dimanche 1 janvier 2017

Lettre n°28, du 1er janvier 2017


Chères amies, chers amis,

A tous et à toutes, je vous souhaite de commencer cette nouvelle année en tirant les leçons des déceptions de l’année 2016, sans oublier pour autant les nombreux acquis par tant de mouvements alternatifs qui préparent une société plus humaine car plus responsable et fraternelle, en choisissant la solidarité plutôt que le rejet et l’exclusion. Que cette année 2017 soit marquée par le discernement et l’ouverture à ce qui donne vie pour tous, sans exclusion.
Je voudrais consacrer une partie de cette lettre à des réflexions personnelles sur la situation que nous vivons actuellement dans le monde.

2016… la fin des illusions…

L’année 2016 a apporté beaucoup de violences, de terrorisme, d’inquiétudes et ce n’est sans doute pas fini. Elle a aussi apporté des surprises, le Brexit, Trump, la montée des populismes en réponses à l’accueil des migrants, le rejet du Président Kabila par une partie de la jeunesse de la RDC.
Si ces événements sont arrivés par surprise pour un grand nombre, ils étaient cependant préparés depuis longtemps.
A propos des migrants, j’écrivais sur mon blog (http://www.lavie.fr/blog/bernard-ugeux/) le 10 novembre 2011 : « Un projet de société qui veut offrir un horizon de sens et un espoir de progrès dans l’humanisation des personnes et de la planète peut-il se limiter au maintien égoïste d’un acquis, à une crispation sur ses avantages? Peut-on se contenter d’un projet de vie où on se protège de tout (et surtout du partage) en lorgnant vers le nationalisme, le protectionnisme et le populisme? L’Europe est tentée par le syndrome de la forteresse. Tant qu’on en restera au quantitatif, tant que l’horizon pour l’avenir sera la sécurisation des acquis du passés, il n’y a plus ni avenir ni horizon. Il y a ici un réel risque de déshumanisation. Car l’être humain n’existe pas d’abord pour avoir, mais pour être et être avec et pour les autres. Bergson parlait de supplément d’âme… C’est pourquoi, il est très important aujourd’hui d’être à l’écoute de certains groupes alternatifs qui sont moqués par les majorités comme de pures utopistes. (…) se protéger des migrants qui pourraient abuser de certains avantages, contrôler les lieux de la planète où il y a encore des réserves d’hydrocarbures, dont la pénurie est régulièrement annoncée au détriment des nations peu développées, pose déjà beaucoup plus de questions. Car derrière cette préoccupation de maintenir les « avantages acquis », on semble continuer à considérer comme normal que 20% de la population mondiale jouissent de 80% des ressources de la planète ». C’est souvent parce qu’ils sont pillés de leur richesses naturelles et humaines que tant de migrants économiques se ruent vers nos pays, en plus de la mauvaise gouvernance de leur pays (parfois complice)! Quant aux réfugiés politiques, qui a déstabilisé la plupart des états du Proche Orient au nom de la démocratie… et au profit du contrôle des hydrocarbures et d’autres richesses naturelles?
Quant au Brexit et à D. Trump, j’écrivais le 9 novembre 2016 sur Facebook : « Le succès du populisme aux Etats-Unis, comme lors du Brexit, m'interpelle sur le décalage entre les "élites" (qui ne vivent pas toujours les grandes valeurs au nom desquelles elles se considèrent comme des élites, et je peux me mettre moi-même en question) et une majorité silencieuse et laissée pour compte. Celle-ci a perdu espoir face à la succession des crises qui ont marqué cette dernière décennie et elle se laisse sans doute trop facilement piéger par la démagogie. Mais a-t-on entendu leur cri depuis des années? Qu'ont répercuté les médias de ces partisans de la base qui ont afflué aux meetings de Trump? Juste du mépris...»
La révolte de tout un peuple britannique ou américain, qui ne forme pas la classe la plus défavorisée, contre un modèle politique dominé par une certaine vision de la mondialisation démontre le manque d’intérêt de la part des décideurs pour les véritables aspirations de l’humanité. Il n’y a pas que le profit maximum et immédiat qui compte. On a cru que le consumérisme remplacerait l’aspiration profonde de l’humanité à une responsabilité dans les décisions concernant son avenir par un gavage au niveau de l’avoir… Il ne suffit pas de calculer le PIB pour évaluer la croissance réelle d’un peuple, surtout quand il ne rend compte que des avantages d’une minorité comme en Afrique. En RDC, le PIB a augmenté de façon remarquable ces dernières années, mais je n’ai vu la création que de quelques emplois privés dans mon entourage, alors que l’opulence du niveau de vie des gens au pouvoir est un objet de scandale pour le peuple. Les peuples ont autant besoin d’un sens à leur vie que de biens à posséder.
La révolte des jeunes africains : J’écrivais aussi sur mon blog, le 30/9/2016 : « (…) dans certains pays, le plus grand nombre de jeunes diplômés sont au chômage alors qu’ils voient leurs responsables politiques jouir d’un train de vie provoquant. Leur détermination s’exprime dans les grands risques que prennent ces manifestants lorsqu’ils s’engagent sur une avenue avec leurs calicots en sachant qu’il est probable qu’on leur tirera dessus avec des balles réelles, parfois à la hauteur de la tête ou de la poitrine. Ou bien que s’ils se font prendre, même s’ils manifestent pacifiquement, il feront l’objet de procédures expéditives et de conditions inhumaines d’emprisonnement. Or, de pays en pays, et de manifestations en manifestations, il y en a de plus en plus qui se présentent et prennent de tels risques ». C’est ce que viennent de faire les jeunes Congolais des mouvements Filimbi et Lucia ces derniers temps en RDC, en réaction au maintien au pouvoir du Président en fin de mandat. Heureusement qu’il semble qu’on ait trouvé un compromis satisfaisant aujourd’hui à Kinshasa, qui a permis à ces jeunes de décider de rester fidèles à leur option non-violente et d’œuvrer pour la paix. Mais ils restent mobilisés, car ces jeunes diplômés n’ont pratiquement aucun avenir et ils ne veulent plus se laisser manipuler par de fausses promesses.

