Chères
amies, chers amis,
Me
voici à nouveau à Rome où l’automne revêt de sa lumière dorée
les parcs et les fontaines qui ajoutent leur charme aux nombreux
monuments historiques qui embellissent cette ville.
Comme
chaque année, j’anime les deux sessions organisées au profit des
confrères et consœurs qui sont soit en transition vers le troisième
âge, soit comptent déjà parmi les Séniors. Un temps de relecture
de leur histoire, sous le regard bienveillant du Seigneur, leur
permet de faire le point sur leur vie passée et actuelle. Or, ce qui
n’est pas intégré à cet âge peut être désintégrant et
empêcher de trouver la sérénité dans cette période de
fragilisation et de nouvelles découvertes. Chaque année je suis
frappé par l’investissement des participants et par la joie qui en
découle.
Je
ne suis pas pour autant à l’abri des soucis du Congo, puisque hier
notre Président de la République, Joseph Kabila, a rencontré le
pape François comme il le souhaitait depuis un certain temps. Il
aurait peut-être pu prévoir que ce serait une date risquée puisque
la semaine dernière il y a eu d’importantes émeutes à Kinshasa
(avec la mort d’une soixantaine de victimes sans compter les
blessés et les destructions) car il n’avait pas convoqué les
élections présidentielles à la date prévue. L’ONU dénonce une
violence disproportionnée dans la répression. En outre, la
Constitution ne lui permet pas de se représenter une troisième
fois, mais il reste silencieux sur ce point. Le pape lui en a-t-il
parlé ? Nous attendons de voir la suite.
Quelques
jours plus tard, un tremblement de terre (4,8 sur l’échelle de
Richter) a secoué plusieurs fois ma ville de résidence, Bukavu,
dans l’est du pays. Il y a eu six morts et des dégâts matériels
dont je ne connais pas encore l’amplitude. Je reste en contact
étroit avec les personnes soutenues par Germes d’espérance et je
sais que la maison à étage que nous avons construite l’an dernier
pour des enfants abandonnés, grâce à vous, est restée intacte.
Mai à l’heure où je vous écris on parle de nouvelles secousses.
Pour
le moment, c’est la rentrée scolaire qui est un casse-tête pour
les parents puisque l’enseignement est officiellement gratuit mais
il est obligatoire que les parents payent les frais scolaires. Comme
ils ont tous des familles nombreuses… Notre réseau assume les
frais scolaires de nombreux enfants
Avant
de reprendre mes activités dans la ville éternelle, j’ai pu
prendre des vacances en France et en Suisse qui m’ont fait beaucoup de bien.
Tout d’abord, malgré mes 70 ans, les contrôles médicaux sont
bons et je suis apte pour le service en Afrique encore pour un
certain temps. J’ai pu le vérifier à l’occasion d’une semaine
de marche dans les Alpes au-dessus du Grand Bornand avec un ami très
cher. Ce passage en France fut aussi l’occasion de rencontrer un
certain nombre d’amis et de présenter nos activités lors d’une
sympathique soirée toulousaine. J’ai aussi eu la joie de
rencontrer quatre communautés monastiques qui nous portent dans leur
prière : les trappistes de Tamié, les bénédictines de
Venière, les carmélites de Plappeville (Metz) et de Marienthal.
Leur fraternelle hospitalité m’a beaucoup touché de même qu’ils
ont pu approcher de plus près nos activités grâce aux vidéos que
je leur ai présentées. Rien de tels que des visages pour porter la
prière d’intercession.
