lundi 24 juin 2019

Lettre N°38, de Juin-Juillet 2019


Chères amies, chers amis,
Bonjour de Bukavu de la part de tous les bénéficiaires de l’aide de Germes d’Espérance. Un immense merci pour votre fidélité à nous soutenir dans nos efforts pour rendre le sourire à ces victimes dont le nombre ne diminue pas avec la multiplication des attaques de groupes armés sur les villages dans tout l’Est de la RD Congo. Merci aussi pour les clins d’œil spontanés de votre part qui nous aident à nous sentir moins isolés dans un pays où la feuilleton politique est toujours aussi ubuesque. Plus de cent jours après les « élections » présidentielles, il n’y a toujours pas de gouvernement, et le Parlement qui devrait l’avaliser est parti en vacances…
Pour la plupart d’entre vous – et moi-même qui arrive dans une semaine en Europe – l’été est à nos portes. C’est l’occasion privilégiée pour beaucoup d’entre nous de découvrir de horizons neufs ou de nouveaux visages, de nous retrouver entre amis ou parents, de prendre des moments de ressourcement et de calme, peut-être un temps de retraite, à la suite d’une période jaune qui a secoué beaucoup de monde en France. C’est aussi le moment de se souvenir que les plus beaux voyages sont intérieurs. C’est dans nos profondeurs que nous rejoignons le mystère de l’humanité, de la vie, du cosmos lui-même, comme le dit si bien la tradition hindouiste. On lit dans les Chandogya Upanishad : « Dans le centre du château de Brahman, qu'est notre corps, il y a un petit sanctuaire en forme de fleur de lotus et dedans on peut trouver un petit espace ; nous devrions chercher qui y demeure et désirer le connaître. [On y trouvera le cosmos tout entier] ». Alors je nous souhaite de joyeuses surprises, sans oublier celles et ceux qui à cette époque passent par des moments d’isolement ou de fragilité.
Je vous écris du bateau qui me ramène de Goma, au Nord du lac Kivu vers Bukavu, qui est tout au Sud. 6 heures de traversée où nous louvoyons entre les îles où des habitations souvent précaires se nichent dans les bananeraies et pâturent des vaches aux cornes disproportionnées. 
 

