jeudi 31 décembre 2015

Lettre de la savane n°24 du 31 décembre 2015



Cher(e)s, ami(e)s,

Nous voici à la veille d’une nouvelle année et les vœux circulent à grande vitesse sur la Toile pour nous redire les uns aux autres que nous espérons que la prochaine année sera différente – meilleure ? « moins pire » ? - que la précédente. Cet espoir – et pour beaucoup cette espérance – semble chevillé à nos cœurs et à nos corps bien qu’une fois de plus nous terminions une année avec des bruits de bottes et de guerres qui envahissent nos écrans …plus que des récits et des photos qui apporteraient paix, confiance et courage pour l’avenir… mais auraient moins d’audimat. La France est d’autant plus pantelante que cette fois-ci, les visions d’horreur provenaient de la capitale plutôt que du Soudan, de la Syrie ou du Burundi qui continuent à sembler si loin… Et même si le nombre de victimes dans ces pays est sans commune mesure avec celles de Paris. Ce n’est d’ailleurs par le nombre de victimes qui importe mais la façon dont cela s’est passé. Le fait que cette violence aveugle ait touché des proches ou concerné des coins de Paris où n’importe qui d’entre nous aurait pu se trouver pour un sympathique moment de détente entre amis a effrayé. C’est le sentiment de surprise et d’insécurité qui en a découlé qui a pesé.

Ce qui est plus gênant c’est l’exploitation de ce sentiment d’insécurité pour inaugurer ou renforcer un nouvel « axe du mal » - même si l’expression n’est pas employée. Pourtant on se situe bien dans la même logique que celle du 11 septembre où ce sont les armes et les coalitions qui ont répondu à l’émotion… ce qui a à l’époque entraîné le Proche Orient dans la déstabilisation insurmontable que nous connaissons maintenant et dont les actes terroristes sont un produit.

J’ai l’impression que ce choc tragique a favorisé une certaine « mondialisation » de la prise de conscience civique par rapport au désordre mondial qui domine notre planète depuis plusieurs décennies. L’arrivée des migrants a aussi encouragé cet élargissement de conscience et je me réjouis de voir que, dans les deux cas, un nombre croissant de personnes semblent avoir compris que si elles ne sont pas un élément de la solution elles sont un élément du problème. Il n’est plus possible de rester neutres et spectateurs comme quand tout cela avait des aspects exotiques. Et la solution n’est évidemment pas de se laisser charmer par les extrémismes xénophobes pour qui tout est bon pour obtenir des voix. La mobilisation actuelle est encourageante et j’espère qu’elle ne sera pas éphémère.

Mais cette année n’est pas seulement celle de ces attentats – et des multiples violences qui se poursuivent un peu partout dans le monde, comme dans mon pays depuis 20 ans. Il y a eu de grands signes d’espérance, comme la COP21 qui a, malgré toutes ses insuffisances, a vu une mobilisation citoyenne sans précédent pour le climat dans la droite ligne d’un document qui fait date : Laudato Si du Pape François. Il y a eu également le second synode sur la famille où celui-ci a pris le risque de laisser s’exprimer les différents courants qui s’affrontent depuis longtemps sur la famille. Le choix qu’il y fait de la miséricorde se poursuit dans ce grand mouvement de l’année jubilaire de la Miséricorde où il invite à répondre à l’injustice et au désordre globalisés par une miséricorde qui – il l’a clairement précisé – n’exclut pas la justice, mais la dépasse par la compassion. Il ne s’est pas contenté de le dire, il l’a mis en acte dans une visite en Afrique où, en RCA, il a carrément mis sa vie en danger au nom de l’appel à la réconciliation dans un pays où l’islam et les extrémistes chrétiens sont prêts à tout. J’en ferais bien mon « homme de l’année 2015 » même si je n’ai jamais été papolâtre. Mais c’est bien lui qui nourrit mon espérance et qui est capable de mobiliser bien au-delà des limites visibles de l’Eglise. Il y a aussi eu, en positif, la victoire sur le virus Ebola, un accord sur le nucléaire iranien, un début de lutte contre les fraudes fiscales des multinationales à travers leurs filiales…