L’espérance n’est pas morte…
La préparation de Noël a été difficile en RDC car tout le monde était aux aguets concernant l’issue de la concertation entre majorité et opposition que tentaient de gérer les évêques du Congo et qui était censée durer trois jours. Elle a duré près de 3 semaines et rien n’était clair la veille de Noël. Elle faisait suite aux manifestations parfois violentes des 19 et 20 décembre, date de la fin de mandat – non renouvelable – du Président de la République, décidé à rester au pouvoir jusqu’à l’arrivée de son successeur. Il y a eu de nombreux morts. Depuis lors, la plupart des institutions de l’Etat sont devenues illégitimes. L’urgence était d’organiser des élections présidentielles et parlementaires qui avaient été retardées officiellement ( !) par manque de moyens. Il fallait aussi gérer la transition, s’assurer que le président ne tenterait pas de se représenter, et bien d’autres enjeux dont certains ne sont pas encore convenablement pris en compte. Nous avons cependant célébré Noël avec l’enthousiasme habituel dans les églises (puisqu’il n’y a pas de quoi réveillonner à la maison). Quant au Nouvel an, c’est en pleine nuit qu’un accord a été signé par la plupart des participants des parties prenantes de la majorité et de l’opposition sur une grande partie des points litigieux, grâce à la médiation ferme et patiente des évêques confrontés à un public qui recherchait souvent ses avantages personnels plutôt que le bien commun. Nous espérons donc qu’il n’y aura plus de violences politiques dans l’immédiat, même si les massacres se poursuivent ici dans l’Est, surtout dans la Nord-Kivu (35 morts durant la nuit de Noël).

Quelques mots de nos projets caritatifs.
La dévalorisation de la monnaie nationale entraîne une perte de pouvoir d’achat pour des ménages dont certains ne mangeaient déjà qu’un jour sur deux. La crise économique concernant les mines et les matières premières a aussi entraîné des conséquences (entre autre sur les salaires de la fonction publique). Par ailleurs, à Bukavu, c’est la saison des pluies, qui sont parfois diluviennes. Elles inondent et renversent les maisons en planche de populations accrochées à flanc de colline. Mais les gens essaient d’être solidaires à travers tout, particulièrement vis-à-vis des prisonniers dont le nombre est parfois dix fois plus important que la capacité d’accueil. L’équipe d’aumônerie est soudée et dynamique, elle est soutenue par les communautés de base qui apportent de la nourriture, mais elles ne peuvent se substituer à l’Etat.
Concernant nos projets, cette année 2016 a pu se clôturer avec des résultats positifs, grâce entre autres à des dons exceptionnels. Nous allons envoyer un rapport détaillé à certains d’entre vous qui ont montré de l’intérêt pour nos engagements. Ceux qui ne l’auraient pas reçu peuvent le demander à Bruno Vaillant dont l’adresse est ci-dessous.
Et MERCI à vous qui nous soutenez fidèlement ! Ne vous lassez pas, pour que nous tenions le coup ! Oserais-je vous confier qu’il y a des jours où la lassitude nous pèse devant tant de précarité difficile à gérer, tant sur le plan psychologique que financier ? Nous comptons sur votre prière, vos messages de solidarité et votre partage… qui rend possible l’impossible… Belle année 2017 !
Bernard, votre frère.
Notre communauté Missionnaires d’Afrique à Bukavu  (RDC) : de gauche à droite, Alex Goffinet (Belge), votre serviteur, François-X. Bigeziki (Rwandais), Jérôme Kodjo (RDC), Pierre Petitfour (Français) et Gilbert Bujiriri (RDC).
 

Kinshasa-Kigali, un accord entre Etats mais loin d’être endossé par les groupes rebelles.

  Pour une paix durable à l’Est du pays, faudra-t-il un arrangement entre Etats ? Ou alors une harmonisation avec les groupes rebelles ? S’i...