mardi 12 janvier 2021

Lettre N°44, de Janvier 2021

Chères amies, chers amis,

Je viens à vous aujourd’hui avec un certain retard pour vous présenter nos vœux les plus chaleureux pour une nouvelle année 2021. Je voudrais tout d’abord remercier de tout cœur celles et ceux qui, nombreux, par mail ou d’autres réseaux sociaux, nous ont envoyé leurs vœux, à Germes d’espérance ou à moi-même. Ayant été souffrant durant la période des fêtes, il m’a été impossible de répondre à tous ces vœux qui nous encouragent tellement dans notre travail quotidien. Ne m’en veuillez donc pas si vous n’avez pas toutes et tous reçu une réponse personnelle à vos messages. Après une année bouleversée par une pandémie dont il nous était impossible d’imaginer l’ampleur, nous nous tournons vers l’avenir en décidant l’espérance malgré tout. Au-delà de ce sale petit virus, il y a des trésors incomparables de solidarité, de compassion, de proximité et de dévouement (ici je pense particulièrement aux soignants) dont peut-être nous pensions notre petite planète si égoïste incapable. Là où la précarité a abondé la fraternité a surabondé. Même si on a fait des progrès fulgurants concernant un vaccin, pour lequel des questions demeurent, la persistance des effets de ce virus, qui en plus se permet de muter, nous maintient dans cette posture de fragilité et de dépendance. Nous la vivons bien mal, en tant qu’occidentaux, nous qui sommes habitués à une autonomie et un mode de vie que nous considérions comme définitivement acquis. Je crois que tous les habitants de cette planète sont impactés, d’une façon ou d’une autre, avec bien sûr en plus le spectre de la récession qui approche. Pour les pays de grande précarité où je vis, cette expérience de désappropriations est le quotidien de l’immense majorité des gens qui vivent au jour le jour sans aucune autonomie et sans aucune possibilité d’envisager le moindre projet d’avenir. Nous savons que l’Afrique a été moins impactée que les autres continents, mais elle n’avait pas besoin de cela pour être déjà et depuis longtemps dans cet état de fragilité qui effraye tant aujourd’hui les autres continents. Mais c’est avec une extraordinaire résilience que les gens se battent au quotidien et dont je suis convaincu que beaucoup de citoyens de pays privilégiés auraient à apprendre, en termes d’abnégation et de solidarité, de débrouillardise et de courage devant la succession des épreuves.

Donc je nous souhaite à tous, là où nous sommes, la sagesse de faire le point sur ce que cela révèle de l’état de notre humanité en général et de notre fragilité personnelle en particulier. C’est l’occasion de nous interroger sur le sens ultime de notre existence et sur ce que nous voulons faire de notre vie dans ce monde chahuté où ce n’est qu’ensemble que nous pouvons en sortir.

Nous venons de clôturer avant-hier un atelier sur l’accueil, l’accompagnement et la réintégration de personnes survivantes de violences sexuelles en zone de conflit. Trente-cinq personnes, laïques, religieuses et religieux et prêtres diocésains, provenant de toute la RDC et du Burundi (le Rwanda restant enfermé dans ses frontières), ont eu l’occasion de partager leurs expériences d’accueil et de recevoir des formations et des outils afin d’être mieux à la hauteur de leur tâche si délicate. C’est la seconde fois que j’organise un atelier de ce genre pour ce public et je suis chaque fois profondément touché par ce que je découvre dans les contacts avec les participants. D’abord, le fait que sur toute l’étendue de notre territoire, la violence sexuelle utilisée contre les femmes comme arme de guerre, est une réalité qui se maintient et se déploie à travers le pays de façon constante. On parle de 130 groupes armés rien que pour l’est de la RDC. Ensuite, dans le partage des parcours et des expériences des participants, j’ai touché à nouveau du doigt avec une profonde admiration l’engagement de ces personnes qui ont accepté de s’investir dans ce qui fait fuir tout le monde, c’est-à-dire la confrontation au quotidien aux plaies béantes des plus fragiles, dans des zones parfois incontrôlées. Cela demande une capacité de générosité, de patience, de disponibilité, qui va d’ailleurs parfois trop loin. C’est ainsi qu’une partie de cet atelier a été consacrée à l’importance de prendre soin de soi quand on prend soin des autres. Nous ne pouvons aimer les autres comme nous-mêmes que si nous n’oublions pas de nous aimer nous-mêmes. C’est pourquoi durant cette formation les participants n’ont pas seulement reçu des outils précieux concernant l’accueil, l’accompagnement et la réintégration de survivantes mais aussi des moyens de prendre soin de leur propre énergie, d’accepter leur fragilité, et d’éviter d’être englués par une empathie « toxique », où on est tenté de prendre sur soi la souffrance de l’autre. Il s’agit plutôt de pratiquer la compassion où, au-delà de toute tentative de fusion avec l’autre, on renvoie à la personne en souffrance tout le positif qu’il y a en elle ou en lui et on s’engage à cheminer avec celle-ci, afin de trouver les moyens de se reconstruire dans la durée. Vue la gravité des situations auxquelles nous sommes confrontés cela demande un travail en réseau, cela suppose aussi des moyens matériels afin de pouvoir donner à des personnes qui ont tout perdu, en plus de l’estime de soi, des moyens socio-économiques pour retrouver une place et une autonomie dans la société.

