Chères amies, chers amis,
C’est de Kinshasa que j’ai le plaisir de vous écrire aujourd’hui, ayant « réussi » à m’extraire des alertes grandissantes concernant la Covid 21 qui sont proférées aussi bien en Belgique qu’en France. Me voici de retour au pays. En effet, j’ai eu la chance de pouvoir rentrer en Europe pour mes contrôles médicaux en rapport avec mon opération de l’an dernier. Heureusement, les résultats sont bons et je suis à nouveau apte pour le service pour une durée indéterminée. Le fait que la session que je donne habituellement à Rome chaque année ait été annulée, et que j’aie pu profiter du premier vol de la compagnie Ethiopian Airlines entre Goma et Addis-Abeba, et ensuite Paris, m’a permis de prendre un temps de repos en France et en Belgique, et du coup de revoir quelques amis. J’ai déjà passé quatre fois le test de la Covid et j’en ai un autre qui m’attend dans trois jours pour rentrer à Bukavu. Je n’ai jamais autant souhaité être…négatif !
J’ai d’autre bonnes nouvelles à vous annoncer. Tout d’abord les résultats du centre Nyota qu’un certain nombre d’entre vous soutient avec une fidélité indéfectible. Les 30 jeunes qui ont présenté le certificat d’école primaire, que nous préparons selon un programme accéléré de trois ans, ont tous réussis. Quant à la professionnalisation, 32 jeunes filles qui ont poursuivi leur formation chez nous ont présenté le jury national de coupe et couture, et ont toutes réussi également. Nous leur avons donné à chacune une machine à coudre et le matériel pour commencer leur propre atelier. Ces résultats sont le fruit des efforts du personnel de maintenir un certain niveau et de faire un rattrapage efficace malgré la fermeture des institutions d’enseignement à cause de la pandémie. Les cours ne reprennent que maintenant. Je tiens à souligner le sérieux et la disponibilité avec lesquels ces hommes et ces femmes se dévouent pour des enfants et des jeunes en très grande précarité, comme je vous les ai décrits dans ma circulaire précédente. Par ailleurs, à l’école de menuiserie de Kamituga qui accueille chaque année 30 jeunes qui travaillent habituellement comme esclaves dans les mines d’or a connu une large majorité de résultats positifs. Ces jeunes ont chacun reçu un certificat de réussite et un kit de base pour poursuivre un travail de menuiserie dans leur milieu.
L’ensevelissement de soixante creuseurs dans l’inondation d’un puits de mine artisanal, il y a quelques semaines, dont trois candidats de notre école, ne fait que renforcer notre détermination. Cela arrive régulièrement dans les puits de mines d’or et de coltan dans nos régions. Je n’ose pas montrer les photos de ces jeunes corps qui ont été extraits des éboulements après plusieurs jours. Nous cherchons actuellement les moyens d’équiper cette école de machines-outils susceptibles de les rendre plus aptes à s’intégrer professionnellement après la formation.
Par ailleurs, dans ma lettre précédente, j’évoquais les difficultés financières auxquelles nous nous attendions à devoir faire face, étant donné l’arrêt des subventions de certains donateurs particulièrement généreux. Or « il est écrit » – s’il faut s’exprimer ainsi – que nos œuvres doivent se poursuivre. Car entre-temps, d’autres donateurs se sont présentés et nous ont apporté une aide correspondant à peu près à celle qui nous était retirée. Cela concerne 30 % de nos besoins, le reste étant assuré par vos dons au Réseau Germe d’espérance. Certains et certaines d’entre vous envoient 20 € par mois… c’est si peu, et c’est tellement ! surtout étant donné le niveau de vie ici. Merci !
