« Plus
marginalisé, tu meurs ! » Les Batwas au Burundi
Les Batwas, longtemps
marginalisés, se mettent debout grâce entre
autres à « Action Batwa ».
Les Batwas du Burundi
peuvent être comparés aux pygmées d’autres pays d’Afrique, bien qu’ils n’en
aient pas le type physique. C’est un groupe très minoritaire parmi la
population du Burundi (composée surtout de Hutus et de Tutsis). C’est le peuple
autochtone de cette région des Grands Lacs qui étaient alors couverte de
forêts. Chasseurs nomades, ils vivaient de la cueillette, des produits de la
nature, pratiquaient un habitat et un artisanat rudimentaires (tissage et
poterie). A l’arrivée des autres populations, ils se sont enfoncés dans la
forêt, se marginalisant et rendant quelques services aux envahisseurs
sédentaires. Ni la colonisation ni l’Eglise ne les ont touchés au début de la
période coloniale, les institutions s’intéressant en priorité aux groupes les
plus accessibles et les plus nombreux. Les Batwas étaient plutôt un objet
d’étude ethnographique qu’une cible pour le « développement ». Au fur
et à mesure du recul de la forêt à cause de l’extension de l’agriculture et de
l’élevage, les Batwas se sont retrouvés sans terre. Aujourd’hui, ils ne représentent
qu’un pour cent de la population du pays, ce qui n’en fait pas une priorité
pour les politiciens ou les stratèges ! Mais ce sont des êtres humains !
et un peuple très accueillant, comme j’ai pu le constater en les visitant du
côté de Bubanza (voir photo). Ils forment des petits villages sédentaires sans terres
et ont perdu leurs activités traditionnelles. Pratiquant l’endogamie, ils
vivent dans une grande promiscuité.
D’une extrême
pauvreté, la plupart d’entre eux n’avaient pas d’état civil jusqu’il y a peu,
et n’avaient donc pas accès aux soins de santé. Les enfants étaient
rarement scolarisés, le taux de mortalité infantile reste très élevé, entre
autres à cause de la pauvreté de l’habitat et du manque d’hygiène et de soins.
Ce sont les plus pauvres et les plus marginalisés du Burundi. Même les
paroisses n’arrivent pas à se pencher sur leur sort, submergées par une importante
population pratiquante qu’elles arrivent à peine à gérer.
Il a actuellement de belles lueurs
d’espoir grâce à diverses initiatives de reconnaissance et de promotion de
cette population. Parmi celles-ci, une
des premières fut l’« Action Batwa » commencée par les Missionnaires
d’Afrique en 1999. Parmi les animateurs, le Père ougandais Elias s’est intéressé
à leur sort et leur a consacré son mémoire de maîtrise. Il a fallu commencer
par l’apprivoisement, les visites amicales, l’écoute, le temps consacré à la
présence pour créer la confiance et découvrir les problèmes de cette population
si attachante. Petit à petit, l’« Action Batwa » a acheté des terres
pour pouvoir leur garantir une sécurité de l’habitat et sur le plan
alimentaire. Plus de 120 villages sont déjà concernés par cette action. Environ
1800 maisons ont été construites avec leur participation, des enfants envoyés à
l’école (3000 dans le primaire et 200 dans le secondaire, quelques-uns déjà à
l’université), un état-civil établi pour faciliter l’accès aux aides du
gouvernement et l’enregistrement des mariages. Des micro-crédits sont alloués
qui leur permettent de commencer de petits élevages (porcs, chèvres) et des
cultures avec des semences sélectionnées.
On leur donne également une
formation sur leurs droits fondamentaux et sur la participation à la société
civile. Petit à petit, ils deviennent conscients de leur dignité et osent
prendre part à la vie communale (par exemple comme conseillers). Sur le plan politique, la représentation des
Batwas reste symbolique et ce n'est que récemment qu'un petit nombre d'entre
eux a fait une timide entrée dans certaines institutions étatiques par
cooptation, comme au Sénat et à l'Assemblée nationale. Cela n’efface par la
situation de marginalisation qu’ils subissent au quotidien, mais toutes ces
petites avancées sont comme une aurore qui se lève. Les Batwas ont créé leur
propre association, ils pratiquent le crédit-épargne entre eux. Ils ont
commencé à s’organiser entre eux, ce qui est un des objectifs d’« Action
Batwa ». Les missionnaires d’Afrique ont soutenu le projet de diverses
façons, tout en restant discrets sur le plan de l’évangélisation. Le projet est
reconnu « association sans but lucratif » par l’Etat et l’objectif n’est
pas de convertir les gens. Cependant, la disponibilité des missionnaires pour
ces exclus, leur présence discrète mais fidèle, éveillent des attentes sur le
plan de la foi. Certains se sont inscrits pour le catéchuménat. Mais les
animateurs de ce projet se refusent à en faire un moyen pour attirer des gens
vers une Eglise plutôt qu’une autre.
Le plus difficile, pour des populations longtemps opprimées, est de
faire évoluer une mentalité de dominés et de dépasser leur sentiment
d’infériorité. C’est une œuvre de longue haleine qui prendra plusieurs
générations. Elle demande aussi un
changement de mentalité de la part des autres groupes ethniques, des
fonctionnaires de l’Etat, des bailleurs de fonds qui posent déjà des gestes de
soutien ponctuels (d’autres ONG s’y intéressent).
Enfin, d’après le Père Elias, une dynamique irréversible s’est mise en place et
l’avenir est prometteur, surtout si le gouvernement accepte d’y prendre
activement sa part.
Bernard
Ugeux