Un autre aspect sur lequel je voudrais insister est la question du trafic humain qui est une des trois sources de profit mondial les plus importantes avec le trafic de la drogue et celui des armes. Celui-là est aussi lié aux migrations. Certains en Europe sont très frileux par rapport à l’arrivée de migrants qui se poursuit et qui doit être régulée de façon humaine afin qu’il y ait un véritable accueil et aussi un discernement des personnes à accueillir. Là encore tout n’est pas possible. Ce que je constate dans mon entourage, c’est qu’il y a un très grand nombre de jeunes qui n’ont aucun avenir, même s’ils sont diplômés, et ils rêvent souvent de partir pour l’Europe ou les Amériques. J’ai à l’esprit trois jeunes filles qui m’ont sollicité tour à tour pour que je les aide à se procurer un passeport parce qu’elles avaient rencontré des personnes qui leur annonçaient que, en passant par un camp de réfugiés en Ouganda ou au Burundi, elles seraient ensuite prises en charge pour des études au Canada. D’après mon enquête, il était clair qu’il s’agissait de réseaux de trafic d’une opacité totale et j’ai bien sûr découragé ces jeunes filles à se lancer dans l’aventure.

Souvent on entend dire dans les pays occidentaux : il vaut mieux donner à tous ces candidats à l’émigration des possibilités de vivre chez eux de façon décente afin de ne pas être tentés par une aventure qui, pour beaucoup, se termine dans un camp en Libye ou au fond de la Méditerranée. J’en suis convaincu également, même si je respecterai toujours le droit de migrer pour quelqu’un qui désire réaliser un projet personnel. Je n’oublie pas que je suis moi-même un immigré ici au Congo.

Or, cela rejoint le travail que réalise Germes d’espérance en permettant à des dizaines de jeunes garçons et filles de se former, d’acquérir une compétence professionnelle et de s’installer un jour à leur compte et afin de ne plus être tentés par des aventures impossibles. Je vous l’ai dit dans une lettre précédente, cette année au centre Nyota, 32 jeunes filles ont acquis le certificat d’études primaires et sont en mesure de poursuivre une formation ou des études. 30 autres ont acquis le diplôme national de coupe et couture et ont reçu une machine à coudre et du matériel afin de commencer leur petit atelier. À l’école de menuiserie de Kamituga, dans le diocèse voisin d’Uvira, 30 garçons issus des mines d’or clandestines ont terminé une formation accélérée en menuiserie et obtenu un kit qui leur permet de rendre des services à la population et de devenir autonomes dans un projet de vie et de mariage. Cela fait 92 personnes qui rien que l’année dernière ont eu des raisons de s’enraciner dans leur milieu sans rêve d’impossible départ. Et cela grâce au soutien matériel du réseau Germes d’espérance. Voilà donc une raison de plus d’espérer et aussi de vous remercier ! Bernard, votre frère.


Les 35 participants à l’atelier sur l’accueil

, l’accompagnement et la réintégration de personnes

 survivantes de violences sexuelles en zone de conflit

, de Keshero, Goma (RDC) du 4 au 10 janvier 2021.

 Je les confie à votre prière. Un des prêtres de l’atelier

 de 2017 a été ensuite assassiné à cause de son

 engagement pour la paix.


 

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