Chères
amies, chers amis,
En
ce premier jour de l’année 2020 nous nous interrogeons parfois sur
le sens et la portée de ces vœux de bonheur, de paix, de justice
que nous répétons d’année en année. Beaucoup de rétrospectives
nous montrent que malgré nos vœux d’il y a un an, il y a eu tant
de violence, d’injustice et de gens malheureux qui parcourent les
routes du monde sans avenir. C’est ce que je constate également
dans le pays où je travaille. Il nous faut cependant prendre au
sérieux ces profondes aspirations car je crois que l’ensemble de
l’humanité a soif, profondément, de paix, de sérénité,
d’espérance. Et c’est précisément en m’appuyant sur
l’Espérance qu’a ravivée la fête de Noël, que
je vous souhaite à tous et à toutes de garder la paix du cœur à
travers toutes les épreuves, de conserver un esprit de discernement
au cœur de la cacophonie des informations souvent manipulées et
surtout d’agir concrètement au nom de la solidarité humaine, et
pour beaucoup d’entre vous, chrétienne.
C’est bien ce mot solidarité
que je voudrais mettre en exergue au début de cette nouvelle année.
Tous nous pouvons vivre la solidarité et en avons besoin, même les
plus individualistes parmi nous. Car au moindre problème sérieux,
au moindre accident, nous constatons à quel point nous avons besoin
de la bienveillance et parfois même de la compassion des autres.
Cette solidarité nous pouvons la commencer en famille, en
communauté, pour l’élargir de plus en plus au quartier, à la
ville, au pays et aux peuples du monde entier. Car en cette époque
de mondialisation, à l’injustice mondiale ne peut répondre qu’une
solidarité mondiale. J’en vérifie chaque jour les
bénéfices dans mon action concrète auprès des plus fragiles à
Bukavu,
que je serais bien incapable de mener à bout sans les gestes
concrets de solidarité que vous posez en faveur des survivantes.
Jamais nous ne vous remercierons suffisamment pour votre solidarité
qui est de l’espérance en actes.
Quelques
nouvelles des derniers mois
Durant
ces derniers mois, j’ai vécu une succession d’événements
réjouissants et d’épreuve. Tout d’abord deux rencontres qui
m’ont profondément touché.
J’ai
d’abord eu l’honneur
de concélébrer avec le pape François
le 23 septembre à la chapelle Sainte-Marthe. Après la célébration
j’ai pu m’entretenir quelques minutes sur le travail que nous
réalisons à Bukavu avec les victimes des violences. Il s’est
évidemment montré très concerné et proche, comme on le voit sur
cette photo.
Une
autre rencontre, imprévue, car organisée par un ami bien introduit,
de fut la soirée
que j’ai passée au château de Ciergnon avec la famille royale
belge
le 5 octobre. J’ai passé trois heures seul avec le roi et la reine
et deux de leurs enfants pour parler de l’Afrique, de mes
engagements au Congo, des enfants victimes de différentes formes
d’abus, comme les enfants de la rue, les enfants esclaves, les
enfants victimes de trafic, les enfants soldats, les enfants nés de
violence sexuelle, etc. J’ai perçu l’importance que nos
souverains attachent à l’Afrique et particulièrement aux victimes
les plus fragiles de la pauvreté et des conflits dans les pays
africains.
Une
épreuve qui m’a invité au consentement
Parallèlement
à ces beaux moments se préparait une épreuve imprévue. Arrivé à
Bruxelles début octobre on m’a confirmé que je souffrais d’une
tumeur dont je devais être rapidement opéré. Ce fut fait le 24
octobre. Tout s’est bien passé, la chirurgie m’a libéré et je
n’ai eu ni chimio ni radio. Le pronostic est tout à fait rassurant
pour l’avenir. Si ce n’est que, n’ayant qu’un seul rein, je
n’ai pas pu prendre d’anti-inflammatoires, ce qui m’a valu plus
deux mois de convalescence pour recouvrer ma santé. J’aurai donc
passé plus de trois mois à Bruxelles, dans une de nos communautés.
J’y ai été très bien accueilli, objet de beaucoup d’attention.
