Chères
amies et chers amis,
Noël
est proche et je viens vous souhaiter d’accueillir cette Bonne
Nouvelle d’espérance dans vos cœurs et dans vos familles. Pour
certain-e-s il s’agit peut-être surtout d’une fête de fin
d’année aux résonances familiales, et je vous souhaite de
joyeuses retrouvailles, pour d’autres c’est l’attente ravivée
d’un amour plus profond et plus fort pour renouveler nos sociétés
en quête de sens où l’implication de Dieu dans notre aventure
nous garde confiants dans l’avenir. A
tous et toutes, bonne fête de Noël.
J’en
profite pour vous remercier pour le soutien fidèle de celles et ceux
qui, parmi vous, ont compris à quel point notre œuvre de
reconstruction des personnes blessés par la vie (et on parle
beaucoup aujourd’hui, dans le monde, des victimes de violences
sexuelles, plus seulement ici !) ne peut se faire que dans la
durée. La plupart des jeunes femmes accueillies dans notre centre y
passent trois ans pour reconquérir leur autonomie. Votre générosité
rend possible cette reconstruction au quotidien, au rythme de
chacune.
Quelques
nouvelles de la Société des Missionnaires d’Afrique.
L’an
prochain, nous commençons la célébration de notre
jubilé de 150 ans de fondation
par le Cardinal Lavigerie « des Pères Blancs et des Sœurs
Blanches » appelés aujourd’hui Missionnaires d’Afrique.
C’est
l’occasion d’une profonde action de grâce pour la fécondité de
nos deux instituts qui deviennent de plus en plus africains tout en
restant ouverts sur le monde. Notre grand âge ne nous empêche
d’être tournés vers l’avenir. Nous ne sommes plus qu’environ
1200 membres avec une moyenne d’âge élevée. Mais si le nombre
d’occidentaux diminue, les jeunes en formation augmentent, ils
proviennent du Sud (Afrique, Amérique latine) et d’Extrême-Orient
(où nous sommes, depuis 25 ans, en Inde et aux Philippines): plus de
500 jeunes sont en formation à travers le monde. Le plus grand
nombre est en premier cycle et s’il n’y en a généralement que
25 % qui arrivent à l’engagement définitif, ces jours-ci, 34
d’entre eux vont prononcer leur serment missionnaire!
Le Cardinal Lavigerie |
En
outre, depuis quelque temps et, entre autres, en lien avec les
mouvements de migration, nous avons à nouveau des fondations en
Europe à la demande des évêques. Après Marseille et Toulouse,
c’est le tour de Karlsruhe et de Liverpool qui sont lancés ces
mois-ci, sans oublier un centre à Montréal (Canada) qui existe
depuis plus longtemps. Bref, nous avons beaucoup de raisons de nous
réjouir. D’autant plus que la collaboration entre la branche
masculine et la branche féminine se renforce d’année en année.
Un exemple, ce sont les sessions que j’anime avec une religieuse
chaque année à Rome pendant deux mois où, depuis trois ans, les
Pères, les Frères et les Sœurs âgés se retrouvent ensemble pour
ce temps de renouveau. Sur le terrain, en Afrique, nous nous
retrouvons régulièrement dans le cadre des célébrations du
jubilé.
La
RD Congo est toujours en grande difficulté
La
situation de notre pays ne fait qu’empirer alors que certaines
autorités semblent tout faire pour que les élections, déjà
retardées de deux ans, n’aient pas lieu dans les délais enfin
fixés (fin 2018).
Non
seulement la situation continue à se dégrader à cause de la
dévalorisation de la monnaie
nationale, mais la situation sécuritaire
s’aggrave (14 casques bleus tués dans l’est il y a quelques
jours). Les violences ont des conséquences dramatiques : deux
millions d’enfants risquent une grave malnutrition
dans les provinces du Kasaï à la suite des déplacements de
populations qui ont suivi les massacres qui semblent avoir eu pour
but de retarder les élections (par qui ?). Or on ne sait
toujours pas qui a assassiné le 12 mars les deux experts de l’ONU
venus enquêter sur les charniers
découverts par dizaines dans ces provinces, étant donné la façon
dont la justice gère la question.
