lundi 7 septembre 2015

REINSERER DES JEUNES FILLES VICTIMES DE VIOLENCES ET D’ABANDON EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
Le Centre Nyota- Maison du Partage  à Kadutu (Bukavu).
Le centre a été créé en 1986 par les Sœurs Dorothée de Cemo. Il est reconnu par les Œuvres sociales de l’archidiocèse de Bukavu et par l’Etat congolais.

L’objectif du centre : il s’agit de récupérer, encadrer et réinsérer des filles abandonnées, marginalisées  et désœuvrées qui n’ont pu être scolarisées. Il y a des « filles de la rue », des filles récupérées de la prostitution, des mamans célibataires. Plusieurs ont été victimes de violences sexuelles dans le cadre des conflits armés. L’âge varie entre 11 et 18 ans. En 2015, il y avait près de 300 jeunes accueillies et scolarisées durant la journée. Certaines avec leur enfant. La plupart restent chez un membre de leur famille élargie, une vingtaine sont dans des foyers d’accueil (auxquels il faut aussi donner une subvention).Un grand nombre de ces filles ont été traumatisées, soit au village lors des attaques des milices, soit dans des maisons de prostitution. On constate qu’à la suite de la banalisation des violences sexuelles par des hommes en uniforme jouissant de l’impunité, celles-ci se sont répandues en ville également, jusque dans la société civile.
Situation : Le centre a été pillé pendant la guerre de 1996. Il a alors été fermé.  L’année suivante, il a été rouvert par une laïque congolaise mère de famille nombreuse, Noella, qui y travaillait. Elle a elle-même 17 personnes à la maison et recueille parfois l’une ou l’autre fille sans foyer d’accueil. Noella gère le centre avec beaucoup de sérieux. Je collabore étroitement avec elle pour la gestion et le financement, ainsi que pour l’animation des enseignants, dans la mesure de mon temps libre. Je me charge aussi de trouver des bienfaiteurs et des subventions.
Services offerts: Le centre offre l’alphabétisation-conscientisation, la formation intellectuelle (les 6 années primaires en accéléré) et professionnelle (cuisine, coupe-couture, etc…).  en vue de les réinsérer dans la vie normale. Il fournit aussi de l’éducation morale et spirituelle ainsi que de la prévention contre les MST et une éducation à la sexualité positive. Il offre un micro-crédit ou un kit de réinsertion aux sortantes pour qu’elles aient une autonomie financière et ne retombent pas dans la rue ou la prostitution. Elles sont ensuite suivies pendant un certain temps. Ces jeunes filles recouvrent ainsi l’estime de soi et une place dans la société. Il emploie des animateurs et des enseignants  qui vivent difficilement avec un petit salaire mensuel.
Ressources :  Le centre ne reçoit aucune aide de l’Etat, ni du diocèse si ce n’est quelques locaux qu’il doit lui-même rénover et entretenir. Il s’autofinance en partie grâce à la vente des produits de la couture et de la cuisine. Le budget annuel est de plus de 20,000 US$, soit environ 20.000€. La mise en place de projets d’autofinancement (achat d’un champ de deux hectares pour du maraichage ainsi que de vingt vaches pour le lait et la reproduction) a  pour but, entre autres,  de relever le niveau de leur salaire. L’objectif est que le centre ne dépende plus d’aide extérieure pour les salaires (80-120 € par mois en moyenne pour un plein temps, pour une dizaine de personnes, soit actuellement un total de 1150 € par mois…) et les frais de réinsertions des jeunes à la fin de la scolarité. Il n’est actuellement autofinancé qu’à 20% car ces deux projets ont commencé il y a deux ans seulement. Le financement est assuré principalement par des dons des amis, surtout d’Europe, solidaires du projet.
Père Bernard Ugeux M.Afr. Le 7 septembre 2015
bernard.ugeux@gmail.com.


Une classe du centre Nyota

A PROPOS DU FOYER EKABANA A BUKAVU



Seul l’amour est digne de foi.

L’orage tropical se déchaîne sur la ville au moment où, dans l’obscurité, les neuf fillettes se faufilent dans la maisonnette qui vient de s’ouvrir à elles. En haillons, sales, certaines dévorées par la galle, elles vont enfin pouvoir dormir ailleurs que sous un arbre ou dans une carcasse de voiture. Cela fait combien de temps qu’elles ont été chassées de la maison familiale, accusées de sorcellerie ? parfois des mois… Les unes, parce que la nouvelle épouse de leur papa ne veut plus d’elle. Une d’entre elles est accusée d’avoir provoqué les fausses couches de la seconde épouse. Une autre de l’anémie de sa tante… Mais, en réalité, c’est bien souvent parce que la misère est telle à la maison qu’on ne peut ou ne veut plus les nourrir et les loger, surtout si elles viennent d’un  autre lit. Enfin ! Aujourd’hui, elles passeront la nuit au sec, même si le confort est relatif avec de simples couvertures qui recouvrent le ciment.