C’est pour cela que j’écrivais récemment sur mon blog que, même si je suis convaincu que le terrorisme est une réalité avec laquelle il va falloir apprendre à vivre tout en cherchant à le canaliser le mieux possible, mon cœur reste dans l’espérance … Car il y a aussi, à un tout autre niveau, des gestes de bonté et de solidarité, des engagements courageux pour la justice où des associations civiles comme des groupes d’Eglise ou appartenant à d’autres religions se mobilisent pour créer des alternatives aux dysfonctionnements sociaux et écologiques de notre planète. Et là la Toile est pour nous une occasion privilégiée d’être en contact avec un foisonnement d’initiatives qui montre une créativité extraordinaire dans le monde entier. Que ce soit des réseaux comme Avast ou V-day dont j’ai déjà parlé, du Conseil Œcuménique des Eglises ou des instituts missionnaires, des groupements citoyens qui créent des opportunités pour les exclus partout sur la planète. Certains n’aiment pas Facebook, et il faut dire que les photos de chatons ou du dernier restau de l’été semblent leur donner raison, mais les gens qui sont devenus mes « amis » m’apportent régulièrement une moisson d’événements et d’actions constructives que je m’empresse de diffuser et qui donnent beaucoup de courage aux fourmis qui s’affairent sur le terrain avec un sentiment de si grande précarité.

Cependant, la situation politique dans la région des Grands Lacs reste préoccupante. Elle est dominée par la volonté de certains (tous ?) les chefs d’Etat de modifier la constitution pour obtenir un troisième mandat. Quelque soit la méthode employée, il y a toujours des risques de dérapages dont l’exemple le plus récent et le plus tragique est le Burundi pourrait sombrer dans la guerre civile. Pour la R.D. du Congo, le président ne s’est pas encore prononcé mais des ONG nationales et internationales de défense des droits humains dénoncent une augmentation sensible d’atteintes aux libertés publiques. Ceci est démenti par les autorités, mais la tension est palpable. L’année 2016 est une année à multiples élections et la Conférence épiscopale du Congo s’est engagée dans un travail de concertation en vue, entre autres, d’éviter des affrontements sanglants. L’avenir nous le dira, mais il est parfois difficile d’être optimiste quand on voit ce qui se passe chez nos voisins.

Quant aux actions que mène Germes d’espérance à Bukavu, elles se poursuivent grâce à votre fidélité, et c’est un des aspects de la générosité discrète que je soulignais plus haut. Cette année 2015 a été exceptionnelle car il a fallu doubler le montant des aides pour construir une maison d’accueil pour une quarantaine d’enfants abandonnés. La maison est terminée et solide (elle a bien encaissé la dernière secousse sismique) et est opérationnelle. Quant au Centre Nyota, il accueille actuellement 272 jeunes filles en rupture (pour cause de pauvreté, violences sexuelles ou prostitution, certaines sont mamans célibataires) et l’esprit y est excellent. Je continue à accompagner et à former le personnel qui est d’un dévouement admirable. Vous pouvez obtenir le bilan des activités de Germes d’Espérance pour cette année auprès de Bruno Vaillant b.vaillant@gmail.com Merci de tout cœur à toutes et à tous ! Je voudrais terminer sur une note plus joyeuse : en 2016 je vais fêter mes 70 ans et mes 40 ans d’ordination presbytérale (sacerdotale). Ce sera donc l’occasion d’une joyeuse action de grâce en cette année jubilaire pour l’Eglise. Je vous souhaite enfin une année nouvelle plus paisible parce que plus engagée, là vous êtes, dans une humanisation de notre monde. Croyez en ma profonde amitié. Bernard.
 
Fête de la Femme 2015 au Centre Nyota-Maison du partage de Bukavu, financé par Germes d’espérance. Les jeunes filles accueillies au Centre se sont fait une beauté.

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