A
côté de mon travail d’accueil et de réintégration des personnes
victimes de traumatisme au Kivu, je continue mes tournées de
formation aussi bien dans mon diocèse que dans différents pays
d’Afrique. Parmi ces formations, il y a, par exemple, deux modules
que je donne au Centre spirituel de Mbudi, à Kinshasa, et ailleurs,
qui propose une session de trois mois pour des personnes qui vivent
le passage (appelé parfois crise, c’est selon) du milieu de la
vie. En dehors de l’accompagnement individuel et de différentes
approches d’ordre psychologiques, des modules sur des questions
actuelles sont proposés. Les miens portent sur « vivre
l’interculturalité au quotidien » et sur « l’impact
de la mondialisation sur la vie religieuse », avec une
référence aux médias sociaux. Le premier module veut prendre en
compte la grande diversité culturelle qui se rencontre dans les
communautés religieuses. Les différences peuvent provenir de
l’origine des membres (continent, pays, ethnie…) ou bien des
générations. En effet, grandes sont les différences entre des
jeunes qui prononcent leurs premiers vœux et les anciens ou
anciennes. Elles concernent presque tous les domaines de la vie
communautaire : le rapport au pouvoir, à l’argent, à la
famille, aux études, au temps (ponctualité), aux communications
sociales, aux loisirs, aux déplacements… Tous ces domaines peuvent
être la cause de frictions, de tensions et au mieux de négociations.
Le défi est de permettre à chacun de vivre pleinement son identité
sociale et culturelle dans le respect de l’altérité. Ce qui
implique d’accepter de mettre en question certains aspects de sa
culture et de considérer la différence comme une source de richesse
plutôt que comme une menace pour son identité ou sa liberté. Cela
demande une ouverture du cœur et une vie fraternelle où on prend le
temps de s’écouter. Heureusement que le temps est passé où l’on
définissait une famille heureuse ou une communauté réussie par
l’absence de conflit. Aujourd’hui, on reconnaît que la réussite
d’une vie commune repose plutôt sur la capacité de gérer le
conflit et de le transformer en source de croissance pour la
communauté. Certes, il y a conflit et conflit, et certains peuvent
se régler par le simple bon sens et un minimum de bienveillance.
Mais il y a des conflits qui touchent des questions de fond, comme
les domaines que je viens de citer auxquels on peut ajouter la
conception de la prière, des engagements apostoliques ou des
exigences communautaires. C’est pourquoi chaque communauté est
invitée à rédiger un projet communautaire à l’élaboration
duquel tous, toutes, participent et qu’ils s’engagent à mettre
en pratique. C’est un cadre privilégié pour aborder les conflits
quand ceux-ci sont importants ou lors des évaluations du projet. En
écrivant ceci, je suis bien conscient que la même problématique
peut se rencontrer dans une entreprise ou dans une famille. Il
n’existe pas de famille sans conflit, particulièrement quand les
enfants deviennent des ados ou quand les parents traversent l’étape
du milieu de la vie, par exemple. Ou quand ils arrivent au troisième
âge et doivent revisiter leur histoire et se fixer de nouvelles
priorités. On ne cessera jamais d’avoir besoin de prendre le temps
de se parler ! Et cela est une décision…
Quant
à la session sur la mondialisation, elle constate que celle-ci est
souvent vécue en Afrique comme une agression, à cause de la façon
dont ce continent est marginalisé par rapport aux flux financiers ou
digne d’intérêt que dans la mesure où il y a des matières
premières à piller ou des grands espaces à exploiter pour
l’agrobusiness, dont les biocarburants. De même que des Eglises
d’Afrique sont effrayées par les évolutions par rapport au
mariage et à la bioéthique. Se sentant menacés dans leurs valeurs
traditionnelles, des responsables ecclésiastiques font parfois
preuve d’une inquiétante rigidité, surtout quand le Pape François
appelle à la fin du cléricalisme et des « évêques
d’aéroport » (cf. le prurit de la célébration des jubilés
de tous ordres…). Les défis pour les Eglises d’Afrique comme
pour les Etats africains sont énormes car ils ont l’impression
d’être face à un rouleau compresseur… D’où l’intérêt de
communautés interculturelles où, à cette échelle déjà, la
différence peut être discernée et reconnue de façon bienveillante
et critique… Mais n’est-ce pas aussi un défi pour les
occidentaux ? Il me semble que dans ce domaine-là aussi nous
avons besoin de nous entraider…
Et
MERCI à vous qui nous soutenez fidèlement !
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