jeudi 29 septembre 2016

Lettre N°27, du 27 septembre 2016


Chères amies, chers amis,



Me voici à nouveau à Rome où l’automne revêt de sa lumière dorée les parcs et les fontaines qui ajoutent leur charme aux nombreux monuments historiques qui embellissent cette ville.

Comme chaque année, j’anime les deux sessions organisées au profit des confrères et consœurs qui sont soit en transition vers le troisième âge, soit comptent déjà parmi les Séniors. Un temps de relecture de leur histoire, sous le regard bienveillant du Seigneur, leur permet de faire le point sur leur vie passée et actuelle. Or, ce qui n’est pas intégré à cet âge peut être désintégrant et empêcher de trouver la sérénité dans cette période de fragilisation et de nouvelles découvertes. Chaque année je suis frappé par l’investissement des participants et par la joie qui en découle.

Je ne suis pas pour autant à l’abri des soucis du Congo, puisque hier notre Président de la République, Joseph Kabila, a rencontré le pape François comme il le souhaitait depuis un certain temps. Il aurait peut-être pu prévoir que ce serait une date risquée puisque la semaine dernière il y a eu d’importantes émeutes à Kinshasa (avec la mort d’une soixantaine de victimes sans compter les blessés et les destructions) car il n’avait pas convoqué les élections présidentielles à la date prévue. L’ONU dénonce une violence disproportionnée dans la répression. En outre, la Constitution ne lui permet pas de se représenter une troisième fois, mais il reste silencieux sur ce point. Le pape lui en a-t-il parlé ? Nous attendons de voir la suite.

Quelques jours plus tard, un tremblement de terre (4,8 sur l’échelle de Richter) a secoué plusieurs fois ma ville de résidence, Bukavu, dans l’est du pays. Il y a eu six morts et des dégâts matériels dont je ne connais pas encore l’amplitude. Je reste en contact étroit avec les personnes soutenues par Germes d’espérance et je sais que la maison à étage que nous avons construite l’an dernier pour des enfants abandonnés, grâce à vous, est restée intacte. Mai à l’heure où je vous écris on parle de nouvelles secousses.

Pour le moment, c’est la rentrée scolaire qui est un casse-tête pour les parents puisque l’enseignement est officiellement gratuit mais il est obligatoire que les parents payent les frais scolaires. Comme ils ont tous des familles nombreuses… Notre réseau assume les frais scolaires de nombreux enfants



Avant de reprendre mes activités dans la ville éternelle, j’ai pu prendre des vacances en France et en Suisse qui m’ont fait beaucoup de bien. Tout d’abord, malgré mes 70 ans, les contrôles médicaux sont bons et je suis apte pour le service en Afrique encore pour un certain temps. J’ai pu le vérifier à l’occasion d’une semaine de marche dans les Alpes au-dessus du Grand Bornand avec un ami très cher. Ce passage en France fut aussi l’occasion de rencontrer un certain nombre d’amis et de présenter nos activités lors d’une sympathique soirée toulousaine. J’ai aussi eu la joie de rencontrer quatre communautés monastiques qui nous portent dans leur prière : les trappistes de Tamié, les bénédictines de Venière, les carmélites de Plappeville (Metz) et de Marienthal. Leur fraternelle hospitalité m’a beaucoup touché de même qu’ils ont pu approcher de plus près nos activités grâce aux vidéos que je leur ai présentées. Rien de tels que des visages pour porter la prière d’intercession.

