la recherche d’une vie meilleure. Elles ont été
décrites comme cherchant activement à avoir des relations sexuelles
ou à «marier» des soldats rebelles en raison des avantages
qu'elles reçoivent en échange. Soit elles rejoignent des groupes
armés pour échanger du sexe contre de l'argent ou de la nourriture,
soit elles visent une solution plus durable et plus stable en
trouvant un « mari» qui les pourvoira plus adéquatement que les
garçons de la communauté. Dans ce cas, la relation semble être
consentie.
Dans l'ensemble,
la recherche a révélé que les filles sont attirées plutôt que
poussées vers les groupes armés par la promesse de meilleures
possibilités pour répondre à leurs besoins ; les garçons sont
poussés et attirés. Les résultats montrent qu'il y a plus
de facteurs incitatifs pour les garçons que pour les filles.
Le contexte
actuel qui augmente la pauvreté, le manque d'emplois et d'éducation,
la faim omniprésente sont des problèmes qui touchent de nombreuses
régions de la RDC. Cependant, la recherche a révélé que ce qui
exacerbe le problème et rend un enfant plus susceptible de rejoindre
un groupe armé par rapport à un autre est souvent l'absence d'un
milieu familial stable et, plus particulièrement, de personnalités
parentales. Dans tous les sites, le fait d’être orphelin est
apparu comme une caractéristique rend les enfants très vulnérables
à l'adhésion à un groupe armé parce qu'ils n'ont pas de famille
pour s'occuper d’eux et les guider. De même, les enfants qui
vivent dans les rues étaient également considérés comme
très vulnérables.
La façon dont
les enfants sont associés à un groupe armé est une raison
supplémentaire pour laquelle la présence d'enfants dans les groupes
armés est si prolifique. Ce qui s’ajoute aux facteurs incitatifs
et attractifs, c’est la facilité relative d'adhésion. L'un
des résultats les plus frappants de l’enquête était la proximité
géographique entre les groupes armés et les villages. Un enfant qui
veut rejoindre un groupe armé peut le faire facilement. Les enfants
sont en contact régulier avec des soldats rebelles qui viennent et
vont dans les villages pour rencontrer leurs femmes. Ils se
familiarisent les uns avec les autres dans la mesure où certains
garçons et filles acquièrent les numéros de téléphone des
miliciens et restent en contact avec eux. En effet, ces soldats sont
souvent des membres de la famille des enfants ou des amis. Un enfant
qui exprime de l’intérêt à se joindre à un groupe armé saura
avec qui parler.
A propos des
personnes qui influencent la décision d'un enfant de se
joindre à un groupe armé, la plus grande influence est exercée par
des amis et d'autres enfants qui sont dans des groupes armés. Cela
vaut pour les filles et les garçons. Les amis convainquent ceux qui
ne sont pas engagés que l'adhésion leur donnera accès à ce qu'ils
veulent, y compris une nourriture décente et la capacité de
s’enrichir. Les attentes pour rejoindre un groupe armé sont donc
élevées, ce qui devient une autre force de motivation.
Les parents,
d'autre part, découragent activement leurs enfants, garçons et
filles, de se joindre à un groupe armé en leur parlant des risques
associés et en fournissant des conseils. Il ressort clairement des
données que les parents savent quels sont les risques liés à
l'adhésion de leurs enfants. Dans chaque site où des données ont
été collectées, les mères et les pères ont souligné les
conditions profondément difficiles au sein des milices et ils ont
rejeté l'idée que leur enfant soit mis dans ces situations. Si des
parents encouragent un enfant à adhérer, c’est en vue de la
protection de la famille et de la communauté dans les zones où les
conflits tribaux sont élevés.
À Kitchanga, des
répondants adultes de sexe masculin ont indiqué que les groupes
armés ciblaient les enfants dans la communauté et dans les écoles,
les encourageant à les rejoindre avec la promesse d'une vie
meilleure. Dans le même site, les répondants adultes, hommes et
femmes, ont parlé de l'influence énorme, directe et indirecte, que
les autorités politiques au niveau national ont sur la participation
des enfants dans les groupes armés. Ils ont indiqué que les
groupes armés sont financés et soutenus par les autorités
politiques qui les manipulent sur la base de rivalités ethniques.
Des groupes de femmes à Kitchanga ont expliqué que les autorités
politiques distribuent largement les armes et encouragent activement
les garçons de leur circonscription à se joindre à une milice pour
protéger et défendre leur communauté et leur tribu.
Ceci démontre clairement que c’est bien la situation dramatique de
pauvreté et l’absence totale d’avenir, associée aux
manipulations des hommes politiques qui poussent les enfants à
joindre « librement » des groupes armés. S’agit-il
d’un choix libre ou plutôt de la conséquence d’un
conditionnement provoqué par des structures d’injustice, d’abus
et d’exploitation du peuple qui les poussent à « prendre
cette décision »… pour survivre ! Et cela dure depuis
plus de vint ans.
Bernard
Ugeux
8
mai 2018
1
Tug-Of-War_Children_in_Armed_Groups_in_DRC.pdf Extraits traduits,
adaptés et résumés par BU.