Les nombreux messages et coups de téléphone reçus de mes amies et
amis, parents et confrères – dont beaucoup de Germes d’Espérance
– m’ont bien soutenu. C’est fou ce que, dans de telles
circonstances, le moindre petit signe fait du bien. Ne
l’oubliez jamais malgré l’accélération de vos rythmes de vie.
Et
puis, durant cette longue immobilisation, j’ai puisé dans la
patience apprise de l’Afrique, et dans la présence fidèle de mon
Dieu.
Je
reprends progressivement des activités, en commençant par une
session de formation pour des jeunes confrères à Jérusalem, à
partir du 20 janvier, avec le feu vert du médecin. Je retournerai en
RDC vers la mi- février.
Notre
jubilé
Les
mois de novembre et de décembre ont marqué pour les Missionnaires
d’Afrique et les Sœurs Missionnaires de Notre-Dame la clôture du
jubilé de 150 ans de la fondation de nos institutions missionnaires.
Sans doute vous souvenez-vous du petit livre « Prier 15 jours
avec le cardinal Lavigerie » que mes supérieurs m’avaient
demandé de publier et que certaines et certains d’entre vous se
sont procurés. Le sommet de ces célébrations a été le pèlerinage
au sanctuaire des martyrs de l’Ouganda non loin de Kampala le 8
décembre. Partout
nous avons été frappés par la façon dont les Eglises locales
africaines nous ont remerciés pour notre présence et, bien souvent,
pour le fait que nous avons été les fondateurs de leurs Eglises,
il y a souvent plus de 100 ans. Cela a été pour nous une source de
joie et un encouragement à continuer notre travail d’évangélisation
et de présence parmi les populations africaines sous la direction
des responsables des Eglises locales.
Cérémonie
de clôture de notre Jubilé de 150 ans de fondation au sanctuaire
des martyrs de l’Ouganda à Namugongo, le 8 décembre 2019. Vue
partielle des concélébrants Missionnaires d’Afrique
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La
situation en RDC
Dans
ma Lettre de la Savane précédente, je vous ai présenté de façon
un peu détaillée les difficultés que traverse encore et toujours
notre pays. Le nouveau président de la République a décidé la
gratuité de l’enseignement primaire, ce qui était une attente
profonde de toute la population. La décision n’ayant pas été
longuement préparée à l’avance, il y a eu des cafouillages et
des manifestations, et nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la
viabilité de ce choix. Quoi qu’il en soit, c’est un immense
espoir, et nous espérons que le gouvernement trouvera les moyens
financiers de réaliser cette promesse. Pour nos projets,
particulièrement le centre Nyota, et l’école de menuiserie de
Kamituga, nous ne sommes pas concernés par cette gratuité étant
donné que ce sont des projets sociaux et non des établissements
scolaires classiques. Il
nous faut donc encore et toujours trouver les salaires des 19
personnes qui sont engagées dans nos projets.
A
ville de Bukavu a connu aussi des événements graves qui ont surtout
touché les plus pauvres : deux grands incendies dans les bidonvilles
qui ont calciné des dizaines de « maisons » accolées
les unes aux autres. Par ailleurs des pluies diluviennes ont balayé
cette ville construite en terrasse sur des collines à la terre
particulièrement friable et entraîné ainsi des graves glissements
de terrain qui ont provoqué la mort d’un grand nombre de
personnes. Donc nous sommes aussi atteints par les conséquences des
changements climatiques.
Un
autre sujet de préoccupation, est la
fièvre hémorragique Ebola
dont vous avez dû entendre parler, qui a déjà fait 2000 morts en
un an et qui est particulièrement active au Nord Kivu. Elle a menacé
Bukavu mais elle ne s’y est pas répandue jusqu’à présent. Un
obstacle à la réponse médicale sur le terrain est l’agressivité
des groupes armés (on n’en compte 130 dans l’est de la RDC) qui
s’attaquent parfois aux personnels de santé. En outre, certains de
ces groupes, censés être formés d’extrémistes islamistes
ougandais, sont accusés d’avoir des commanditaires cachés qui
veulent chasser les populations locales de ces territoires pour y
implanter des populations étrangères non clairement identifiées,
d’après le général de l’armée nationale commandant cette
région, lors d’une interview il y a quelques jours à la radio de
l’ONU. Mais tout cela ne nous empêche pas de
continuer à espérer et à agir,
merci
d’être avec nous !
Bernard Ugeux