Le consortium
inter-congrégationnel Isidore Bakanja a organisé sa journée philosophique
annuelle dans le hall des Pères Xavériens à Panzi le 29 janvier 2022 sur le
thème : Le progrès techno -scientifique, chance ou menace pour les valeurs
culturelles africaines.
Ce sujet
d’actualité a passionné les près de 200 auditeurs provenant de différentes
institutions d’enseignement de Bukavu, de 9 heures à 14 heures. Ceux-ci ont
apporté de nombreuses réactions et questions
Le premier
orateur était le professeur Gyavira Mushizi (de Kinshasa, originaire de Bukavu,
universitaire travaillant pour le gouvernement congolais) qui a évoqué un
changement de paradigme dans la culture africaine entre autres dans le domaine
de l’écologie et abordé certains sujets politiques.
Le professeur
Bernard Ugeux, de la Faculté de Médecine de l’Université Catholique de Bukavu
(UCB), Missionnaires d’Afrique, a été invité à aborder le sujet selon un angle
anthropologico-chrétien.
D’emblée, celui-ci
a voulu positionner sa réflexion dans le cadre d’un basculement civilisationnel
qui se caractérise par trois mutations historiques qui font système et qui ont
été évoqués il y a déjà une vingtaine d’années par l’auteur Jean-Claude Guillebaud.
Il s’agit de l’économie avec la mondialisation, l’informatique avec Internet et
les réseaux sociaux, la génétique avec le clonage. Ces trois mutations simultanées
font système s’ajoutent et se conjuguent. Les Etats se montrent actuellement
incapables de contrôler les conséquences économiques et politiques de ce
basculement civilisationnel.
Ensuite, le thème
du « progrès » techno-scientifique en Afrique a été abordé par le
Père Bernard Ugeux dans le contexte d’une Afrique en processus de
mondialisation et de plus en plus impactée par ces évolutions culturelles. Car
il s’agit bien d’une véritable transformation culturelle qui influence les
valeurs traditionnelles africaines.
Deux angles
d’attaque ont été utilisés pour approfondir cette question : la
biotechnologie et les technologies de communication, entre autres dans les
réseaux sociaux. La perspective a été celle de l’éthique, éclairée d’une
part par l’enseignement social de l’Eglise catholique, et d’autre part, par les
valeurs traditionnelles africaines, spécialement celles en rapport avec le
respect de la vie. Les défis sont
nombreux et nous ne pouvons développer l’argumentation présentée lors de la
conférence dans le cadre de ce bref article.
L’objectif de l’exposé
était de montrer que l’on ne peut se limiter à la question de savoir si les
technosciences sont une chance ou un risque pour l’Afrique, car elle peut se
retourner ainsi : dans quelle mesure est-ce que les valeurs culturelles
africaines ne représenteraient pas une chance pour l’évolution des
technosciences, qui actuellement présentent actuellement un risque de
déshumanisation en Occident. Du coup, c’est l’Afrique qui devient une chance
pour les technosciences.
Pour répondre
à ces questions, il a d’abord été fait référence aux recherches actuelles en
bioéthique dans un contexte africain, entre autres à la lumière de la thèse
de Mgr Muyengo, évêque d’Uvira, en RDC.
Il écrit : « C’est la conviction que la vie est un don ;
on ne négocie pas un don. En Afrique, la vie, quand elle s’annonce, on l’attend
; lorsqu’elle arrive, on l’accueille ; quand elle s’incline, on la redresse et
lorsqu’elle s’en va, on l’accompagne ». Dans cette perspective, il montre par
exemple, que le débat concernant le statut humain de l’embryon en référence au
bombre de semaines est choquant pour les tenants de la culture africaine de la
vie.
Le deuxième
domaine qui a été considéré, et celui des technologies des réseaux sociaux
et de l’éthique qui les concerne. On a d’abord considéré l’enrichissement pour
l’Afrique de pouvoir participer aux réseaux sociaux avec tout ce que ceux-ci
apportent comme avantages sur un continent enclavé et qui manque gravement de
ressources en infrastructures ou en institutions de formation, par exemple. On a
ensuite relevé les menaces que représente l’imposition sournoise d’une nouvelle
culture entièrement à la solde des grands réseaux marqués par le néolibéralisme,
avec toutes les conséquences sociales, économiques et politiques qui en
découlent. Elles représentent un risque pour les valeurs traditionnelles
africaines. La réflexion a portée sur : dans quelle mesure est-ce que la
conception de la communication et de la fraternité traditionnelles en Afrique
pourrait empêcher de devenir esclaves d’u usage individualiste des réseaux sociaux,
sans aucun discernement ni perspective éthique. A ce propos, il a été été fait
référence à la richesse de la philosophie de l’Ubuntu, qui provient
d’Afrique du Sud. Elle a été
particulièrement mise en pratique par Nelson Mandela et Mgr Desmond Tutu. Elle
affirme : « Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes », une
autre façon de dire : « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous
sommes ». Ce qui renvoie aux valeurs de fraternité, d’hospitalité, de
générosité, de partage, etc. Elle contrebalance ou s’oppose à l’esprit de
compétition agressive qui règne sur de nombreux domaines de la mondialisation.
Cette façon
d’aborder la question à partir du point de vue de l’Afrique peut paraître
utopique, mais pour le professeur Bernard Ugeux, l’utopie est féconde et c’est
elle qui nous propose des horizons. Elle mérite d’être essayée dans la pratique,
vérifiée par l’expérience et évaluée. C’est un réel défi car l’Afrique du Sud,
jusqu’à présent, n’a pas profité vraiment des apports de l’Ubuntu dans leur vie
sociale encore marquée par beaucoup de violence.