A côté de mon travail d’accueil et de réintégration des personnes victimes de traumatisme au Kivu, je continue mes tournées de formation aussi bien dans mon diocèse que dans différents pays d’Afrique. Parmi ces formations, il y a, par exemple, deux modules que je donne au Centre spirituel de Mbudi, à Kinshasa, et ailleurs, qui propose une session de trois mois pour des personnes qui vivent le passage (appelé parfois crise, c’est selon) du milieu de la vie. En dehors de l’accompagnement individuel et de différentes approches d’ordre psychologiques, des modules sur des questions actuelles sont proposés. Les miens portent sur « vivre l’interculturalité au quotidien » et sur « l’impact de la mondialisation sur la vie religieuse », avec une référence aux médias sociaux. Le premier module veut prendre en compte la grande diversité culturelle qui se rencontre dans les communautés religieuses. Les différences peuvent provenir de l’origine des membres (continent, pays, ethnie…) ou bien des générations. En effet, grandes sont les différences entre des jeunes qui prononcent leurs premiers vœux et les anciens ou anciennes. Elles concernent presque tous les domaines de la vie communautaire : le rapport au pouvoir, à l’argent, à la famille, aux études, au temps (ponctualité), aux communications sociales, aux loisirs, aux déplacements… Tous ces domaines peuvent être la cause de frictions, de tensions et au mieux de négociations. Le défi est de permettre à chacun de vivre pleinement son identité sociale et culturelle dans le respect de l’altérité. Ce qui implique d’accepter de mettre en question certains aspects de sa culture et de considérer la différence comme une source de richesse plutôt que comme une menace pour son identité ou sa liberté. Cela demande une ouverture du cœur et une vie fraternelle où on prend le temps de s’écouter. Heureusement que le temps est passé où l’on définissait une famille heureuse ou une communauté réussie par l’absence de conflit. Aujourd’hui, on reconnaît que la réussite d’une vie commune repose plutôt sur la capacité de gérer le conflit et de le transformer en source de croissance pour la communauté. Certes, il y a conflit et conflit, et certains peuvent se régler par le simple bon sens et un minimum de bienveillance. Mais il y a des conflits qui touchent des questions de fond, comme les domaines que je viens de citer auxquels on peut ajouter la conception de la prière, des engagements apostoliques ou des exigences communautaires. C’est pourquoi chaque communauté est invitée à rédiger un projet communautaire à l’élaboration duquel tous, toutes, participent et qu’ils s’engagent à mettre en pratique. C’est un cadre privilégié pour aborder les conflits quand ceux-ci sont importants ou lors des évaluations du projet. En écrivant ceci, je suis bien conscient que la même problématique peut se rencontrer dans une entreprise ou dans une famille. Il n’existe pas de famille sans conflit, particulièrement quand les enfants deviennent des ados ou quand les parents traversent l’étape du milieu de la vie, par exemple. Ou quand ils arrivent au troisième âge et doivent revisiter leur histoire et se fixer de nouvelles priorités. On ne cessera jamais d’avoir besoin de prendre le temps de se parler ! Et cela est une décision…

Quant à la session sur la mondialisation, elle constate que celle-ci est souvent vécue en Afrique comme une agression, à cause de la façon dont ce continent est marginalisé par rapport aux flux financiers ou digne d’intérêt que dans la mesure où il y a des matières premières à piller ou des grands espaces à exploiter pour l’agrobusiness, dont les biocarburants. De même que des Eglises d’Afrique sont effrayées par les évolutions par rapport au mariage et à la bioéthique. Se sentant menacés dans leurs valeurs traditionnelles, des responsables ecclésiastiques font parfois preuve d’une inquiétante rigidité, surtout quand le Pape François appelle à la fin du cléricalisme et des « évêques d’aéroport » (cf. le prurit de la célébration des jubilés de tous ordres…). Les défis pour les Eglises d’Afrique comme pour les Etats africains sont énormes car ils ont l’impression d’être face à un rouleau compresseur… D’où l’intérêt de communautés interculturelles où, à cette échelle déjà, la différence peut être discernée et reconnue de façon bienveillante et critique… Mais n’est-ce pas aussi un défi pour les occidentaux ? Il me semble que dans ce domaine-là aussi nous avons besoin de nous entraider…


Et MERCI à vous qui nous soutenez fidèlement !
POUR LIRE LES LETTRES PRECEDENTES CLIQUER SUR LE LIEN CI-DESSOUS A L'EXTERIEUR DU CADRE A DROITE

Détente au centre Ekabana

Kinshasa-Kigali, un accord entre Etats mais loin d’être endossé par les groupes rebelles.

  Pour une paix durable à l’Est du pays, faudra-t-il un arrangement entre Etats ? Ou alors une harmonisation avec les groupes rebelles ? S’i...