Covid-19 en Afrique : entre étonnement et interrogations pour l’avenir
[Tribune] La réaction de l’Afrique au Covid-19 ne cesse d’étonner. Anthropologue et prêtre, Bernard Ugeux nous éclaire sur la gestion de la pandémie en Afrique sub-saharienne où il vit et travaille depuis des années.
Bernard Ugeux
Two men look out the window at a venue for the Lagos State Environmental Protection Agency (LASEPA) and the Lagos State Safety Commission Social Distancing Advocacy program at Ikorodu, Lagos. • ADEYINKA YUSUF/ISTOCK
La première surprise a été la résistance et la résilience des Africains à l’agression de ce virus inconnu. Il est question d’une seconde vague plus agressive de la première, qui, dans nos régions, concerne surtout l’Afrique du Sud (avec un nouveau variant du virus) et l’Ethiopie. Ici, les gens se disent : « mais nous n’avons pas encore vu de vraie première vague ».
Il existe un certain nombre de conjectures concernant les raisons pour lesquelles ce continent car a été moins impacté par le coronavirus. L’Afrique est assez isolée au niveau des déplacements par rapport au reste du monde, ensuite l’âge moyen est de 19 ans, le mode de vie se caractérise par beaucoup de temps passé à l’extérieur, certains font aussi allusion au climat de l’Afrique, mais il y a une grande variété de climats et ceux-ci ne sont pas si différents de ceux de l’Amérique latine, fortement impactée. Plus récemment, on a présenté des explications de type génétique, comme quoi il existerait une différence importante entre l’ADN des Européens et celle des habitants du continent noir.
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Résistance et immunité
Pour ma part, je considère qu’il y a une capacité de résilience particulière qui peut être due à d’autres éléments : un taux encore important de mortalité infantile qui laisse en vie les enfants en meilleure santé, un mode de vie souvent pénible où les personnes sont physiquement éprouvées, particulièrement quand elles sont malades et un manque de médicaments.
Il y a de ce fait une résistance et même une immunité qui se sont développées naturellement. Cette population n’a pas non plus attendu le coronavirus pour subir des maladies endémiques comme le paludisme, la rougeole, et la fièvre à virus Ebola. A tout cela, la population résiste depuis longtemps avec peu de moyens.
Faire face à l'adversité
J’ajouterais que l’analyse de ce phénomène de résistance ne devrait pas se limiter à une approche biologique. La forte solidarité entre les personnes qui soutient le moral des plus fragiles, la capacité à se réjouir de la vie, la foi profonde en un Dieu qui protège et qui guérit, musulmans ou chrétiens, sont aussi des éléments qui peuvent concourir au renforcement de l’immunité et à cette capacité étonnante de résilience….
Le Covid-19 ne rend pas les gens dépressifs, ils ne dramatisent pas, ils tournent les alertes en dérision, étant donné leur peu de ressources sanitaires. Il faut dire qu’il y a eu peu de confinement, impossible d’ailleurs dans des mégapoles africaines.
Avec tous les défis quotidiens que la majorité des Africains doivent relever, ne fusse que manger une fois par jour, ils ont appris à faire face à l’adversité sans dramatiser. Il existe certes une certaine classe moyenne ainsi qu’une petite élite très fortunée, mais ils ne sont pas représentatifs de la population et ce sont eux qui ont été les principales victimes de la pandémie.
Des statistiques peu fiables
On est d’autant plus étonné du peu de propagation de la pandémie quand on considère le peu de sérieux avec lequel les gestes barrières et les consignes sanitaires sont respectés. Les transports publics et les marchés sont bondés et bien souvent le masque n’est porté que quand il y a un policier en vue. Rien que se laver régulièrement les mains pose problème, les gens n’ayant pas les moyens d’acheter du gel hydroalcoolique et beaucoup n’ont pas accès à l’eau courante, en ville comme en milieu rural.
En outre, les statistiques sont rarement fiables. D’un côté, elles peuvent être forcées (par exemple, le nombre de personnes hospitalisées ou décédées) dans le but d’obtenir des subventions importantes de l’étranger, que se partagent parfois les autorités sanitaires aux dépens des populations. De l’autre, elles sont sous-estimées car certaines personnes contaminées ont peur de se déclarer et d’être enfermées en quarantaine quelque part.
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Certaines s’enferment elles-mêmes à la maison, d’autres utilisent des herbes médicinales qui, par inhalation et sudation, peuvent donner de bons résultats. Plusieurs personnes qui ont été atteintes dans mon entourage se sont contentées de s’isoler une ou deux semaines sans aucun médicament.
Des variations de prix pour les tests
Certains gouvernements ont géré la pandémie avec beaucoup de rigueur et de sérieux, cependant ailleurs, on a vu fonctionner les systèmes parallèles de corruption, d’impunité et parfois carrément de mafia concernant l’argent reçu de l’étranger ainsi que les matériels divers.
Dans plusieurs pays le ministre de la santé a fini par être mis en examen. En Tanzanie, c’est au Président de la République lui-même que des comptes ont été demandés par l’Union européenne, car les autorités du pays auraient reçu 25 millions pour gérer une urgence sanitaire qu’ils n’ont jamais déclarée.
On est aussi étonné de voir combien coûte un test d’un pays à l’autre et même d’une région à l’autre, le prix pouvant aller de 5 à 150 dollars (124 euros). En outre malgré l’urgence sanitaire, s’il y a un jour de congé dans certains pays, il n’est plus possible de se faire tester.
Méfiance sur les réseaux sociaux
On s’est donc énormément méfié des tests et on se méfie encore plus des vaccins. Des petites vidéos complotistes circulent à qui mieux sur les réseaux sociaux. De nombreuses personnes craignent qu’on impose le vaccin pour voyager, alors qu’elles sont décidées à ne jamais le prendre. Parmi les raisons avancées par certains, il y a le soupçon que le vaccin destiné à l’Afrique soit différent de celui des autres continents, avec une capacité de stériliser les femmes en vue de réduire la démographie en Afrique. D’autres pensent qu’on va y introduire des nanoparticules afin de pouvoir ensuite identifier les personnes et les contrôler.
Il faut reconnaître que les contradictions dans les déclarations des « experts » de tout bord qui passent à la télé (toutes les grandes villes sont couvertes par des réseaux satellitaires), ou sur les réseaux sociaux les déconsidèrent largement. Du coup, les gens se contentent d’un bon sens quotidien, sans dramatiser, sans se protéger suffisamment, mais en menant d’abord leur combat pour la vie avec courage, abnégation et une insuffisance de moyens pour se soigner.
L’avenir nous dira comment le continent continuera à évoluer, alors que certaines statistiques remontent ces derniers temps dans certains pays d’Afrique.