Par quel hasard échouent-elles ce soir là dans ce gîte providentiel ? C’est d’abord grâce à des animatrices d’un centre pour enfants de la rue qui faisaient une enquête sur les garçons abandonnés. Elles ont alors découvert qu’il y avait aussi des fillettes qui avaient été chassées de leur foyer, accusées de sorcellerie. Certaines étaient passées par  des « chambres de prière » où un pasteur les obligeaient à rester enfermées seules dans une chambrette, durant de nombreux jours, sans manger ni boire, les amenant régulièrement pour de bruyants rituels de guérison ou de dépossession dont ils ont le secret. Terrorisées, quelques unes ont réussi à s’enfuir et se sont retrouvées dans les terrains vagues et les détritus de la cité.  Touchées par ces témoignages, les jeunes enquêtrices apportèrent leur rapport au responsable, décidées à venir en aide à ces petites abandonnées. Mais il n’en était pas question.

« Pas de sorcières dans notre centre ! », déclare celui-ci, qui tient à sa réputation. Les animatrices sont atterrées. Elles apprennent alors qu’une personne s’occupe de handicapés et est particulièrement accueillante. C’est ainsi qu’elles viennent plaider la cause des petites auprès de N., une assistante sociale appartenant à un institut séculier,  qui est bien embarrassée. Comment les accueillir ? Celle-ci réalise soudain que la maisonnette qu’elle vient de recevoir pour commencer un secrétariat public avec des handicapés pourrait les accueillir au moins pour quelques jours. Elle se dit : « puisque j’ai cette clé en poche au moment où les enfants me sont amenées, je ne puis refuser ». Mais elle exige que deux animateurs les accompagnent car elle ne peut assurer la permanence. Elle est surtout préoccupée des réactions du voisinage si on sait que des « sorcières » sont hébergées dans le quartier. Est-ce un signe du ciel ? Au même moment arrivent dans la ville un grand nombre d’enfants non-accompagnés qui proviennent de l’autre côté du lac, où la ville vient d’être en partie ravagée par un volcan en irruption. Les petites seront donc assimilées à ces enfants non accompagnés. Pourtant, à ce moment, N. se demande si c’est vraiment à elle d’assumer ses enfants, car elle a d’autres engagements dans un centre social et vis-à-vis des handicapés.

Elle cherche un signe car elle n’a pas actuellement les moyens de les prendre en charge. Or voici que quelques jours après, elle reçoit un gros colis d’Italie remplis de vêtements, de pyjamas et de chaussures pour fillettes… Elle considère alors qu’elle a reçu sa réponse et décide de s’investir à plein temps dans l’aventure. Quelques handicapés sont aussi engagés pour certains services au foyer naissant. Ils deviennent vite nécessaires car, en peu de temps, les 6 copines de celles qui étaient arrivées chez N. ont retrouvé leurs traces et demandent aussi l’asile. Après deux mois, elles sont plus de vingt, pas toutes accusées de sorcellerie. Certaines ont été battues et chassées de la maison sans motif sérieux, d’autres ont été violées et ont besoin d’être reconstruites… On sait qu’une enfant battu par un adulte pense que c’est de sa faute. Aujourd’hui, 8 ans après, le foyer accueille 37 enfants pour une durée parfois de plusieurs  années, le temps pour elles de retrouver un nouvel équilibre et, pour les familles, d’accepter une médiation progressive afin de les réinsérer dans leur milieu. 70 filles sont retournées en famille, certaines sont encore aidées pour leur scolarisation. Mais il y a aussi 600 autres fillettes qui ont été repérées par les animateurs et qui ont besoin d’aller à l’école.

Grâce aux comités de vigilance créés dans les paroisses, elles ont été enregistrées et en partie prises en charge afin d’être scolarisées (l’enseignement primaire est payant dans ce pays !). Cette action s’est accompagnée de campagnes de sensibilisation des parents à propos des violences enfantines. On leur rappelle que le fait d'accuser une personne de sorcellerie est punissable par la loi. Quant aux aînées qui ont terminé leur scolarisation, un cours de coupe couture et la fourniture, à la fin de l’année, d’une machine à coudre aux plus investies d’entre elles, leur évitent de retourner à la rue (et parfois à la prostitution ; un tiers sont des mamans célibataires). Enfin, puisque la cause de ces drames est la pauvreté, les familles de ses enfants qui sont sans revenus reçoivent des instruments aratoires pour  cultiver un lopin de terre, améliorer leur subsistance et acquérir une nouvelle autonomie…

Faut-il dire que tout cela ne se fait pas sans une détermination et une espérance dont N. ne se départit pas ? Avec très peu de moyens, et uniquement l’aide d’amis africains et européens, elle s’active à faire fonctionner ce foyer au jour le jour avec une équipe de jeunes animateurs… La plus belle récompense ? Le retour à la maison quand c’est possible… En attendant, ce sont les rires et la joie des enfants quand on s’approche du foyer, même si certaines restent encore fragiles… Mais elles s’essaient tout doucement à commencer un chemin de pardon… Nous les prenons par la main. J’écris ton nom « Espérance ».









Kinshasa-Kigali, un accord entre Etats mais loin d’être endossé par les groupes rebelles.

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