samedi 10 octobre 2015

Lettre de la Savane N°23, octobre 2015


Cher(e)s, ami(e)s,
C’est d’une Rome effervescente du Synode sur la Famille que je vous rejoins en cet automne lumineux.
Je voudrais commencer par remercier tous ceux et celles que j’ai rencontrés cet été lors de mon passage en France et en Belgique, et particulièrement celles et ceux qui ont organisé l’une ou l’autre occasion de retrouvailles pour partager nos expériences, nos joies et nos peines, que vous connaissez bien en ce qui concerne Bukavu. A cette occasion, à côté de la forte mobilisation européenne pour la Syrie, plusieurs ont exprimé leur solidarité avec les réfugiés et déplacés en RDC de l’intérieur dont s’occupe Germes d’espérance depuis déjà cinq ans. Certains ont été particulièrement généreux pour la maison des enfants abandonnés recueillis par mama Julie. Encore merci de tout cœur.
La force de l’amitié
J’ai la chance de pouvoir rentrer en Europe chaque année, alors que le congé normal est limité à tous les trois ans pour mes confrères. Cela me permet de refaire mes forces après mes nombreux déplacements en Afrique pour donner des sessions et mon travail d’écoute et d’accueil à Bukavu, qui est si prenant. Le support de ma communauté est irremplaçable et sans celui-ci je ne pourrais tenir sur la durée. Comme le dit Jean Vanier, la communauté est un lieu de pardon et de fête, et nous sommes tous un mélange de lumière et d’obscurité. C’est une construction quotidienne pour toute vie de famille. Quant à l’amitié, qui est parfois le fruit de trente ans et plus de cheminement, elle me prodigue une « géographie cordiale » que je parcours avec joie durant les étés. Pouvoir nous retrouver en un instant sur la même longueur d’onde malgré des séparations parfois longues est un privilège qui nourrit et reconstruit nos forces vives. Quand en outre, avec beaucoup, nous évoquons nos engagements au nom de notre foi, ou de nos valeurs humaines, c’est une bénédiction que je puis partager avec tous à chaque retour « chez moi » sur les bords du lac Kivu.
Le Synode sur la famille
Depuis le concile Vatican II il y a 50 ans, c’est sans doute le synode qui est le plus suivi, tant par les catholiques que par les chrétiens des autres confessions ainsi que par beaucoup de personnes d’autres religions ou non-croyantes. Pourquoi cet engouement ? D’abord, parce que le défi de la famille est un enjeu qui a une dimension mondiale. Les contextes sont certes très différents, au cœur des changements culturels profonds et extrêmement rapides que nous traversons. Pourtant sauvegarder l’existence de familles – quelles que soient leurs compositions – qui soient des espaces où se vivent et se transmettent l’amour, une foi, l’accueil de la différence, une solidarité et un respect profonds, une éducation aux grandes valeurs de la vie et une ouverture au monde, est irremplaçable. L’équilibre de toute société en dépend. Ensuite, parce que celui qui a « mis en synode » toute l’Eglise depuis deux ans est un pasteur qui, devant l’urgence et la gravité des enjeux, n’a pas voulu occulter les différences de positionnements dans l’Eglise, et particulièrement au niveau du clergé. A la fin du premier synode sur la famille, certains disaient : « ce pape François apporte la division ». Je répondais : il a eu le courage de mettre au jour les divisions et les polarisations existantes dont personne n’osait parler d’une façon aussi ouverte et audacieuse avant lui. « Qui fait la vérité vient à la lumière, et la vérité rend libre ». Et je ne parle pas d’abord d’une vérité doctrinale où il faut bien discerner ce qui «  vient de Dieu » et ce qui vient des accumulations de l’histoire. Une Parole – même de Dieu – est toujours interprétée par une communauté croyante, elle n’existe jamais à l’état pur et personne ne peut s’en emparer pour soutenir des convictions personnelles. Et c’est bien ce qu’un pasteur de terrain comme le pape François a compris dans ses contacts avec les pauvres et les personnes en crise. On dit que l’Amérique latine est très catholique, mais plus de la moitié des Argentins ne sont pas mariés à l’Eglise. Et quand on célèbre l’eucharistie dans les quartiers urbains pauvres en Afrique, dans des pays dits chrétiens, on constate que moins de la moitié des fidèles a « le droit » de communier… tant il y a d’irrégularités.
Beaucoup sont inquiets par rapport aux fruits du Synode. Certains craignent qu’il y ait seulement un effort de langage et un plus grand investissement dans l’accompagnement des plus fragiles, sans changement de fond. D’autres craignent que si la miséricorde assouplit la loi, on aille au schisme…