Quant
à la situation de déplacés, Ulrika Blom, directrice du Conseil
Norvégien des réfugiés
en RDC. a affirmé : «C’est une méga crise. L’échelle des
personnes fuyant la violence en RDC est au-dessus des limites,
dépassant la Syrie, le Yémen et l’Irak», il y a une moyenne de
5.500 personnes par jour qui sont déracinées de leur milieu de vie
à la suite des violences et de l’insécurité1.
Le
ralentissement des investissements
étrangers est aussi lié à cette insécurité et au fait que le
Président ne s’est toujours pas prononcé à propos d’un
éventuel troisième mandat (qui serait anticonstitutionnel) malgré
la demande pressante des évêques, en vue de ramener la paix. D’où
la stagnation économique. En outre, comme le signale le FMI, la RDC
ne mobilise qu’un septième des taxes
qu’elle devrait percevoir dans le secteur minier.
Par
ailleurs, le choléra touche actuellement 23 des 26 provinces de la
république. Selon le programme national d’élimination du choléra
qui a livré cette information à Radio Okapi (radio nationale gérée
par l’ONU), cette maladie continue de se propager en atteignant des
proportions inquiétantes.
Excusez
cette succession de mauvaises nouvelles, mais vous qui nous soutenez
avez le droit de savoir ce que la population vit aujourd’hui comme
lutte pour la survie et pourquoi nous continuons à faire appel à
vous.
Un
procès historique ?
A
une trentaine de km de Bukavu, à Kavumu, dans le procès qui vient
de s’achever, 12 miliciens ont été condamnés à la prison à
perpétuité, pour des viols d’enfants. C’est
un grand espoir pour l’avenir.
Entre 2013 et 2016, près de 40 fillettes ont été enlevées chez
elles la nuit, violées puis abandonnées dans la campagne aux
alentours. Elles avaient, au moment des faits, 12 ans pour la plus
âgée, 8 mois pour la plus jeune. Au moins deux en sont mortes. La
milice appelée Armée
de Jésus
était dirigée par un député provincial du Sud-Kivu, Frédéric
Batumike, dont l’immunité a été levée. C’est le
« guérisseur » traditionnel inspirateur du groupe qui
avait poussé ces miliciens à ces pratiques afin de renforcer leur
énergie vitale pour la guerre. La plupart de ces fillettes ont été
soignées à l’hôpital Panzi de Bukavu, par le Dr Mukwege, devenu
très connu grâce aux divers prix
qu’il
a reçus un peu partout dans le monde (dont le prix Sakharov et
l’alternatif du Nobel). La dernière fois que je l’ai rencontré,
il tenait par la main une fillette toute menue qu’il venait
d’opérer et dont il m’a dit : « je suis désolé,
malgré l’opération, elle ne pourra jamais avoir d’enfant ».
Espérer
contre toute espérance
Faut-il
vous dire que j’aurais préféré vous donner des nouvelles plus
réjouissantes à l’approche de Noël ? Mais vous êtes
suffisamment informés sur le désordre mondial qui prévaut pour ne
pas vous étonner de ce qui se passe chez nous, dont je vous parle
régulièrement. Les
gens sont d’un courage incroyable,
malgré l’augmentation des frais scolaires et la fragilisation de
leur petit commerce qui déséquilibrent complètement le budget des
ménages.
Je
rappelle ce que j’écrivais dans ma lettre précédente, pour la
dernière année scolaire, au centre Nyota, il y a eu 98 % de
réussites à l’examen de fin du cycle primaire et les résultats
au concours de couture ont été excellents. Les filles sont tenaces
et tiennent à s’en sortir. Les gens continuent à croire dans la
vie, à se préparer à célébrer Noël, à se procurer de jolis
vêtements pour leurs enfants, à répéter les cantiques de la messe
de minuit avec enthousiasme. Car l’évocation d’un Dieu qui s’est
fait homme – Emmanuel, Dieu avec nous – a d’autant plus de sens
pour ceux qui sont fragilisés. Ils croient que le pire n’est pas
le plus sûr et que la solidarité peut l’emporter l’indifférence
pour les plus fragiles.
Merci
de tout cœur pour votre amitié ! Bernard
Répétition
de danses liturgiques par les petites danseuses du Foyer Ekabana (qui
accueille des fillettes orphelines ou accusées de sorcellerie).
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