Je suis heureux de vous envoyer une lettre qui vous donne cette série de bonnes nouvelles, à laquelle on peut sans doute ajouter, du point de vue des Congolais et des Congolaises, le fait que le nouveau cardinal de Kinshasa a été choisi par le pape François pour faire partie de son conseil rapproché. Comme son prédécesseur Mgr Monsengwo, le cardinal Ambongo, capucin, archevêque de Kinshasa, est fermement engagé dans le domaine du respect des droits humains et de la promotion de tous. Il agira certainement dans le sens de la mise en application des intuitions si fortes du pape François en faveur des exclus qu’il a réitérées dans sa dernière encyclique Fratelli Tutti qui présente une synthèse de ses positions dans ce domaine. Certes, il ne fait pas l’unanimité dans certains milieux économiques néolibéraux, mais quand on regarde de près son enseignement, celui-ci s’inscrit parfaitement dans la ligne de l’Évangile, et n’est que le développement, adapté à notre époque, des grandes intuitions de Jean XXIII, de Paul VI, et aussi de Benoît XVI par rapport à la façon de gérer les retombées de la mondialisation dans la vie quotidienne des populations. Je viens de donner une session sur l’impact de la mondialisation, et de la covid 19, sur la vie religieuse, qui, si elle veut être fidèle aux conseils évangéliques malmenés, ne peut être que prophétique.
Quant à la situation de notre pays, elle reste toujours problématique étant donné le « combat des chefs » permanent qui se déploie en politique, à différents niveaux, les politiciens n’ayant plus le temps de s’occuper du bien commun.
Le Cardinal Ambongo, interrogé sur la dernière encyclique du Pape François, y fait ainsi allusion, pour Vatican News:
« Qu. Le premier chapitre de l’encyclique parle d’ombres qui empêchent une vraie fraternité. Ce que vous évoquez ce sont donc des ombres qui empêchent la vraie fraternité humaine dans votre pays, la République démocratique du Congo ?
R. Il existe beaucoup d’ombres chez nous. Parmi les principales figure l’esprit de prédation qui fait que les ressources naturelles du Congo sont devenues causes de ses malheurs. Il faut ajouter à cela la cupidité de la classe politique congolaise qui joue le jeu de ces prédateurs internationaux. Et, devant cette coalition de prédateurs des ressources naturelles et une classe politique avide de biens matériels et de richesses, le peuple est complètement mis hors-jeu. Et c’est contre cette situation que nous devons nous engager, prêcher l’évangile et enseigner l’esprit de Fratelli tutti. »
Cette situation, qui remonte à des décennies de kleptocratie rend très difficile le décollage économique d’une classe moyenne susceptible de promouvoir un tissu socio-économique dont le peuple bénéficierait. L’absence d’investissement et de création d’emplois est source de désespoir pour la jeunesse. C’est pourquoi Germes d’espérance investit dans la professionnalisation en vue de la réintégration sociale et économique de garçons et de filles en grand difficulté.
Une épidémie n’arrête ni la vie sociale ni celle de l’Eglise, malgré les à-coups. Cette année, même si ce fut célébré en communautés réduites, dix ordinations presbytérales et deux ordinations diaconales ont eu lieu dans notre Province d’Afrique centrale qui comprend la RDC, le Burundi et le Rwanda (photo : à Bukavu). Il a fallu beaucoup de prudence et de créativité de la part de notre équipe provinciale pour organiser avec les évêques ces ordinations, afin de permettre à nos jeunes confrères de rejoindre leur lieu de mission sans tarder. Nous avons quatre maisons de formation dans notre province : une propédeutique à Goma, deux consortiums de philosophie (Bukavu et Kinshasa) et un centre de théologie (Kinshasa). Cela ne signifie pas qu’un candidat suit toute sa formation dans son pays d’origine. Au contraire, il la reçoit dans des contextes culturels et linguistiques différents, afin de vivre partout l’internationalité et l’interculturalité. Nous avons près de 500 candidats dans le monde.
Tourné vers l’avenir, dans l’espérance, je vous redis
merci au nom de toutes nos équipes, Bernard Ugeux
Remise des machines à coudre aux lauréates du Jury National de couture du centre Nyota de cette année. 100 % de réussite. Grande joie ! |