Seulement la nullité ?
J’ai entendu quelqu’un poser cette question: « Y a-t-il un seul péché que le Christ ait refusé de pardonner définitivement? Juda a bien communié avant de quitter le dernière cène… N’est-on pas trop dur ? » Je vous laisse y réfléchir. Mais il y a beaucoup de souffrances aujourd’hui dans ce domaine, pour des raisons souvent très complexes. Certes, miséricorde ne veut pas dire laxisme… car il est impossible d’aimer sans souffrir, et la fidélité est toujours liée à l’acceptation de mourir à certains aspects de soi-même et à notre rêve fusionnel. Mais il y a des situations insurmontables et il faut savoir reconnaître un échec et l’accueillir. Il est heureux que le pape ait simplifié les procédures de nullité, mais il ne faudrait pas utiliser la reconnaissance de nullité comme la seule porte de sortie à proposer aux divorcés-remariés, comme semblent le dire les épiscopats africains (cf. mon blog sur la lavie.fr). On risquerait de déclarer un peu vite : « quand vous vous êtes dit oui, ce n’était pas vraiment un oui, vous ne saviez pas ce que vous faisiez ». Est-ci si évident ? Certaines propositions de nullité peuvent être perçues comme une forme de négationnisme par celles et ceux qui ont souffert de l’échec douloureux d’un amour qu’ils ont vécu comme vrai et responsable au début de leur engagement.
Un changement de méthode au Synode
Celui-ci n’est pas anodin. En mettant d’emblée les participants au travail dans des groupes linguistiques et en limitant les interventions publiques à 3 minutes, les organisateurs ont évité que des mentors soient à nouveau tentés d’encombrer les séances par une certain pression, comme cela a été le cas lors du synode précédent. Cependant, ces groupes sont composés d’au moins trente personnes ( ce qui est lourd à animer), et s’il y a des couples et des observateurs présents (généralement soigneusement sélectionnés), ceux-ci doivent passer par un membre offociel pour avoir la parole. Certaines de leurs interventions ont permis cependant de revenir à la réalité concrète vécue aujourd’hui par beaucoup de couples en situation difficile. J’ai été très engagé avec des couples en pastorale familiale durant des années en France et j’ai énormément appris à leur contact à propos du mariage. Cependant, j’estime que rien ne remplace l’expérience vécue d’un couple et d’une famille au quotidien confrontés aux défis du monde d’aujourd’hui. Qu’on le veuille ou non, les décisions qui vont concerner l’intimité de millions de couples dans le monde seront prises par des hommes célibataires d’un certain âge qui ont reçu un même modèle de formation cléricale. Il leur faut donc être plus humbles et plus à l’écoute que jamais. Heureusement que l’Esprit Saint nous surprend souvent. C’est pourquoi je reste confiant dans son action dans le cœur des participants au Synode et dans la sagesse du pape François.
De session en session
Vous savez qu’à côté de mon travail d’accueil des victimes à Bukavu, je poursuis mon engagement au service de mes confrères et de mes consœurs, tant à Rome qu’en Afrique. Je suis heureux de rendre ce service à tant de personnes engagées dans des conditions parfois très précaires. Je m’enrichis énormément de leur partage d’expérience et du témoignage de leur foi et de leur courage. Après une session sur la transition vers le troisième âge, je viens d’en commencer une autre sur de l’art de vieillir dans la confiance pour les 70-80 ans. A l’automne, les vieux arbres fruitiers donnent encore de beaux fruits ! De Rome je pars à Kinshasa pour deux modules, pour des religieux, l’un sur la différence culturelle en communauté et l’autre sur les effets de la mondialisation sur la vie consacrée. Je passerai ensuite à Goma pour une session sur l’interculturalité pour nos jeunes candidats avant de rejoindre enfin Bukavu. Je n’y resterai qu’une semaine, car j’irai ensuite donner une retraite au Mozambique. Ne vous inquiétez pas, je prends des temps de pause entre chaque session, car je suis aussi en route vers le troisième âge ! Je rends grâce d’avoir la santé de pouvoir continuer à vivre ces engagements passionnants, même si c’est parfois dans des contextes troublés en Afrique. A tous, je redis mon amitié et ma gratitude. Votre soutien spirituel, moral et matériel nous est si précieux. Bernard
Cours de couture au centre Nyota-Maison du partage de Bukavu, financé par Germes d’espérance.

Il a accueilli l’an dernier près de 300 jeunes filles pauvres ou victimes de la guerre.



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