Je rentre d’avoir donné une conférence sur mon dernier livre « Prier quinze jours avec le Cardinal Lavigerie » (recommandé comme lecture de vacances par Germes d’Espérance 😊 !). Il y avait environ 250-300 auditeurs avec une chorale d’une cinquantaine de jeunes très dynamiques. Les populations de cette région sont très reconnaissantes aux Pères Blancs et aux Sœurs Blancs de leur avoir apporté la Bonne nouvelle depuis plus d’un siècle. A l’occasion de notre jubilé de 150 ans de fondation, diverses célébrations se multiplient dans les diocèses de Goma et de Bukavu, fondés par nos confrères (ainsi que plusieurs autres en RDC) à la suite de l’impulsion du Cardinal Lavigerie. Durant la présentation d’hier après-midi, dans ce cadre jubilaire, il y a eu plusieurs témoignages de chrétiens et de consacré.e.s qui ont mis l’accent sur le fait que chaque fois que nous fondions une paroisse et construisions une église, que nous lancions les 4 années de catéchuménat préparatoires au baptême et apprenions la langue locale, nous commencions l’alphabétisation, construisions des écoles primaires puis secondaires, enseignions des métiers dans des écoles professionnelles (maçonnerie, charpenterie, menuiserie, mécanique, etc.). Les Sœurs éduquaient les femmes aux arts ménagers et à la couture. Nous bâtissions des hôpitaux et formions des infirmiers et ensuite des médecins, nous apportions de nouvelles méthodes agricoles, des semences sélectionnées, améliorions les cheptels… Il y tant d’enseignants et de catéchistes de l’époque qui nous expriment leur reconnaissance encore ces jours-ci. Le souvenir est d’autant plus prégnant qu’il contraste avec la gabegie dans laquelle nous vivons aujourd’hui, où tant d’enfants se voient refuser l’accès à l’école primaire et tant de malades sont privés des soins parfois les plus urgents faute d’argent dans une nation richissime mais clochardisée par les pillages officiels.
Bref, une année jubilaire est un temps de profonde gratitude vis-à-vis du Seigneur et de nos anciens… et aussi d’humilité face aux erreurs, aux ambiguïtés, aux supériorités qui ont aussi laissé leurs traces.
Ces jours-ci, je me suis rendu compte que je vous ai déjà présenté mes collaborateurs pour les divers projets de Germes d’Espérance, mais pas ma communauté actuelle. Je dis actuelle car elle change presque chaque année.
C’est une communauté particulière car elle ressemble plus à un colombier qu’à une abbaye monastique. En effet, nous sommes sept résidents dont quatre sont souvent absents. C’est le quartier-général des Missionnaires d’Afrique pour une méga-province baignée de multiples grands lacs et composée du Rwanda, du Burundi et de la RD Congo (cinq fois et demie la France, traversée de part en part par le fleuve Congo, le second le plus puissant du monde après l’Amazone, par son débit. Il fait 4700 km de long et baigne 7 pays).
C’est là qu’est basée l’équipe provinciale : Emmanuel, le Provincial, congolais, Dennis, sont assistant, nigérian, Jérôme, congolais, économe provincial (trois grands voyageurs), Pierre, français, secrétaire provincial, Sébastien, congolais, procureur et économe de la maison, Michel, burkina-be, responsable du mouvement Xavéri et d’un centre d’animation étudiante. Enfin votre serviteur, belge, responsable pour l’Afrique de la formation permanente de notre Société, en déplacement la moitié de l’année (le reste étant pris en partie par les projets de Germes Espérance et l’accueil de survivantes). Le défi pour nous est évidemment de bâtir une authentique communauté alors que 4 confrères sur 7 sont souvent absents. Je trouve qu’il y a la volonté chez la plupart d’entre nous de donner la priorité à la vie de communauté quand nous sommes là et de rester en lien avec la communauté quand nous sommes en déplacement. En plus, il y a du progrès dans l’ouverture réciproque concernant nos divers engagements. Nous ne sommes pas seulement appelés à être une communauté de témoins, qui sont chacun bien engagés de leur côté mais plutôt invisibles en communauté, mais surtout à être une « communauté témoin » qui, par la qualité de la proximité et de la joie fraternelles témoigne de la présence du Christ en son sein, au-delà de ce que « font » les membres. Personnellement, c’est là que je me sens « à la maison » (depuis près de 10 ans) et me refais humainement et spirituellement quand je rentre de voyage. C’est pour cela j’aime partager avec mes confrères sur ce qu’ils vivent et sur ce j’ai moi-même découvert durant mes absences, même si, certaines années, certains exprimaient peu d’intérêt pour le confrères de retour parfois après une longue absence. Rien n’est parfait. C’est le cher Jean Vanier qui vient de nous quitter qui disait que la communauté est un lieu de pardon et de fête. Oui, nous le vivons ainsi.
Quelques nouvelles de l’année scolaire qui se termine. Au centre professionnel de Kamituga où 37 jeunes apprennent la menuiserie plutôt que d’être exploités dans la mine d’or, nous allons sortir une seconde promotion. L’augmentation de leur nombre nous a contraints à ajouter un hangar, des établis et des outils. De même il faudra fournir 37 kits de réinsertion pour chacun d’entre eux, afin qu’ils deviennent autonomes. Il y a encore du progrès à faire dans la gestion, mais c’est plein de promesses.
Au Centre Nyota, avec ses 250 jeunes, surtout des filles, victimes de toutes sortes d’abus, la réunion d’évaluation que je viens de tenir avec les 14 membres du personnel a montré qu’il y a un bon esprit de collaboration, un vrai souci des enfants qui sont maltraités dans certaines familles d’accueil, que les enseignants visitent, et cette année une religieuse assure une journée d’écoute personnelle et de catéchèse. Je leur donne quelques récollections et à l’occasion de notre jubilé, les enseignants sont allés en pèlerinage au lieu où est arrivé le premier Père Blanc près du lac Kivu. Ce fut un beau moment fraternel et spirituel. 
MERCI A VOUS  et passez un bel été! 
Bernard et ses collaborateurs.

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